La Lanterne de Rochefort

(Dimension de l’étiquette originale :  mm)

La symbolique de la lanterne, le fond rouge vif, le graphisme accrocheur…. Tout laissait penser que cette étiquette était celle d’un Champagne servi à la fin du XIXème siècle dans une maison close de la ville de Rochefort.

Fausse piste… La Lanterne en question, bien qu’également sulfureuse, n’a rien à voir avec la prostitution.

Il s’agit du journal hebdomadaire satirique fondé en mai 1868 par Henri Rochefort (1831-1913). Descendant d’une famille noble ruinée à la révolution, Victor Henri de Rochefort-Luçay a commencé sa carrière comme journaliste (Le Charivarile Figaro) et auteur de vaudevilles, avant de créer ses propres journaux, La Lanterne, La Marseillaise, Le Mot d’ordre, l’Intransigeant.

La Lanterne est donc le premier d’entre eux, créé à la faveur de la nouvelle loi de libéralisation de la presse de 1868. Polémiste acharné, Rochefort y défend des idées politiques radicales, socialistes, très hostiles à l’empire. Le premier numéro [1], publié le 30 mai 1868, est un succès. Tiré à 15 000 exemplaires, il est réédité pour atteindre plus de 100 000 exemplaires. Son format est compact, sa couverture rouge, le graphisme du titre et la lanterne allumée se retrouvent sur notre étiquette. L’introduction de son éditorial est resté célèbre : « La France contient, dit l’Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement.» 

Résultat rapide : A partir d’août 1868 ( et le n° 11) La Lanterne est interdite et Rochefort emprisonné !

Couverture de La Lanterne et fac-similé du début de l’éditorial du premier numéro

Libéré, Rochefort s’exile en Belgique ou il est hébergé par un autre opposant célèbre à Napoléon III, Victor Hugo. La Lanterne poursuit ses parutions depuis la Belgique et se vend clandestinement en France, toujours avec succès.

Rochefort revient en France, est élu député d’extrême-gauche de Paris en 1869. Il arrête La Lanterne pour fonder La Marseillaise. Bien que n’ayant pas directement participé à la Commune de Paris, son opposition au gouvernement de Thiers provoque son emprisonnement puis sa déportation le 8 août 1873, avec Louise Michel, au bagne de Nouméa, dont il réussit à s’évader. En 1874 il se réfugié à Londres et y recrée temporairement La Lanterne, dont la deuxième série paraîtra de 1874 à 1876.

A son retour en France il abandonne définitivement La Lanterne et fonde L’intransigeant, dans lequel il continue, par ses talents de polémiste et son opiniâtreté, à récolter duels, procès et condamnations. 

Il finit assez mal, bascule progressivement de l’extrême gauche au boulangisme, puis à l’ultra-nationalisme et l’antisémitisme, en particulier lors de l’affaire Dreyfus.

Le titre La Lanterne est repris en 1877 pour recréer un quotidien se revendiquant «journal républicain anti-clérical», édité jusqu’en 1938 [2].

Etonnamment, le nom d’Henri Rochefort et son triste parcours final sont réapparus lors de l’écriture de ces lignes, dans un éditorial de Jean-François Kahn pour le journal Marianne [3], en écho à l’évolution jugée « droitière » des positions du philosophe Michel Onfray, et la création par ce dernier de la revue dite «souverainiste» Front Populaire, dont le tirage des premiers numéros égala, en passant, celui du premier numéro de La Lanterne. Rapprochement de parcours récusé par l’intéressé et ses soutiens…

Pour en revenir à l’étiquette, elle a très probablement été imprimée entre 1868 et 1876, années de parution de La Lanterne et période d’activité de l’imprimeur bordelais Louis-Antoine Tanet, né en 1823, qui a obtenu en 1854 le brevet l’autorisant à exercer comme imprimeur-lithographe [4].

Liens et références :

1.  Archives de La Lanterne, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. texte de 3 numéros de la première série, du 30 mai 1868 (n° 1), du 18 octobre 1868, et du 20 novembre 1869 (n°77), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32805103j/date&rk=21459;2

2. Archives du quotidien La Lanterne, 1877 à 1928, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026/date

3. Jean-François Kahn. L’heure de vérité. Editorial, Marianne, numéro 1211 du 29 mai 2020. https://www.marianne.net/debattons/editos/heure-de-verite

4. Élisabeth Parinet, Corinne Bouquin. Ecole des Chartes et bibliothèque nationale de France. Dictionnaire des imprimeurs lithographes du XIXè siècle. http://elec.enc.sorbonne.fr/imprimeurs/node/24700

Affiche d’Eugène Ogé pour le quotidien La Lanterne (1902). 

Photo d’Henri Rochefort

© Texte posté le 27/08/2020