Un Mumm pour une diva…

Cette étiquette ancienne de « Champagne Patti » met en lumière plusieurs personnalités de la France de la seconde moitié du XIXe siècle, bien oubliées de nos jours : Jules Mumm, acteur éphémère de l’histoire mouvementée de la maison de Champagne Mumm, Adelina Patti, cantatrice célèbre à l’époque, mais aussi un des premiers photographes de stars et un graveur historique parisiens .

Le Champagne Jules Mumm

Le Champagne Mumm et sa cuvée Cordon Rouge, tout le monde connait.

La maison Mumm a été fondée à Reims en 1827 par 5 Allemands, trois frères Mumm originaires de Francfort, Gottlieb (1782-1852), Jacobus (1779-1835) et Philipp (1782-1842), associées à Friedrich Giesler, originaire de Rhénanie, et G. Heuser dont on sait moins de choses sinon qu’il possédait déjà une maison de négoce de vin à Reims et était marié à une épouse champenoise. La société s’est appelée initialement P. A. Mumm, Giesler & C°, la mention P. A. faisant référence à Peter-Arnold Mumm (1733-1797), père des trois frères Mumm, ancien banquier devenu en 1761 un important négociant exportateur en vins de Rhénanie, qui les a probablement financés.

Délicate étiquette lithographiée bleu et argent sur fond blanc des origines de la maison Mumm. ( P.A. Mumm & C°)  et l’un des premiers millésimes,1846.

Très rapidement, la maison Mumm P.A. et C° exporte près de 70 000 bouteilles par an sans posséder de vignes ou presque, grâce à une politique d’achat de raisin ou de vin de haute qualité et un réseau de revente étendu. Les acquisitions importantes de vignes par Mumm sont postérieures à 1880.

Heuser quitte la société en 1830, Giesler fonde sa propre maison de Champagne à Avize en 1837.

A la mort en 1852 du dernier des 3 frères fondateurs, Gottlieb, les associés se séparent et constituent deux sociétés indépendantes qui restent toutefois étroitement liées à la « maison mère » Peter Arnold Mumm en Allemagne :

  • G. H. Mumm & Co par Georges Hermann Mumm (1816-1887), fils de Gottlieb, associé à un Français, Guillaume de Bary.
  • Jules Mumm & Co par Jules Mumm (1809-1863), fils de Jacobus.

C’est Jules Mumm et C° et « les aînés et les plus anciens associés » qui conservent le siège social de la maison mère, comme  l’explique ce document publicitaire du Champagne Jules Mumm, un marque page /tarif  datant de 1893 et illustré par Maurice Réalier-Dumas.

Marque page publicitaire des Champagne Jules Mumm et C°, vers 1893 (113 x 32 mm)
Verso du marque-page publicitaire servant de tarif pour les Champagne Jules Mumm et C°

La scission est relativement courte. En difficulté financière à partir de 1903, la maison Jules Mumm & C° est dissoute en 1910 et partiellement rachetée par G. H. Mumm et C° (y compris la marque déposée « Jules Mumm »).

C’est ensuite l’ascension phénoménale de la maison G. H. Mumm & C° jusqu’à la première guerre mondiale ; sa confiscation par la France en 1914 (Georges Hermann Mumm étant resté allemand, bien qu’il ait déposé en 1876 l’habillage au fameux cordon rouge en hommage à la légion d’honneur française) ; la vente aux enchères en 1920 à la Société Vinicole de Champagne ; la reprise par le fils de Georges Hermann au nom du 3ème Reich de 1940 à 1945 ; puis une nouvelle « francisation » de la société, qui s’est appelée à partir de 1946 « G. H. Mumm & C°, Société Vinicole de Champagne, Successeurs », nom que l’on peut voir sur les étiquettes de l’époque jusqu’au rachat par Seagram en 1985 ; puis les reventes successives à d’autres groupes internationaux de vins et spiritueux [1, 2].

Etiquettes du Cordon Rouge G.H.  Mumm & C° millésimes 1913 et 1921 : ajout de la mention « Société Vinicole de Champagne successeurs », d’abord par un tampon apposé sur les étiquettes antérieures à 1920, puis imprimée dans la nouvelle étiquette à partir de 1920.

