(Dimensions de l’étiquette originale : 95 x 55 mm)
Voici une étiquette lithographiée de Champagne (Sillery Mousseux) du XIXème siècle, destinée à l’export aux Etats Unis d’Amérique et célébrant, comme son nom COMET l’indique, une comète.
De quelle comète s’agit-il, la comète qui a donné son nom au « vin de la comète » ou une autre comète ?
1. La grande comète du « vin de la comète »
Le vin de la comète, surtout le vin de Champagne, a été longtemps célébré tant par les vignerons que les poètes [1]:
Le soir, déjà ; son traîneau glisse,
Si vite qu’il effraie les gens ;
Le givre luit sur sa pelisse
Et tremble en poussière d’argent.
Il file chez Talon; il dîne
En compagnie de Kavérine.
Il entre — un jet mousseux d’Aÿ
De la comète qui jaillit (…)
(Pouchkine, Eugène Onéguine, 1823-1831)
La comète du « vin de la comète » est la grande comète de 1811, appelée aussi Comète de Napoléon. Personne ne se souvient de son vrai nom (C/1811 F1) ni de celui de son découvreur (Honoré Flaugergues, astronome amateur français). Personne n’attend son retour car sa périodicité est de plus de 3000 ans et elle ne repassera pas à proximité de la terre avant l’année l’an 4906 du calendrier occidental !
La grande comète de 1811 a marqué les esprits et les vignerons pour deux raisons principales : son caractère spectaculaire, avec une très longue queue, visible pendant 9 mois consécutifs (entre mars 1811 et le début de 1812 et particulièrement pendant les vendanges de 1811), et l’association à des conditions climatiques optimales qui ont conduit à un millésime exceptionnel pour le vin, tant en qualité qu’en quantité. Surtout en Champagne. Pour les maisons champenoises, cette année salvatrice a fait suite à plusieurs années catastrophiques et un marché international, en particulier russe, sinistré par les guerres napoléoniennes. Ce que décrit très bien Roger Pourteau dans un article publié dans le Figaro le 19/03/2011 [2] :
« C’est en 1814 que le millésime de la comète révéla toutes ses qualités. Après trois années détestables (1805, 1808 et 1809), la vendange 1811, commencée en septembre (un gage de réussite), a mis un terme à une série noire qui menaçait plus d’une maison. Pour la Veuve (Cliquot), le salut vint de Russie où étaient parvenus des échos flatteurs du « vin de la comète ». Commandes massives donc assorties d’une exigence : que les bouteilles soient identifiées par une vignette portant la mention «Vin 1811 de la comète». Réalisées à la main, elles furent les toutes premières étiquettes de la Champagne, l’usage n’en sera généralisé que quarante ans plus tard. »
Je ne connais pas d’exemplaires originaux d’étiquettes de vin de la comète. Comme le précise l’article du Figaro [2], les étiquettes du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin commandé en Russie étaient manuscrites, et il n’y en a aucune trace connue (peut-être y en a-t-il dans des archives russes non encore publiées ?).
Par contre, je dispose d’une série de fac-similés d’étiquettes des origines de la maison Moët et Chandon éditée dans les années 1960. Les reproductions concernent des étiquettes du début du XIXème siècle et de la fin du XVIIIème. Parmi elles, une étiquette de Jean Rémy Moët (1758-1841, petit-fils de Claude Moët fondateur de la marque) porte la mention, également manuscrite à l’origine, de « vin d’Aÿ blanc crémant de 1811 ».

L’étiquette a la forme en écu de l’étiquette de la cuvée Dom Pérignon et arbore comme elle, en bas, une étoile à 5 branches, rappel stylisé de la comète de 1811. Etoile qui figure constamment sur la quasi-totalité des étiquettes de Moët jusqu’à nos jours….
2. La comète de Halley
La plus connue est la comète de Halley, qui passe à proximité du soleil et est donc visible de la terre tous les 76 ans : 1986, 1910, 1835, 1758, etc…
Trois passages peuvent avoir été commémorés sur des étiquettes de vin : 1986, 1910 et 1835 puisqu’en 1758 et avant, les étiquettes telles que nous les connaissons, imprimées sur papier et collées sur les bouteilles, n’existaient pas. On considère en effet que les premières étiquettes imprimées datent de 1800 ou de la toute fin du XVIIIème siècle [3]. L’essor de l’étiquetage nait avec la lithographie, inventée dès 1798. Mais les premières étiquettes de vins lithographiées ne sont apparues qu’à partir de 1820 et étaient réservées aux vins de haut de gamme, vins allemands, puis vins de Champagne, de Bordeaux et de Bourgogne.
Cette étiquette « COMET » de Sillery mousseux commémore-t-elle le passage de 1910 ou de 1835 ? Difficile à affirmer en l’absence de millésime. Mais le style de l’étiquette lithographiée et les inscriptions peuvent tout à fait correspondre au début du XIXème siècle. Une étiquette de Sillery millésimée 1834, conservée par la médiathèque d’Epernay et reproduite dans le livre L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles [4] est très proche graphiquement. Donc on pencherait plutôt pour une commémoration du passage de la comète de Halley en 1835…
Pas d’ambiguïté de comète ni de datation (1835) avec la magnifique étiquette de Sillery première qualité de la maison Renaudin Bollinger « Haley’s comet brand », destinée au marché américain, reproduite dans le livre de référence « L’étiquette du Champagne » de Georges Renoy [5].

