Banlieue de Londres, il y a plus de 20 ans. Une petite épicerie tenue par un indopakistanais. Au fond, une vitrine réfrigérée vrombissante, des charcuteries et fromages sous plastique, des laitages, des sodas. En bas, quelques bouteilles de vin blanc… et une étiquette qui attire l’œil du collectionneur.
« RUDE BOY Chardonnay », une étiquette affichant un tronc d’éphèbe uniquement habillé d’un mini slip rose, mais alors rose vif…. Je prends la bouteille, lis la contre étiquette : un chardonnay de Cape Town, en Afrique du Sud, avec une étiquette thermosensible ! Rose fluo quand le vin est très frais voire glacé (Chilled), comme dans ce frigo.
Mais alors, que devient l’étiquette à bonne température, puis à température ambiante, une fois la bouteille vidée de son chardonnay ? … Suspense insoutenable !
Aider à servir le vin à bonne température
L’utilisation pour les étiquettes de vin d’encres thermosensibles, ou plus exactement thermochromiques, qui changent de couleur selon la température, est relativement ancienne. Leur première utilité est d’aider le consommateur à servir le vin à la bonne température.
Une des premières est l’étiquette « La Sommelière® » fabriquée dans les années 1990 par la société EURACLI dans la Drôme. La formulation de l’encre était adaptée à chaque vin : la couleur verte indiquait la température idéale de dégustation, la couleur bleue une température trop élevée et la couleur brune une température trop basse. En voici un exemple de démonstration pour un vin rouge, à servir entre 16° et 18° (à gauche) :


Avec le temps, les pastilles thermochromiques de la Sommelière virent apparemment irrémédiablement au noir (contre-étiquette de droite), ma collection d’étiquettes étant conservée à température ambiante et non au frigo.
En Australie, une enquête de 2015 a montré que plus de 80% des consommateurs australiens buvaient leur vin rouge à la température ambiante, donc trop chaud. Ceci a conduit la maison de vin Taylors (Clare Valley, Australie du sud) a proposer aussi un indicateur de température coloré sur ses contre-étiquettes. Un nuancier permet de vérifier, par comparaison, que le vin n’est ni trop chaud ni trop froid. Le test existe aussi sur des bandes autocollantes que l’on peut coller à l’arrière de toute bouteille de vin rouge.


Ce procédé, tout simple et très utile, est toujours d’actualité.
Dans l’univers concurrentiel et haut de gamme du Champagne, les jeunes maisons essaient de se faire remarquer par des noms décalés, un habillage et des codes marketing branchés, parfois aguicheurs.
La marque de Champagne « Les Champagne EPC » (pour épicurien), adepte d’une traçabilité maximale, a adopté la petite pastille sur la contre-étiquette, qui devient bleu pastel lorsque la bouteille est à température idéale, entre 8 et 12°C.

La maison « Infinite Eight », a quant à elle, adopté un code couleur différent (gris/rose/rouge) sur le symbole de l’infini, comme l’explique le cofondateur de cette marque, monsieur Nicolas Le Tixerant :

« Nos vins ont depuis la naissance de notre maison une encre thermoréactive dans le signe de l’infini sur l’étiquette de façade. Elle réagit lorsque la bouteille est à bonne température pour être dégustée (environ 8°C) passant d’une couleur grise au rose puis au rouge«


La Loire n’est pas en reste. Pastichant le film de Sergio Leone « Le bon, la brute et le truand », les trois « Bandits de Loire » proposent dans une ambiance Far-West trois excellents chenins d’Anjou : « le brut, le doux, le sec » ! Les étiquettes sont munies d’un un petit thermomètre, en bas à droite, qui devient bleu lorsque le vin est à bonne température de service. Sympathique….
La cuvée « Flor de Vetus », vin blanc espagnol de cépage Verdejo et d’AOP Rueda, propose une version plus poétique du même principe. C’est un papillon bleu qui apparait à côté de la fleur sur l’étiquette lorsque que le vin est à la température idéale (création IPE Industria Gráfica S.L., Terrassa, Barcelone)

Thématique papillon également, mais en musique, pour la cuvée 2008 du Champagne « Butterfly Lovers » de la maison Infinite Eight, déjà citée.

