L’impossible pape noir de Kolby…

Quelle étrange étiquette que celle-ci, cuvée « Le pape noir », Côtes du Rhône 1999 du domaine de Pierredon, mis en bouteilles par la coopérative « les vignerons d’Estezargues » [1].

Etrange car on ne comprend pas bien, au premier regard, le rapport entre l’illustration de l’étiquette et le vin. Le premier réflexe est de lire la contre-étiquette, mais son texte éclaire assez peu le consommateur français non polyglotte. On peut y lire, en V.O. :

« Etikettens motiv, arrangement i sort, hvitt og rødt handler om mulighetene for å nå frem i samfunnet uavhengig av hudfarge. Terje Ross Kolby (1970-) har symbolisert dette ved å male den til nå « umulige » hendelse : en farget pave »

La présence de å et de ø suggère du norvégien, ce que confirme un traducteur en ligne. En français, cela donne : « L’illustration de l’étiquette « arrangement en noir, blanc et rouge », évoque les possibilités de progresser dans la société quelle que soit la couleur de la peau. Terje Ross Kolby (1970-) l’a symbolisé en le décrivant comme un événement « impossible » : un pape de couleur. » (*)

On progresse. L’étiquette est la reproduction d’un tableau (huile sur toile de 140 x 120 cm) peint en 1998 par l’artiste norvégien Terje Ross KOLBY. Cet artiste engagé, né en 1970, est également acteur et écrivain [2].

Sur le site internet de l’artiste, le tableau est ainsi commenté (traduction de l’anglais) [3] :

« Le racisme est un problème structurel dans les sociétés du monde entier depuis que les conquérants européens ont envahi le « Nouveau Monde » d’Afrique et d’Amérique du Sud au XVIe siècle. Les peuples de ces continents ont été victimes de souffrances sans fin de la part de leurs envahisseurs blancs. En 1998, Kolby a voulu aborder ce sujet dérangeant et il a cherché un motif exprimant le racisme. Il a cherché « l’image impensable ». (…)

« Kolby n’a pas trouvé d’autre symbole qui puisse expliquer de manière aussi visuelle la pensée de l’égalité humaine que le portrait du premier pape de couleur de l’histoire moderne. L’artiste considère « Arrangement en noir, blanc et rouge » non seulement comme un tableau traitant de la papauté, mais comme un archétype de toutes les positions où la couleur d’une personne semblerait problématique.

Détail du tableau, partiellement coupé sur la reproduction de l’étiquette [3])

 Sur la lettre que tient ce futur pape, est écrit  » TERTIUM MILLENNIUM ADVENIENS » (L’avènement du 3e millénaire). (…)

La question est de savoir quand le Vatican et les Princes rouges de l’Église catholique seront prêts à élire un dirigeant d’un pays africain ou sud-américain ? Depuis 1998, l’image peinte par Kolby s’est répandue dans le monde entier dans divers médias, gagnant le nom de  » Le pape noir  » (…) ».

Après un rappel sur les évènements encourageants qu’ont été les élections de trois dirigeants noirs, Nelson Mandela à la présidence de l’Afrique du Sud en 1994, Kofi Annan comme secrétaire général de l’ONU en 1997 et Barack Obama à la présidence des Etats Unis d’Amérique en 2008, la notice du tableau se termine par ces mots :

« Le ministère des Affaires étrangères norvégien a exposé le tableau dans plusieurs ambassades en Europe. Pendant deux ans, le pape de Kolby est resté accroché dans l’ambassade norvégienne à Rome, devenant un sujet de discussion parmi les invités diplomatiques. Bien que ce soit le rêve de millions de personnes, l’Église catholique continuera-t-elle à hésiter à élire un pape d’un pays africain ou sud-américain ? Après 1 600 ans, quand viendra le temps d’élire un autre pape noir ? »

On peut effectivement se poser la question, lorsqu’on assiste dans toutes les régions de France métropolitaine à des offices catholiques célébrés par des prêtres venus d’Afrique sub-saharienne. En 2013, pour la première fois, c’est un pape venant d’Amérique du Sud qui a été élu ; décrit initialement comme « ouvert » (mais pas sur tous les sujets), critiqué par les plus conservateurs, mais toujours blanc, argentin d’ascendance piémontaise.