Le passage de la comète de Halley en 1986 a également été l’occasion d’étiquetage commémoratif, et pas uniquement en Champagne !



3. Traces de comètes sur étiquettes célèbres …
De nombreuses étiquettes et bouchons de Champagne, anciens ou actuels, gardent une trace de la grande comète de 1811. Les deux plus beaux exemples sont les champagnes Veuve Cliquot Ponsardin et Moët et Chandon.
La comète du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin
Les étiquettes de Veuve Clicquot Ponsardin ont affiché, depuis l’époque de la première comète jusque dans les années 1980, une étoile et une queue de comète au centre d’un cercle portant en périphérie les noms V CLIQUOT P et WERLE. [6]


Hélas, la comète des origines a disparu des étiquettes de la maison à partir des années 1980, remplacée par l’autre symbole de la maison : l’ancre de marine. Exit aussi le nom et la référence à Edouard Werlé, jeune employé (1821) puis associé (1830), puis successeur de Madame Clicquot à son décès en 1866. Il a également été maire de Reims 1852 à 1868, député de Reims de 1862 à 1870, commandeur de la légion d’honneur, président du tribunal de commerce, conseiller général de la Marne et président honoraire du syndicat des vins de Champagne….. Un personnage important, donc.
Trois étapes de la célèbre étiquette jaune du Champagne Veuve Clicquot Ponsardin, la dernière version avec la comète (fin des années 1970), la première sans (années 1980) et la version actuelle (années 2010-2020). (collection de l’auteur)

Les bouchons de la maison Veuve Cliquot Ponsardin ont également arboré la comète complète ou l’étoile seule pyrogravées (illustration), rejoints par de très nombreux producteurs.

C’est d’ailleurs ce qui a permis l’identification de bouteilles de Champagne lorsque des plongeurs ont remonté en juillet 2010 du fond de la mer Baltique 168 bouteilles de champagne, dont 47 de Veuve Clicquot facilement identifiées grâce à la marque apposée sur les bouchons représentant la comète [2]. Auparavant, les bouchons de la Veuve étaient marqués de l’ancre, symbole d’avenir et de prospérité, qui a détrôné la comète sur les étiquettes.
La comète du Champagne Moët et Chandon
Chez Moët, comme on l’a vu, pas de comète complète, mais une simple étoile, présente depuis les origines sur quasiment toutes les étiquettes de la maison (sauf quelques étiquetages pour l’export). Mais si l’étoile est toujours présente, elle diminue nettement en taille (illustration), témoin volontaire ou non de l’éloignement progressif de la comète des origines mais aussi de l’amnésie progressive de la symbolique de la comète après plus de 150 ans….

Trois étapes de l’étiquette de cuvée brut impérial de Moët et Chandon, l’étoile se rétrécit, comme la comète qui s’éloigne….
(Collection de l’auteur)
Les comètes s’éloignent de la terre et disparaissent des étiquettes…
Les étiquettes de la maison de champagne Delamotte Père et Fils (Le Mesnil sur Oger) arboraient une des plus belles comètes, d’abord sur la collerette, puis sur les étiquettes, déclinées en plusieurs couleurs. Mais là encore, les dernières versions des étiquettes de cette maison ont abandonné la comète et ont évolué vers une assez triste austérité.


Même constatation pour la discrète comète des Champagne Bollinger, présente sur certaines séries d’étiquettes de la fin du XIXème siècle, encore présente sur quelques étiquettes des années 1970, dont celle la célèbre cuvée Vieilles Vignes Françaises, avant de totalement disparaitre au cours des années 1980.


Etiquettes Bollinger du XIXème et plus récentes de la cuvée Vieilles vignes françaises, avec puis sans symbole de la comète (collection de l’auteur)
On remarque que la plupart des grandes maisons de Champagne qui affichaient ou affichent encore des comètes sur leur étiquettes ont été créées à la fin du XVIIIè siècle (Moët et Chandon 1742, Delamotte P et F 1760, Veuve Cliquot Ponsardin 1772, Heidsieck 1785) et étaient donc en pleine activité au moment du passage de la comète de 1811. Simple coïncidence ?
Pour la maison fondée en 1838 à Aÿ par William Deutz et Pierre Geldermann, devenue Deutz tout court dans les années 1980, l’apparition de la comète fut éphémère…

4. Vin de la comète, vin d’exception…
Mais si on se base sur l’évolution des étiquettes de ces maisons de Champagne, force est de constater que la référence à la comète comme symbole d’un vin exceptionnel s’estompe voire disparait totalement des cerveaux des femmes et hommes de marketing champenois actuel. Il faut dire que plus de 200 ans ont passé et que le symbole a quand même tenu le coup pendant plus de 150 ans….
Quelques cuvées modernes continuent pourtant à se revendiquer d’une comète, non pas d’un moment précis ou d’une comète identifiée, mais d’une comète en général. C’est le cas (liste non exhaustive) d’un Sancerre (domaine Paul Prieur et Fils), d’un Crémant de Loire (Vincent Esnou, domaine de la Belle Etoile), d’un Jurançon sec (Maxime Salharang, Clos Larrouyat, Maison Dubecq), d’un autre Jurançon vendanges tardives cette fois (Pascal Labasse, domaine de Bellegarde), d’un vin blanc du domaine des Grillons (Côtes du Rhône), ainsi que d’une cuvée « queue de comète » (Cotes du Rhône blanc, domaine Gramillier).

Reprenant l’association entre millésime exceptionnel et comète, un vigneron a nommé « cuvée de la comète » une vendange tardive particulièrement réussie en 2017, alors que 2018, 2019 et 2020 n’avaient rien donné. Sa réponse à la question « Pourquoi une cuvée Comète ? » a été étonnante : « Parce qu’une comète ça passe, et on ne sait pas quand elle reviendra » Affirmation sympathique, mais totalement infondée car, comme on l’a vu, si les années exceptionnelles sont imprévisibles pour le vin, les calculs des astronomes sont d’une grande fiabilité pour établir la périodicité de passage de toutes les comètes connues !
5. Pluie de comètes sur étiquettes et collerettes…
Toute référence à la comète n’a donc pas disparu de nos étiquettes de vins. Amis collectionneurs, regardez vos étiquettes, de Champagne surtout. Vous serez surpris de découvrir ici ou là une comète stylisée, une étoile, soit sur l’étiquette elle-même, soit plus discrètement sur la collerette seule comme dans les quelques exemples montrés ici.



Liens et références :
1. Le vin de la comète. Blog Au bon clos. Publié le 12 septembre 2011.
2. Roger Pourteau. La comète de 1811 veille encore sur Veuve Clicquot. © Le Figaro, publié le 19/03/2011 ;
3. Georges Renoy. Le livre de l’étiquette de vin. © Bruxelles, Racine/ Paris, Vilo, 1995
4. Marie-Thérèse Nolleau Pierre Guy. L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles, © 2015, Gueniot Dominique Editions
5. Georges Renoy. L’étiquette du Champagne. Editions Racine, 1996.
6. Les femmes et les maisons de Champagne. Veuve Cliquot Ponsardin. Reims Champagne actu, publié le 21 juin 2006.

© Texte posté le 31/10/2021, mis à jour le 25/10/2024 et le 06/01/2025

LA SUITE ….
- Un dimanche de fin novembre, on débouche une bouteille de Vouvray, et devinez ce que je découvre, gravé sous le bouchon ?

2. Pour illustrer notre propos, voici un petit jeu : quelle est la différence entre ces deux étiquettes de Champagne brut rosé de Damery ? Un indice : la première est probablement antérieure à 1992, la seconde postérieure …

Autre indice, c’est sur la collerette que ça se passe ! Eh oui, le vigneron a voulu apposer sur son étiquette le logo « point vert », attribué depuis 1992 aux entreprises qui contribuent financièrement au dispositif de recyclage de l’emballage. Et hop, bonjour le point vert et adieu la comète, une nouvelle fois !