Le renouveau du Sekt Jules Mumm

Rebondissement récent, des bouteilles de vin pétillant « Jules Mumm » sont réapparues sur le marché. Les vins sont produits en sec, demi-sec et rosé par la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien GmbH à Freyburg en Allemagne (région viticole du Rheingau). L’explication : l’historique maison de vins mousseux Rotkäppchen a ajouté le nom de Mumm, car elle a racheté en 2000 les marques « Mumm », « Jules Mumm » et « MM Extra » à Seagram, à l’exception du champagne Mumm, qui a été racheté par Pernod Ricard. L’histoire n’est pas terminée car, à son tour selon la rumeur courant en 2025, Pernod Ricard chercherait à revendre la maison de Champagne Mumm …

En ce qui concerne le sekt Jules Mumm, un site de vente sur internet prend un certain risque juridique dans sa notice, qui se veut alléchante malgré une version française approximative : « Le Medium Dry de Jules Mumm séduit par sa perlage vivante et ses arômes fruités de physalis, papaye et mangue.  (…). Fabriqué dans le renommé Rheingau, ce champagne promet un morceau de tradition viticole allemande dans chaque gorgée » [3].

Champagne ? Vous avez bien lu : champagne de tradition viticole allemande ?

Adelina Patti

 Entre les années 1870 et 1890, la maison de Champagne Jules Mumm alors en plein essor, a dédié une cuvée spéciale à la diva Adelina Patti.

Adela Juana María Patti (1843-1919), dite Adelina Patti, était une chanteuse lyrique espagnole célèbre de la fin du XIXe siècle. Issue d’une famille de musiciens, formée aux USA, précoce (début de carrière à 9 ans), dotée, comme la Malibran un peu avant elle, d’une tessiture étendue (soprano colorature) et d’une qualité de chant remarquable, elle a triomphé sur toutes les scènes du monde, joué et chanté de nombreux rôles avec une prédilection pour l’opéra italien et français. La longévité de sa carrière (plus de 50 ans) a été exceptionnelle. Elle s’est mariée avec un marquis de Caux, puis remariée deux fois après divorce en gardant le titre de marquise. « La marquise de Caux sera chez elle samedi soir ; la Patti chantera » écrivait-elle sur ses invitations.

Considérée comme la dernière des grandes divas du XIXe siècle, « La Patti » est enterrée au Père Lachaise [4]. On peut encore entendre sa voix, enregistrée en 1905 ou 1906 sur disques 78 tours [5, 6].

Charles Reutlinger et Moïse Stern…

Le portrait gravé d’Adelina Patti reproduit sur l’étiquette (Stern, graveur à Paris) a été réalisée à partir d’une photographie de Charles Reutlinger. Ce photographe d’origine allemande, fondateur en 1850 de l’un des plus importants studios de photographie parisiens, s’était spécialisé dans les portraits de personnalités célèbres [7]. La photographie originale est conservée au musée Carnavalet de Paris.

Adelina Patti. Photographie de Charles Reutlinger

C’est probablement la même photographie qui a inspiré Gustave Doré, auteur d’une gravure en couleur du portrait d’Adelina Patti, qui reprend avec quelques nuances le profil gauche avec pendant d’oreille et fleur blanche dans la coiffure.

Adelina Patti. Gravure de Gustave Doré

L’étiquette de « Champagne Patti » a été produite par le célèbre atelier-boutique de gravure Stern, ouvert à Paris en 1834 par Anselme Aumoitte et Moise Stern. Il réalisait tous les travaux d’imprimerie et de gravure, en particulier des cartons d’invitation, des menus, des cartes de visite pour une clientèle prestigieuse, noblesse et haute bourgeoisie, ambassades, grandes sociétés, l’Elysée [8]. Stern a fusionné en 2018 avec Boisnard, un autre imprimeur graveur parisien, et l’activité existe toujours en 2025 au sein du groupe des établissements Lavrut [9].

La boutique-atelier historique, classée et aujourd’hui occupée par le Caffè Stern [10], est toujours visible à Paris, au 47 passage des Panoramas à Paris.

Liens et références :