Tout cela n’expliquait pas la raison pour laquelle une cuvée de Côtes du Rhône méridionale a rendu hommage à ce tableau et à l’artiste norvégien. Contacté, l’artiste a indiqué que l’initiative lui a été proposée par des amis importateurs de vins et qu’il a été très heureux d’y participer.

Le choix du vin fait honneur à l’artiste. Le domaine viticole de Pierredon propose deux cuvées, toutes vinifiées en bio, un AOC Côtes du Rhône (vin décrit comme croquant aux tannins soyeux, issu d’un assemblage 60 % Syrah et 40 % Grenache, celui de la cuvée le Pape Noir) et un AOC Côtes du Rhône Villages Signargues. C’est un vin riche et complexe issu de Grenache et Mourvèdre à parts égales (excellent, j’ai goûté le 2009). L’appellation CDR Villages-Signargues est venue récompenser en 2005 un travail qualitatif remarquable. La SCA « Les vignerons d’Estézargues » qui commercialise les vins du domaine, est une petite et attachante coopérative gardoise (30390), soucieuse d’une haute qualité et du respect de la nature depuis sa fondation en 1965 (Label Terra Vitis [4], puis totalité de la production labellisée bio) [1]. Dans un article bien documenté, elle est qualifiée par un négociant importateur des USA ( Vintage59), comme « une coopérative française à part, l’une des meilleures – sinon la meilleure – du pays » [5].

Le domaine du Moulin de Pierredon, propriété familiale, est également un producteur renommé d’huile d’olive, multi primée [6].

Etiquette de 2009 du domaine de Pierredon, Côtes du Rhône Villages Signargues

* Détail amusant, une des traductions automatiques (par « Google traduction® » ) du titre du tableau écrit sans utiliser les caractères spéciaux norvégiens, était : « Arrangement en noir, blanc et désordre », car en Norvégien, rouge s’écrit « rød » ou « rødt » selon la déclinaison, et « rot », sans le O barré, signifie désordre ! Ce jeu de mot involontaire de l’intelligence artificielle était assez pertinent, compte tenu du caractère volontairement provocateur du tableau …

Ross Kolby devant son tableau en 2024 / Ross Kolby in front of his painting in 2024. © Photo Copyright : Ross Kolby.
Reproduit avec la permission de l’artiste / reproduced with permission of the artist

La suite…

Une occasion ratée ? Dessin de LB publié dans le magazine Marianne (numéro 1468 du 30 avril au 6 mai 2025), après la mort du pape François le 21 avril 2025 et avant la réunion en conclave des cardinaux le 7 mai…

© Marianne (dessin de LB)

Liens et références :

1. Site de la coopérative les vignerons d’Estezargues, groupe de vignerons de Signargues. https://www.signargues.com/chateaux-domaines/les-vignerons-destezargues/#

2. Site de l’artiste (Terje) Ross Kolby. https://www.rosskolby.com/

3. Commentaire du tableau « Arrangement en noir, blanc et rouge / Arrangement in black, white and red ». https://www.rosskolby.com/work/arrangement-in-black-white-and-red-the-black-pope

4. Pour des détails des certifications Terra Vitis et bio, voir notre article « Plus bio que bio… » https://histoiresdetiquettes.com/2023/05/25/plus-bio-que-bio/

5. Site du négociant importateur Vintage’59, article consacré au Domaine de Pierredon https://vintage59.com/our-portfolio-2/pierredon-rhone/

6. Site du Moulin de Pierredon.  https://www.moulin-pierredon.com/

© Texte posté le 01/01/2025, modifié le 05/06/2025.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur.