Pour la partie thermochromique, c’est l’ensemble du manchon thermocollé habillant la bouteille qui s’orne d’un ruissellement de notes de musique roses, une fois le Champagne prêt à être dégusté (création Franck Leroux, réalisation Distripac, 59490 Somain). Le comble du romantisme (et de la séduction ?) est atteint lorsqu’on active un QR code caché au revers des ailes du papillon accroché au goulot. Ce QR code donne accès à la musique « The Legend of butterfly lovers », interprétée par la violoniste canadienne Yi-Jia Susanne Hou, afin d’accompagner la dégustation qui devient selon ses concepteurs « une expérience multi sensorielle » !
A l’origine, « Butterfly lovers » est un concerto pour violon très célèbre en Chine, composé en 1959 par deux musiciens de Shangai sur la base d’une légende racontant un amour impossible. Il n’est pas précisé si le « The legend fo butterfly lovers » activé par le QR est un hommage au concerto ou bien le concerto lui même. Si c’est l’original, il faut aimer la gamme pentatonique…. Dans tous les cas, il ne fait pas de doute que les 3000 bouteilles de cette cuvée ont du faire un tabac auprès de la clientèle chinoise fortunée.
Les étiquettes thermosensibles à messages
Les propriétés des encres thermochromiques ont également permis de véhiculer des messages, souvent amusants, sur les étiquettes. En 2016 les Vignerons du Brulhois (82340 Donzac) ont présenté pour la Saint-Valentin une édition spéciale de leur vin doux rosé à base de Muscat de Hambourg baptisé « Grain d’Amour ». L’étiquette en forme de cœur dévoilait, uniquement en dessous de 8°, soit 15 minutes dans un seau à glace, un doux message : « Avec toi, je vois la vie en rose ». La cuvée Grain d’amour existe toujours, avec une jolie présentation renouvelée chaque année, mais sans le message thermo-révélé, semble-t-il.


Toujours en février 2016, le Cellier des Princes, première et unique coopérative de Châteauneuf-du-Pape (84350 Courthézon), avait lancé un duo de vins plus légers censés attirer une clientèle plus jeune, branchée, internationale : « La Princesse » et « Le Prince« .

La princesse était un rosé dit « décalé » (?) d’IGP Vaucluse et le Prince un rouge léger d’IGP vin de la Principauté d’Orange. Seule la princesse a eu le droit à une étiquette thermochromique. Lorsque la bouteille était à la température conseillée de 12°C, des dessins et textes apparaissaient : selon le service marketing : « La Princesse sourit, les joues rosissent, le verre se remplit et « tchin-tchin » apparaît, traduit dans sept langues ». Mignon….



La plus marrante des étiquettes thermosensibles : la cuvée KANZEBUZEPUSOIF !

La palme de l’inventivité revient, pour moi, à la coopérative de Gignac (34150) dans l’Hérault et à sa cuvée KANZEBUZEPUSOIF (prononcer « quand z’ai bu z’ai pu soif »).
Proposée en mai 2016, déclinée en blanc, rosé, ou rouge, cette cuvée arborait une superbe étiquette thermosensible montrant un Zébu stylisé avec deux lignes d’un court texte : KANZEBUZEPUSOIF. Quand la bouteille était pleine, les mots visibles étaient « ZÉ SOIF », quand la bouteille était à moitié vide, le seul mot apparent était « ZÉBU », et quand elle était vide, à température ambiante, apparaissait la mention évidente « A PU ». Magistral, non ? On doit cette idée à Chloé Alquier, alors déléguée commerciale à la cave de Gignac, devenue cave Tours et Terroirs après la fusion avec deux autres coopératives locales. La réalisation technique de cette merveille est due à l’imprimerie XXX de Montpellier.




Les étiquettes thermosensibles « suspense »
Revenons à notre étiquette « RUDE BOY ». Lors de son achat, je pensais naïvement que le RUDE BOY signifiait « rude garçon » et que la cuvée ainsi étiquetée en rose vif était destinée à une clientèle plutôt homosexuelle masculine…. D’où ma perplexité de l’avoir dénichée chez un austère pakistanais barbu au regard charbonneux.
En fait, après recherches, la mention RUDE BOY, que l’on peut traduire par « mauvais garçon », vient de l’argot jamaïquain et désignait des jeunes des ghettos de Kinston vivant dans la rue, violents et délinquants. Transposé à l’Angleterre de la fin des années 1970, ce terme désignait les fans des groupes de musique ska, comme Madness ou The Specials, qui reprenaient des morceaux jamaïquains des années 1960. Pas de lien évident avec ce qu’on appellerait plus tard la mouvance LGBT puis LGBTQIA+, etc…
Quelle était l’intention des « winemakers » sud-africains, auteurs de cet étiquetage très particulier ? Et quelle révélation allait procurer cette étiquette, une fois revenue à une température plus « hot » ?
Lorsque la bouteille de chardonnay RUDE BOY fut rapportée en France, sortie du frigo, et vidée, que croyez-vous qu’il apparut sous le joli slip rose ? Eh bien, grosse déception : RIEN. Le malheureux calbute de l’éphèbe était simplement devenu blanc, toujours opaque ! Et, phénomènes étranges, l’éphèbe avait perdu ses cuisses, réduit à un homme-tronc, tandis que la typographie de l’étiquette avait gagné en netteté…



Bien qu’en rouge et encadrée sur la contre étiquette, la mention :
« WHEN THIS BOTTLE OF WINE IS CHILLED RUDE BOY WILL REVEAL ALL »
(qu’on peut traduire par « Une fois cette bouteille de vin glacée, Rude Boy révélera tout ! ») était donc une tromperie visuelle. Peut-être parlaient-ils uniquement des qualités du vin….
Parité oblige, il existait aussi une étiquette de « RUDE GIRL », dont l’effet visuel était beaucoup plus réussi, bien que restant assez sage. Elle habillait un vin rouge de cépage Shiraz, et montrait une jeune femme de dos, appuyée sur une luxueuse rambarde face à ce qu’on peut imaginer être la mer. A bonne température, la robe de la dame disparaissait, laissant voir … une petite culotte blanche ! Cette étiquette est consultable de façon dynamique sur le joli site de Peter F. MAY « Unusual Wines. Diversity in Wine » , qui présente des vins inhabituels, soit par leur nature, leur provenance, ou leur étiquetage (et que je remercie ici).


Liens et références :
1. Site de la maison de vins australienne TAYLORS (https://www.taylorswines.com.au/blogs/wine-blog/a-guide-to-the-perfect-wine-temperature?srsltid=AfmBOopwpEJGUzIP_9p8_GESlzq074awgSueVWuCZw4gnOLKjWT7zLFn)
2. Champagne EPC (https://epc-champagne.com)
3. Champagne Infinite Eight (https://www.shop-champagneinfinite8.fr )
4. Les bandits de Loire (https://www.banditsdeloire.fr/)
5. Site de la bodegas Vetus (https://www.bodegasvetus.com/ )
6. Vignerons du Brulhois, cuvée Grain d’amour (https://vigneronsdubrulhois.com/produit/grain-d-amour-vin-rose-75cl/)
7. Cellier des Princes ( https://www.cellierdesprinces.fr/)
8. Thiphaine Comby. La cave coopérative de Gignac présente « le Zébu ». ©Midi Libre, publié le 19/05/2016. https://www.midilibre.fr/2016/05/19/la-cave-cooperative-de-gignac-presente-le-zebu,1334537.php
9. Peter F. MAY site internet/website « Unusual Wines. Diversity in Wine » (https://www.winelabels.org/labels14.htm )
© Texte posté le 11/09/2024

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.