  1. Pour en savoir plus sur l’histoire mouvementée de la maison de Champagne Mumm, on peut lire les chapitres consacrés à cette grande maison dans l’encyclopédie  « l’histoire du Champagne » du Colonnel François Bonal, une référence … https://maisons-champagne.com/fr/encyclopedies/histoire-du-champagne ,
  2. Mais aussi en consultant le site « Champagner.com » de M. Karl Schnürch (basé au Seychelles !), très documenté :  https://champagner.com/fr/glossaire-2/mumm/
  3. Site de vente Vinello. https://www.vinello.fr/medium-dry-jules-mumm
  4. Site des amis du Cimetière du Père Lachaise. Monument funéraire d’Adelina Patti : Division 4, avenue principale, 1ère ligne. https://www.appl-lachaise.net/patti-adelina-baronne-cederstrom-1843-1919/
  5. L’air des bijoux. Faust de Gounot, enregistré en décembre 1905 au domicile d’Adelina Patti, à Craig-y-Nos (Pays de Galles). Piano : by Landon Ronald. Disque 78 tours His Master’s voicie. The Gramophone  Co. https://www.youtube.com/watch?v=fB6BEQ-9TDg
  6. Site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. La sonnambula. Ah ! non Credea mirarti / Bellini, compositeur. ; Adelina Patti, Soprano ; Alfredo Barili, piano. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1284249
  7. Charles Reutlinger (1816-1880), photographe. Site de la Comédie Française https://comedie-francaise.bibli.fr/index.php?lvl=author_see&id=12496 ; ou National Portrait Gallery https://www.npg.org.uk/collections/search/person/mp82485/charles-reutlinger
  8. Stern Graveur. Notice Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Graveur_Stern#:~:text=Graveur%20Stern%20ou%20Stern%20Graveur,galerie%20des%20Vari%C3%A9t%C3%A9s%20(Paris).
  9. https://www.ets-lavrut.com/les-marques/boisnard-stern
  10. Site du restaurant CAFFÈ STERN, Paris. https://alajmo.it/fr/pages/homepage-caffe-stern

© Texte posté le 22/05/2025

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur. Les boissons alcoolisées peuvent être dangereuses pour la santé et sont à consommer avec modération.

Charles Spindler et la légende des 3 épis

L’Alsace étant étroitement liée à Sainte Odile, sa patronne, on pourrait croire que cette étiquette de René Neymeyer, propriétaire et négociant à Ingersheim en Alsace, lui rend hommage. En fait, c’est la Sainte Vierge qui est représentée à gauche de l’étiquette, et avec elle la légende alsacienne dite des trois épis.

Selon cette légende, le 3 mai 1491, sur la montagne du Habthal à Ammerschwir, la Sainte Vierge est apparue à un forgeron se rendant au marché voisin [1, 2]. Voilée de blanc, tenant dans sa main droite 3 épis de blé et dans la gauche un grêlon, elle dit au forgeron, prostré :

« Relève-toi, brave homme, et écoute. Vois ces épis. Ils sont le symbole de l’abondance des belles moissons qui viendront récompenser les êtres vertueux, généreux, et apporter le bien-être et le bonheur dans les foyers des fidèles chrétiens. Quant à ce glaçon, il signifie que la grêle, la gelée, l’inondation, la famine et tout son cortège de désolation et de malheurs viendront punir les mécréants dont la gravité des péchés a pu lasser la miséricorde divine. Va, bonhomme, descends dans les villages et annonce à tous les habitants le sens de ces prophéties »

Le forgeron, fortement impressionné, n’en parla à personne, acheta un sac de blé, mais il ne put le lever du sol ni le hisser sur sa mule. Ce n’est qu’après avoir transmis le message divin qu’il put emporter son sac de blé.

Eglise Notre Dame de l’Annonciation, au Trois Epis, édifiée en 1967, inaugurée en 1968

A l’endroit de l’apparition, a été construite une chapelle en bois puis en pierre (inscription de 1493) [3], ainsi qu’un monastère (rédemptoriste). L’église actuelle « Notre Dame de l’Annonciation » a été édifiée en 1967. Rebaptisé « Les trois épis », le lieu-dit de l’apparition est actuellement un hameau touristique [4] partagé entre trois communes du Haut Rhin, Ammerschwihr, Turckheim et Niedermorschwihr.

Les illustrations de cette étiquette sont l’œuvre de Charles Spindler (1865 -1938), célèbre peintre, ébéniste, écrivain, photographe et illustrateur alsacien. La vierge est bien représentée voilée de blanc et tenant les 3 épis, mais on ne voit pas le glaçon. La collerette de l’étiquette complète l’histoire, montrant le forgeron incapable de soulever son sac de blé et la mention de l’année 1490.

D’autres vignerons et maisons de vins d’Alsace ont fait appel à Charles Spindler pour illustrer leurs étiquettes. La bibliothèque Forney à Paris en conserve 3 exemplaires de l’imprimerie Camis (Paris) datant des années 1920 : celle de René Meymeyer, ancêtre de notre étiquette, une crée pour le Clos Sainte Odile du viticulteur Pierre Weissenburger d’Obernai et la dernière pour Victor Christophe, un propriétaire de Barr [5].

Etiquettes illustrée par Charles Spindler, © Bibliothèque Forney, Paris

Dans les années 1900, Emile Boeckel, patron d’une autre grande maison (Vins d’Alsace Boeckel, 67140 Mittelbergheim), avait également commandé à Charles Spindler une étiquette dont le modèle a été utilisé jusqu’au début des années 2010. Le site de la maison en présente un exemplaire datant de 1918 [6] et en voici un exemplaire des années 1980.

La Maison Spindler créée par Charles Spindler existe toujours. C’est une entreprise du patrimoine vivant spécialisée en marqueterie d’art. Elle est dirigée depuis 1975 par Jean-Charles Spindler, le petit-fils du fondateur. Sur le site, à la rubrique « Histoire/amitiés et collaborations artistiques », une publicité de Charles Spindler pour le Clos Sainte Odile (différente de l’étiquette) y est représentée [7].

Illustration publicitaire de Charles Spindler pour le Clos Sainte Odile, Pierre Weissenburger, Obernai. © Maison Spindler

Liens et références :

[1] Notre Dame des trois épis. http://ndtroisepis.fr/notre-dame-des-trois-epis/

[2] https://lalumierededieu.eklablog.com/trois-epis-p32586

[3] Philippe Boutry.  Dévotion et apparition : Le « modèle tridentin » dans les mariophanies en France à l’Époque moderne. Siècles, 2000, N°12, pages 115-131. doi.org/10.4000/11v0h. https://journals.openedition.org/siecles/11828

[4] Chambre d’hôtes « LES IRIS », Trois Epis. https://www.iris68.fr/fr/page/les-trois-epis

[5] Ville de Paris. Bibliothèques patrimoniales. Etiquettes commerciales vin d’Alsace. Bibliothèque Forney, Paris.  https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0001068050/0004/v0001.simple.selectedTab=record

[6] Etiquettes célèbres de la maison de vins d’Alsace Boeckel . https://www.boeckel-alsace.com/etiquettes-celebres-8.html

[7] Site de la maison SPINDLER, marqueterie d’art. https://www.spindler.tm.fr/fr/

https://www.spindler.tm.fr/fr/galerie/la-tradition-spindler/22-mobilier-objets-decoratifs/22-collaborations-artistiques

Pour en savoir plus, à lire également ….

[8] Roland Moser, « Les étiquettes anciennes du vin d’Alsace », Revue d’Alsace [En ligne], 137 | 2011, mis en ligne le 01 septembre 2014, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/alsace/1198  ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.1198

© Texte posté le 06/10/2024

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

Âmes thermosensibles, ne pas s’abstenir…

Banlieue de Londres, il y a plus de 20 ans. Une petite épicerie tenue par un indopakistanais. Au fond, une vitrine réfrigérée vrombissante, des charcuteries et fromages sous plastique, des laitages, des sodas. En bas, quelques bouteilles de vin blanc… et une étiquette qui attire l’œil du collectionneur.

« RUDE BOY Chardonnay », une étiquette affichant un tronc d’éphèbe uniquement habillé d’un mini slip rose, mais alors rose vif…. Je prends la bouteille, lis la contre étiquette : un chardonnay de Cape Town, en Afrique du Sud, avec une étiquette thermosensible ! Rose fluo quand le vin est très frais voire glacé (Chilled), comme dans ce frigo.

Mais alors, que devient l’étiquette à bonne température, puis à température ambiante, une fois la bouteille vidée de son chardonnay ? … Suspense insoutenable !

Aider à servir le vin à bonne température

L’utilisation pour les étiquettes de vin d’encres thermosensibles, ou plus exactement thermochromiques, qui changent de couleur selon la température, est relativement ancienne. Leur première utilité est d’aider le consommateur à servir le vin à la bonne température.

Une des premières est l’étiquette « La Sommelière® » fabriquée dans les années 1990 par la société EURACLI dans la Drôme. La formulation de l’encre était adaptée à chaque vin : la couleur verte indiquait la température idéale de dégustation, la couleur bleue une température trop élevée et la couleur brune une température trop basse. En voici un exemple de démonstration pour un vin rouge, à servir entre 16° et 18° (à gauche) :

Avec le temps, les pastilles thermochromiques de la Sommelière virent apparemment irrémédiablement au noir (contre-étiquette de droite), ma collection d’étiquettes étant conservée à température ambiante et non au frigo.

En Australie, une enquête de 2015 a montré que plus de 80% des consommateurs australiens buvaient leur vin rouge à la température ambiante, donc trop chaud. Ceci a conduit la maison de vin Taylors (Clare Valley, Australie du sud) a proposer aussi un indicateur de température coloré sur ses contre-étiquettes. Un nuancier permet de vérifier, par comparaison, que le vin n’est ni trop chaud ni trop froid. Le test existe aussi sur des bandes autocollantes que l’on peut coller à l’arrière de toute bouteille de vin rouge.

Ce procédé, tout simple et très utile, est toujours d’actualité.