Une perle nordique …

Cette étiquette « Perle de Lovisa », de Champagne Théophile Roederer et Cie, n’a pas de lien avec la marque australienne de bijouterie fantaisie et de piercing du même nom, bien qu’elle aussi propose des perles [1]. La marque de bijouterie a été créée en 2010 et notre étiquette, une chromolithographie glacée ou « paraffinée », est typique de la fin du XIXème siècle.

Le nom de « Lovisa » et les 3 drapeaux en bas de l’étiquette orientent vers la Scandinavie.

Lovisa, c’est Louise en Suédois. Le haut de l’étiquette arbore une couronne royale. L’étiquette est un hommage à Louise de Suède (1851-1926), fille du roi de Suède. Et très probablement à son mariage en 1869 avec le futur roi du Danemark.

Louise est née à Stockholm en 1851, à une période où les royaumes de Suède et de Norvège étaient unis [2]. C’est ce que traduisent les modèles particuliers des drapeaux norvégien en bas à gauche et suédois en bas à droite de l’étiquette, qui comportent tous les deux dans leur quadrant supérieur gauche, vers la hampe, un autre petit drapeau, carré pour la Norvège, rectangulaire pour la Suède (soyons précis !). Celui-là :

Cette « marque »  commune avait pour but de symboliser l’égalité des deux royaumes unis. Elle servait d’ailleurs de pavillon aux navires de commerce et de drapeau commun aux représentations diplomatiques des deux pays [3].

Drapeaux civils et militaires de la Suède et de la Norvège en 1899. Plaquette publiée par le ministère des affaires étrangères de Suède-Norvège pour annoncer le changement récent (Souce : Wikipedia [3])

Mais tout à une fin. L’union avec la Suède devint très impopulaire en Norvège et en 1899, l’assemblée nationale de Norvège décida d’abolir l’utilisation de l’emblème commun dans les drapeaux nationaux et marchands. Emblème qui resta par contre présent sur les drapeaux suédois jusqu’en 1905, date de la séparation définitive des deux pays et de l’indépendance de la Norvège.

Le drapeau central sur l’étiquette de Champagne est celui du Danemark qui, lui, n’a jamais varié depuis… 1214 !

Pourquoi penser que cette étiquette date de 1869 et commémore le mariage de Lovisa avec Frédéric, futur roi du Danemark, et leur installation à Copenhague en 1869 ? Simple déduction. L’étiquette est postérieure à 1864, date de la création de la marque Théophile Roederer et Cie [4], et antérieure à 1899, puisque cette date correspond à l’abandon de la marque d’union Suède-Norvège sur le drapeau norvégien. Elle ne peut pas avoir commémoré la naissance de Lovisa (1851), ni son accession au titre de reine du Danemark (1906).

Deux autres étiquettes de « Perles » de la fin du XIXème siècle, « Les Perles de la Champagne », véritable Champagne de la maison Renaudin Bollinger, et « Perle des Rheins », habile évocation champenoise pour un Sekt de Mayence !

Liens et références :

1. La page « Perles » ou « Pretty in perls » du site du bijoutier Lovisa (https://www.lovisajewellery.eu/collections/pretty-in-pearl )

2. Site Wikipedia en Français « Drapeau de la Norvège » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Drapeau_de_la_Norv%C3%A8ge)

3. Site Wikipedia en Anglais « Flag of Sweden » (https://en.wikipedia.org/wiki/Flag_of_Sweden)

4. Théophile Roederer et Cie,  maison de négoce fondée à Reims en 1864 est à la fois indépendante et liée à l’historique maison Louis Roederer. Cette dernière est beaucoup plus ancienne, créée à Reims en 1776. Louis Roederer est célèbre à la fin du XIXème siècle pour ses succès à l’export en particulier vers la Russie et pour la fameuse cuvée Cristal créée pour le Tsar Alexandre II (voir notre article sur les vins du Tsar). La société Théophile Roederer et Cie, probablement crée par opportunisme commercial à la limite de la contrefaçon (mais jugée légale), a finalement été rachetée par les champagne Louis Roederer en 1904.

© Texte posté le 30/09/2022.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur.