
(Dimension de l’étiquette originale : 121 x 70 mm)
Cette belle étiquette de Champagne du XIXè siècle due à l’imprimeur lithographe Eugène Bruaux d’Epernay, associe une maison de Champagne, un hôtel et un évènement ferroviaire illustré par une antique locomotive à vapeur.
Le Champagne, un Sillery Mousseux, a été produit par la maison Bouché Fils et Cie, fondée à Mareuil sur Aÿ en 1821. Cette prestigieuse maison, qui fournissait les cours d’Italie, de Belgique, d’Espagne et du Portugal, était propriétaire du célèbre vignoble « des Goisses », devenu le « Clos des Goisses » depuis son acquisition en 1935 par la maison de Champagne Philipponnat, également installée à Mareuil sur Aÿ [1].


Nous ne savons rien d’Henry Richard, l’hôtelier qui a probablement commandé cette cuvée spéciale, ou du moins l’étiquette commémorative, ni de son « Hôtel Français ». Aucune trace de cet hôtel, à Murcie, à Carthagène, voire à Madrid n’a été retrouvée.
L’évènement ferroviaire commémoré est l’inauguration de la ligne de chemin de fer entre le port de Cartagena (Carthagène) et Murcia (Murcie), en Espagne. Il s’agit d’un tout petit tronçon de 35 km de la future ligne qui allait relier Madrid-Alicante à Albacete, au sud-est de l’Espagne (voir carte). La construction de cette ligne avait été concédée à la Compagnie des chemins de fer de Madrid à Zaragoza (Saragosse) et Alicante (MZA), qui représentait les intérêts de la famille Rothschild dans l’investissement ferroviaire espagnol, en traditionnelle concurrence avec d’autres français, la société des frères Péreire, qui avaient obtenu des concessions au nord [2].

Il est facile de dater cette étiquette car elle est vraisemblablement contemporaine de l’inauguration de la ligne, le 24 octobre 1862. Cette inauguration s’est faite en grand pompe en présence de la reine Isabel II, qui revenait avec mari et enfants d’un voyage à en Andalousie et dont le bateau avait accosté à Carthagène [3]. La ligne n’était pas tout à fait achevée. A Murcie comme à Carthagène, aucune gare n’était encore construite. Mais l’occasion était trop belle ! Le chroniqueur officiel du voyage royal rapporte que plus de 15 000 personnes rassemblées à Murcie pour recevoir la reine ont poussé un « cri unanime d’enthousiasme » à l’apparition de la locomotive et de son panache de fumée :
Les premiers à descendre du wagon furent les enfants; plus tard, le confesseur de la Reine, l’archevêque Antonio María Claret; le roi, qui portait l’uniforme de capitaine général; et enfin, la Reine, qui « portait une élégante robe rose, avec des ornements cramoisis capricieux, un châle blanc et un riche diadème en or, parsemé d’émeraudes et de rubis ». Isabel II a marché sur «un tapis de fleurs qui avait été renversé à cette fin».
Une photo d’époque de Manuel Dorda (grand notable de Carthagène passionné de photographie) montrant le train en gare en 1862 est reproduite dans l’ouvrage Fotografía en la región de Murcia [4]. Elle est légendée « Llegada del tren. Cartagena 1862 » ce qui signifie « l’arrivée du train. Carthagène 1862 ». Il n’est pas du tout certain qu’elle corresponde au jour de l’inauguration de la ligne, puisque le train n’est pas arrivé à mais parti de Carthagène, et que la maigre assistance contraste un peu avec la foule en délire décrite à Murcie…
La ligne de chemin de fer n’est entrée en service que 6 mois plus tard, le 1er février 1863. La ligne complète de 240 km a été officiellement achevée le 27 Avril 1865.

Manuel Dorda. Llegada del tren. Cartagena 1862. © Archives Roca-Dorda.
La suite…
Plusieurs mois après mise en ligne de ce texte, surprise ! Je découvre que cette étiquette a une grande sœur, conservée par le département Patrimoine de la médiathèque de la ville d’Epernay, et reproduite dans le livre « L’image du Champagne, de la belle époque aux années folles » de Marie Thérèse Nolleau et Pierre Guy [5]. Elle commémore la création de la ligne ferroviaire entre Chalons Sur Marne (maintenant Chalons en Champagne) et Paris, mise en service en novembre 1849. La composition de l’étiquette est voisine, la locomotive est identique, seul son nom change «California» au lieu de «Cartagena» ! La frise végétale est légèrement différente, et le commanditaire est la maison de Champagne E Armand, de Chalons sur Marne. Le vin est, lui aussi, un Sillery Mousseux.

© Médiathèques d’Epernay
Pour boucler la boucle, signalons que le site de la Médiathèque d’Epernay permet la consultation de très beaux documents numérisés sur le Champagne et de catalogues d’étiquettes lithographiées du XIXème siècle, dont une série complète de la Maison Bouché [6].
Liens et références :
1. Site de la maison de Champagne Philipponnat.
2. Compañía de los ferrocarriles de Madrid a Zaragoza y Alicante. https://fr.wikipedia.org/wiki/Compa%C3%B1%C3%ADa_de_los_ferrocarriles_de_Madrid_a_Zaragoza_y_Alicante
3. Pedro SOLER. La real inauguración del ferrocarril Cartagena-Murcia. La verdad de Murcia 2012. https://www.laverdad.es/murcia/v/20121024/murcia/real-inauguracion-ferrocarril-cartagena-20121024.html
4. Manuel Dorda. Llegada del tren. Cartagena 1862. Archives Roca-Dorda. In : Juan Manuel Díaz Burgos; Murcia Cultural.; Sala de Exposiciones Casa Díaz Cassou. Fotografía en la región de Murcia. Ediciones Tres Fronteras, 2003
5. MT Nolleau, P Guy. L’image du Champagne de la belle époque aux années folles. © Editions Dominique Guéniot, Reims, 2015.
6. Médiathèque d’Epernay. Section patrimoine. Fond patrimonial numérisé consultable en ligne.
© Texte publié le 10/05/2020, mis à jour le 20/09/2020