Dans l’univers concurrentiel et haut de gamme du Champagne, les jeunes maisons essaient de se faire remarquer par des noms décalés, un habillage et des codes marketing branchés, parfois aguicheurs.

La marque de Champagne « Les Champagne EPC » (pour épicurien), adepte d’une traçabilité maximale, a adopté la petite pastille sur la contre-étiquette, qui devient bleu pastel lorsque la bouteille est à température idéale, entre 8 et 12°C.

La maison « Infinite Eight », a quant à elle, adopté un code couleur différent (gris/rose/rouge) sur le symbole de l’infini, comme l’explique le cofondateur de cette marque, monsieur Nicolas Le Tixerant :

« Nos vins ont depuis la naissance de notre maison une encre thermoréactive dans le signe de l’infini sur l’étiquette de façade. Elle réagit lorsque la bouteille est à bonne température pour être dégustée (environ 8°C) passant d’une couleur grise au rose puis au rouge« 

La Loire n’est pas en reste. Pastichant le film de Sergio Leone « Le bon, la brute et le truand », les trois « Bandits de Loire » proposent dans une ambiance Far-West trois excellents chenins d’Anjou : « le brut, le doux, le sec » ! Les étiquettes sont munies d’un un petit thermomètre, en bas à droite, qui devient bleu lorsque le vin est à bonne température de service. Sympathique….

La cuvée « Flor de Vetus », vin blanc espagnol de cépage Verdejo et d’AOP Rueda, propose une version plus poétique du même principe. C’est un papillon bleu qui apparait à côté de la fleur sur l’étiquette lorsque que le vin est à la température idéale (création IPE Industria Gráfica S.L., Terrassa, Barcelone)

Thématique papillon également, mais en musique, pour la cuvée 2008 du Champagne « Butterfly Lovers » de la maison Infinite Eight, déjà citée.

Pour la partie thermochromique, c’est l’ensemble du manchon thermocollé habillant la bouteille qui s’orne d’un ruissellement de notes de musique roses, une fois le Champagne prêt à être dégusté (création Franck Leroux, réalisation Distripac, 59490 Somain). Le comble du romantisme (et de la séduction ?) est atteint lorsqu’on active un QR code caché au revers des ailes du papillon accroché au goulot. Ce QR code donne accès à la musique « The Legend of butterfly lovers », interprétée par la violoniste canadienne Yi-Jia Susanne Hou, afin d’accompagner la dégustation qui devient selon ses concepteurs « une expérience multi sensorielle » !

A l’origine, « Butterfly lovers » est un concerto pour violon très célèbre en Chine, composé en 1959 par deux musiciens de Shangai sur la base d’une légende racontant un amour impossible. Il n’est pas précisé si le « The legend fo butterfly lovers » activé par le QR est un hommage au concerto ou bien le concerto lui même. Si c’est l’original, il faut aimer la gamme pentatonique…. Dans tous les cas, il ne fait pas de doute que les 3000 bouteilles de cette cuvée ont du faire un tabac auprès de la clientèle chinoise fortunée.

Les étiquettes thermosensibles à messages

Les propriétés des encres thermochromiques ont également permis de véhiculer des messages, souvent amusants, sur les étiquettes. En 2016 les Vignerons du Brulhois (82340 Donzac) ont présenté pour la Saint-Valentin une édition spéciale de leur vin doux rosé à base de Muscat de Hambourg baptisé « Grain d’Amour ». L’étiquette en forme de cœur dévoilait, uniquement en dessous de 8°, soit 15 minutes dans un seau à glace, un doux message : « Avec toi, je vois la vie en rose ». La cuvée Grain d’amour existe toujours, avec une jolie présentation renouvelée chaque année, mais sans le message thermo-révélé, semble-t-il.

Toujours en février 2016, le Cellier des Princes, première et unique coopérative de Châteauneuf-du-Pape (84350 Courthézon), avait lancé un duo de vins plus légers censés attirer une clientèle plus jeune, branchée, internationale : « La Princesse » et « Le Prince« .

La princesse était un rosé dit « décalé » (?) d’IGP Vaucluse et le Prince un rouge léger d’IGP vin de la Principauté d’Orange. Seule la princesse a eu le droit à une étiquette thermochromique. Lorsque la bouteille était à la température conseillée de 12°C, des dessins et textes apparaissaient : selon le service marketing : « La Princesse sourit, les joues rosissent, le verre se remplit et « tchin-tchin » apparaît, traduit dans sept langues ». Mignon….

Etiquette de « Princesse » à température ambiante (à gauche) et à 12° (en haut à droite)



La plus marrante des étiquettes thermosensibles : la cuvée KANZEBUZEPUSOIF !

La palme de l’inventivité revient, pour moi, à la coopérative de Gignac (34150) dans l’Hérault et à sa cuvée KANZEBUZEPUSOIF (prononcer « quand z’ai bu z’ai pu soif »).

Proposée en mai 2016, déclinée en blanc, rosé, ou rouge, cette cuvée arborait une superbe étiquette thermosensible montrant un Zébu stylisé avec deux lignes d’un court texte : KANZEBUZEPUSOIF. Quand la bouteille était pleine, les mots visibles étaient « ZÉ SOIF », quand la bouteille était à moitié vide, le seul mot apparent était « ZÉBU », et quand elle était vide, à température ambiante, apparaissait la mention évidente « A PU ».  Magistral, non ? On doit cette idée à Chloé Alquier, alors déléguée commerciale à la cave de Gignac, devenue cave Tours et Terroirs après la fusion avec deux autres coopératives locales. La réalisation technique de cette merveille est due à l’imprimerie XXX de Montpellier.

< 10°C
10 à 20°C
25°C et plus

Les étiquettes thermosensibles « suspense »

Revenons à notre étiquette « RUDE BOY ». Lors de son achat, je pensais naïvement que le RUDE BOY signifiait « rude garçon » et que la cuvée ainsi étiquetée en rose vif était destinée à une clientèle plutôt homosexuelle masculine…. D’où ma perplexité de l’avoir dénichée chez un austère pakistanais barbu au regard charbonneux.

En fait, après recherches, la mention RUDE BOY, que l’on peut traduire par « mauvais garçon », vient de l’argot jamaïquain et désignait des jeunes des ghettos de Kinston vivant dans la rue, violents et délinquants. Transposé à l’Angleterre de la fin des années 1970, ce terme désignait les fans des groupes de musique ska, comme Madness ou The Specials, qui reprenaient des morceaux jamaïquains des années 1960. Pas de lien évident avec ce qu’on appellerait plus tard la mouvance LGBT puis LGBTQIA+, etc…

Quelle était l’intention des « winemakers » sud-africains, auteurs de cet étiquetage très particulier ? Et quelle révélation allait procurer cette étiquette, une fois revenue à une température plus « hot » ?

Lorsque la bouteille de chardonnay RUDE BOY fut rapportée en France, sortie du frigo, et vidée, que croyez-vous qu’il apparut sous le joli slip rose ? Eh bien, grosse déception : RIEN. Le malheureux calbute de l’éphèbe était simplement devenu blanc, toujours opaque ! Et, phénomènes étranges, l’éphèbe avait perdu ses cuisses, réduit à un homme-tronc, tandis que la typographie de l’étiquette avait gagné en netteté…

Bien qu’en rouge et encadrée sur la contre étiquette, la mention :

(qu’on peut traduire par « Une fois cette bouteille de vin glacée, Rude Boy révélera tout ! ») était donc une tromperie visuelle. Peut-être parlaient-ils uniquement des qualités du vin….

Parité oblige, il existait aussi une étiquette de « RUDE GIRL », dont l’effet visuel était beaucoup plus réussi, bien que restant assez sage. Elle habillait un vin rouge de cépage Shiraz, et montrait une jeune femme de dos, appuyée sur une luxueuse rambarde face à ce qu’on peut imaginer être la mer. A bonne température, la robe de la dame disparaissait, laissant voir … une petite culotte blanche ! Cette étiquette est consultable de façon dynamique sur le joli site de Peter F. MAY « Unusual Wines. Diversity in Wine » , qui présente des vins inhabituels, soit par leur nature, leur provenance, ou leur étiquetage (et que je remercie ici).

Liens et références :

1. Site de la maison de vins australienne TAYLORS (https://www.taylorswines.com.au/blogs/wine-blog/a-guide-to-the-perfect-wine-temperature?srsltid=AfmBOopwpEJGUzIP_9p8_GESlzq074awgSueVWuCZw4gnOLKjWT7zLFn)

2. Champagne EPC (https://epc-champagne.com)

3. Champagne Infinite Eight (https://www.shop-champagneinfinite8.fr )

4. Les bandits de Loire (https://www.banditsdeloire.fr/)

5. Site de la bodegas Vetus (https://www.bodegasvetus.com/ )

6. Vignerons du Brulhois, cuvée Grain d’amour (https://vigneronsdubrulhois.com/produit/grain-d-amour-vin-rose-75cl/)

7. Cellier des Princes ( https://www.cellierdesprinces.fr/)

8. Thiphaine Comby. La cave coopérative de Gignac présente « le Zébu ». ©Midi Libre, publié le 19/05/2016. https://www.midilibre.fr/2016/05/19/la-cave-cooperative-de-gignac-presente-le-zebu,1334537.php

9. Peter F. MAY site internet/website « Unusual Wines. Diversity in Wine » (https://www.winelabels.org/labels14.htm )

© Texte posté le 11/09/2024

Pour fêter ses 75 ans, la maison CK MONDAVI and family a proposé en 2021 cette série d’étiquettes thermochromiques dont le fond se colore à la bonne température. Pas évident en orange pour le chardonnay, très réussi en turquoise pour le muscat.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

La Lanterne de Rochefort

(Dimension de l’étiquette originale :  mm)

La symbolique de la lanterne, le fond rouge vif, le graphisme accrocheur…. Tout laissait penser que cette étiquette était celle d’un Champagne servi à la fin du XIXème siècle dans une maison close de la ville de Rochefort.

Fausse piste… La Lanterne en question, bien qu’également sulfureuse, n’a rien à voir avec la prostitution.

Il s’agit du journal hebdomadaire satirique fondé en mai 1868 par Henri Rochefort (1831-1913). Descendant d’une famille noble ruinée à la révolution, Victor Henri de Rochefort-Luçay a commencé sa carrière comme journaliste (Le Charivarile Figaro) et auteur de vaudevilles, avant de créer ses propres journaux, La Lanterne, La Marseillaise, Le Mot d’ordre, l’Intransigeant.

La Lanterne est donc le premier d’entre eux, créé à la faveur de la nouvelle loi de libéralisation de la presse de 1868. Polémiste acharné, Rochefort y défend des idées politiques radicales, socialistes, très hostiles à l’empire. Le premier numéro [1], publié le 30 mai 1868, est un succès. Tiré à 15 000 exemplaires, il est réédité pour atteindre plus de 100 000 exemplaires. Son format est compact, sa couverture rouge, le graphisme du titre et la lanterne allumée se retrouvent sur notre étiquette. L’introduction de son éditorial est resté célèbre : « La France contient, dit l’Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement.» 

Résultat rapide : A partir d’août 1868 ( et le n° 11) La Lanterne est interdite et Rochefort emprisonné !

Couverture de La Lanterne et fac-similé du début de l’éditorial du premier numéro

Libéré, Rochefort s’exile en Belgique ou il est hébergé par un autre opposant célèbre à Napoléon III, Victor Hugo. La Lanterne poursuit ses parutions depuis la Belgique et se vend clandestinement en France, toujours avec succès.

Rochefort revient en France, est élu député d’extrême-gauche de Paris en 1869. Il arrête La Lanterne pour fonder La Marseillaise. Bien que n’ayant pas directement participé à la Commune de Paris, son opposition au gouvernement de Thiers provoque son emprisonnement puis sa déportation le 8 août 1873, avec Louise Michel, au bagne de Nouméa, dont il réussit à s’évader. En 1874 il se réfugié à Londres et y recrée temporairement La Lanterne, dont la deuxième série paraîtra de 1874 à 1876.

A son retour en France il abandonne définitivement La Lanterne et fonde L’intransigeant, dans lequel il continue, par ses talents de polémiste et son opiniâtreté, à récolter duels, procès et condamnations. 

Il finit assez mal, bascule progressivement de l’extrême gauche au boulangisme, puis à l’ultra-nationalisme et l’antisémitisme, en particulier lors de l’affaire Dreyfus.

Le titre La Lanterne est repris en 1877 pour recréer un quotidien se revendiquant «journal républicain anti-clérical», édité jusqu’en 1938 [2].

Etonnamment, le nom d’Henri Rochefort et son triste parcours final sont réapparus lors de l’écriture de ces lignes, dans un éditorial de Jean-François Kahn pour le journal Marianne [3], en écho à l’évolution jugée « droitière » des positions du philosophe Michel Onfray, et la création par ce dernier de la revue dite «souverainiste» Front Populaire, dont le tirage des premiers numéros égala, en passant, celui du premier numéro de La Lanterne. Rapprochement de parcours récusé par l’intéressé et ses soutiens…

Pour en revenir à l’étiquette, elle a très probablement été imprimée entre 1868 et 1876, années de parution de La Lanterne et période d’activité de l’imprimeur bordelais Louis-Antoine Tanet, né en 1823, qui a obtenu en 1854 le brevet l’autorisant à exercer comme imprimeur-lithographe [4].

Liens et références :

1.  Archives de La Lanterne, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. texte de 3 numéros de la première série, du 30 mai 1868 (n° 1), du 18 octobre 1868, et du 20 novembre 1869 (n°77), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32805103j/date&rk=21459;2

2. Archives du quotidien La Lanterne, 1877 à 1928, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026/date

3. Jean-François Kahn. L’heure de vérité. Editorial, Marianne, numéro 1211 du 29 mai 2020. https://www.marianne.net/debattons/editos/heure-de-verite

4. Élisabeth Parinet, Corinne Bouquin. Ecole des Chartes et bibliothèque nationale de France. Dictionnaire des imprimeurs lithographes du XIXè siècle. http://elec.enc.sorbonne.fr/imprimeurs/node/24700

Affiche d’Eugène Ogé pour le quotidien La Lanterne (1902). 

Photo d’Henri Rochefort

© Texte posté le 27/08/2020

Une Yquem dans la tourmente

(Collection particulière)

Voici une étiquette allemande de Château Yquem assez énigmatique, surtout pour les non germanophones.

Sous le nom « Chat. de Yquem », de formulation déjà un peu étrange, l’appellation BORDEAUX. On s’attendrait plutôt à Sauternes… ou à rien, tellement la mention Yquem est connue et se suffit à elle-même en des temps où l’étiquette n’était pas le réceptacle obligé de multiples mentions légales.

La mention en petit caractères en dessous de BORDEAUX intrigue d’avantage. Elle se traduit en Français par « ou avec toute autre impression», on va voir pourquoi.

Suit un nom de société  familiale, Gebrüder (frères) Jllert, située dans la ville de Klein-Auheim-Hanau, dans l’état de Hesse. On pourrait penser qu’il s’agit du négociant ayant importé et mis en bouteilles le vin. En fait, il s’agit d’un imprimeur, comme le désigne la mention lithographische Kunstanstalt (institut ou atelier d’art lithographique).

Le numéro (7274) est le modèle de l’étiquette. La mention Goldm. 9. per 1000 correspond au prix, non du vin, mais des 1000 étiquettes, exprimé en Mark-or (Goldmark).

Il s’agit donc d’une étiquette de présentation d’un imprimeur allemand, avec numéro de modèle, prix au mille, mise en page, illustration, nom du vin que le client vigneron ou négociant peut personnaliser (et pour l’étiquette factice, pourquoi se priver du nom prestigieux d’Yquem ?!). La mention « ou avec toute autre impression » s’explique mieux. La mention finale Eindruck extra. ne signifie pas « qualité d’impression extra », mais plutôt que l’impression n’est pas comprise dans le prix annoncé des étiquettes.

Pour finir, de quand date cette étiquette ?

On peut l’estimer assez précisément, compte tenu du chaos économique qu’a traversé l’Allemagne dans les années 1920. Le prix sur l’étiquette est indiqué en Marks-or (Goldmark), qui était la monnaie de l’empire allemand indexée sur l’or. A partir de 1914 et le début de la guerre, le Mark-or n’est plus indexé sur l’or et n’existe plus de facto. Il est substitué par le papiermark, de valeur identique, qui subit l’hyperinflation qu’a connue la République de Weimar entre 1922 et 1923 (250% par mois à l’été 1923) [1]. Le cours du mark s’effondre : fin 1923 un dollar vaut officiellement 4,200,000,000,000 marks (quatre trillions deux cents milliards), alors qu’il valait 4,2 marks or avant la guerre [1]. La création en novembre 1923 du Rentenmark, monnaie un peu virtuelle à nouveau indexée sur l’or et réservée aux échanges commerciaux, contribue à stabiliser la situation.

Le 30 août 1924, les anciens marks (Goldmark ou papiermark) sont remplacés par les Reichsmarks, qui laisseront la place au Deutsche Mark en 1948.

On peut donc parier que cette étiquette lithographiée, qui n’a jamais vu une bouteille de près, figurait dans le catalogue 1923-1924 de l’imprimeur Jllert. Une autre étiquette de présentation de cet imprimeur, affichant le millésime 1921 et un prix en Goldm., corrobore cette proposition de datation. Il est intéressant de remarquer que des étiquettes plus tardives du même imprimeur portant des numéros de modèle supérieur à 10 000 voient leur prix exprimé en Reichmarks (Reichm.) et sont probablement postérieures à 1924 [2].

Liens et références :

1. Jean-François Beaulieu, L’hyper-inflation allemande sous la république de Weimar.  http://www.causes-crise-economique.com/hyper-inflation-weimar-allemagne.htm

2. Collection d’étiquettes de Rhum et d’alcools de Petr Hlousek, série d’étiquettes de l’imprimeur Jllert https://rum.cz/result.htm?rp=1&pl=20&qqdt=rum  

© Texte publié le 13/06/2020

Timbre allemand de 50 milliards de marks (1923). Source Wikipedia