Dernière cuite avant raison?

Etiquette sobre, texte court : ultima gueula lignea

Le texte, extra brut, signifie « ultime gueule de bois » en latin de cuisine. Si ultima (dernière, ultime) et lignea (féminin de ligneus, de bois) existent effectivement, pas de trace de gueula en latin. Même si Georges Feydeau s’en amuse dans les premières scènes de La dame de chez Maxim et légitime gueula lignea comme traduction latine de gueule de bois. Extrait (Acte 1, Scène 1) :

« (…)

Mongicourt, avec une tape amicale sur l’épaule.

À ce point ? Oh ! la la, mais tu es flappi, mon pauvre vieux !

Petypon.

À qui le dis-tu ! Oh ! ces lendemains de noce !… ce réveil !… Ah ! la tête, là !… et puis la bouche… mniam… mniam, mniam…

Mongicourt, d’un air renseigné.

Je connais ça !

Petypon.

Ce que nous pourrions appeler en terme médical…

Mongicourt.

La gueule de bois.

Petypon, d’une voix éteinte, en passant devant Mongicourt.

Oui.

Mongicourt.

En latin « gueula lignea ». (…)»

Le graphisme et la bichromie noir/blanc de l’étiquette évoquent plus un faire-part de décès qu’une étiquette de vin mousseux. Ce n’est pas un hasard : cette étiquette du début du XXè siècle a été conçue pour habiller une bouteille dédiée à un enterrement de vie de garçon !

D’où l’aspect funèbre de sa présentation, qui contraste avec l’invitation à la beuverie, traditionnelle dans ce rituel de passage de la vie de célibataire à la vie rangée de bon mari. Longtemps réservée aux seuls hommes, cette coutume remonterait au XVIIIème siècle. Le témoin du marié organisait avec ses amis proches un dîner fortement arrosé, souvent suivi par une soirée dans une maison close. Peut-être pour que le futur marié ne soit pas trop emprunté la nuit de ses noces à une époque où il n’y avait ni cours d’éducation sexuelle ni internet.

Chez les garçons, l’enterrement de vie de célibataire a évolué vers l’organisation d’activités sportives collectives, randonnée, saut à l’élastique, baptême de parachute, ou des sorties déguisées avec gages que doit honorer le futur marié. L’alcool reste au rendez-vous.

Les enterrements de vie de jeune fille, organisés uniquement entre filles sur le même modèle, ont débuté dans les années 1970. Ces fêtes sont maintenant parfois mixtes.

Les sociétés commerciales et les sites proposant d’organiser des enterrements de vie de célibataires ont fleuri. Certains d’entre eux, surtout destinés aux filles, voudraient supprimer le nom d’ « enterrement de vie de jeune fille » et proposent à la place EVJF (ce qui change effectivement tout), prétextant le caractère trop triste du mot enterrement pour un tel événement festif !

A l’opposé du caractère funéraire assumé de cette étiquette ancienne, correspondant à une époque où la soirée pouvait comporter un véritable simulacre d’enterrement, avec mise en terre d’un cercueil rempli par le futur marié de ses souvenirs de célibataire.

Texte publié le 02/05/2020