L’énigme de Fischart

(Dimensions de l’étiquette originale :  130 x 93 mm)

Cette étiquette ancienne de vin d’Alsace rend hommage à Johann Fischart (1545-1590), natif de Strasbourg, et considéré comme un des premiers grands écrivains de langue allemande. Contemporain de Rabelais dont il a traduit une partie de l’œuvre, il s’en rapprochait par sa truculence et son inventivité littéraire. Fischart a célébré le vin, en particulier les crus de son Alsace natale.

L’étiquette de B. Ziegler, viticulteur à Orschwihr (68500), porte dans la banderole du bas une citation de l’écrivain rendant hommage à un cru de la ville, le Lippelsberg. Il y est écrit :

« Ô Bollenberger Ô Lüppelsberger von Orschweier

   Wie seid ihr meiner lippen so teuer »

Ô Bollengerg Ô Lippelsberg d’Orschwhir

Que vous êtes chers à mes lèvres !

Contigu avec le grand cru Pfingstberg sur la commune d’Orschwhir, le Lippelsberg est selon l’ancien site du domaine Materne Haegelin [1] qui l’exploite aujourd’hui « le premier vin d’Alsace à avoir été désigné selon son lieu de production. Ce vin est déjà cité en 1287 sous le nom de “Luphersberg”. Il est exploité par les évêques de Strasbourg, qui dès 1526 en font leur vin de fête ». 

Comme ancrage historique, on fait difficilement mieux.

Là où l’étiquette devient originale et amusante, c’est que la citation de l’étiquette semble avoir été subtilement modifiée par rapport à celle d’origine de Fischart.

Selon le Traité de la vigne et de ses produits de Ludovic Portes paru en 1886 [2], Fischart aurait en fait écrit :

« O Katzenthaler und Lüppelsberger von Reichenweier

Wie halten euch meine Lippen so teuer ! »

Ô Katzenthal et Lippelsberg de Riquewihr,

Comme vous êtes restés chers à mes lèvres !

Ah ! Pourquoi avoir supprimé sur l’étiquette la référence originale aux crus de Katzenthal et de Riquewihr ? 

D’abord, parce que le grand écrivain semble s’être trompé, en situant le Lippelsberg à Riquewihr et pas à Orschwir, située 30 km au sud. Le vigneron n’aurait alors fait que rétablir la vérité géographique. Ensuite, parce que Katzenthal n’est pas du tout un grand cru de Riquewihr, mais une commune distante de 10 km qui a ses propres grands crus (Florimont, Sommerberg et Wineck-Schlossberg).

Vous suivez ?… Une aspirine ? … Une lampée de Gewurz vendanges tardives ? [3] (sinon, il y un glossaire des noms de communes et de crus  un peu plus bas …)

On peut donc imaginer que par souci de cohérence, le vigneron a supprimé la référence aux crus de la commune de Katzenthal, pour lui préférer Bollenberg, nom d’une colline et d’un vignoble renommés proches d’Orschwihr.

C’est ainsi que la citation figurant sur l’étiquette serait devenue : « Ô Bollenberger Ô Lüppelsberger von Orschweier Wie seid ihr meiner lippen so teuer ». 

Si l’hypothèse est exacte, voici un joli tour de passe-passe, qui a le mérite de la cohérence géographique actuelle, à défaut du respect historique de la citation d’origine.

A moins que la dénomination des crus et communes viticoles soit totalement différente au XVIème et au XXème siècle, ce qui parait très improbable ; ou encore que Fischart n’ait produit plusieurs versions de son éloge aux crus d’Alsace. Si vous avez la solution de cette énigme….

Glossaire. Pas facile (pour les non-Alsaciens) de s’y retrouver entre tous ces noms de villages, de lieux-dits, de montagnes et de vignobles, parmi lesquels les 51 terroirs remarquables qui ont droit à l’appellation officielle «Alsace Grand Cru» créée en 1975. Voici un petit tableau explicatif des noms cités dans cet article. Vous pouvez aussi le site du comité interprofessionnel des vins d’Alsace, très complet [4] ainsi que le magnifique site d’Etienne Jadoul, oenographile spécialiste des vins d’Alsace [5].

Liens et références :

1. Riesling Lippelsberg de Materne Haegelin : http://www.materne-haegelin.fr/

2. Ludovic Portes, Traité de la vigne et de ses produits. Editions Doin, Paris, 1886 ; réédition Nabu Press 2010

3. Comme Gewurztraminer vendanges tardives, je recommande chaleureusement celui du domaine Bernhard et Reibel, de Chatenois. Très bon et bio, en plus !

4. Site du comité interprofessionnel des vins d’Alsace, détaillant les grands crus d’Alsace et leur commune d’implantation.

5. Etiquettes de vins d’Alsace. Collection en oenographilie alsacienne. Site wordpress de Etienne Jadoul.

© Texte posté le 20/09/2020

La Lanterne de Rochefort

(Dimension de l’étiquette originale :  mm)

La symbolique de la lanterne, le fond rouge vif, le graphisme accrocheur…. Tout laissait penser que cette étiquette était celle d’un Champagne servi à la fin du XIXème siècle dans une maison close de la ville de Rochefort.

Fausse piste… La Lanterne en question, bien qu’également sulfureuse, n’a rien à voir avec la prostitution.

Il s’agit du journal hebdomadaire satirique fondé en mai 1868 par Henri Rochefort (1831-1913). Descendant d’une famille noble ruinée à la révolution, Victor Henri de Rochefort-Luçay a commencé sa carrière comme journaliste (Le Charivarile Figaro) et auteur de vaudevilles, avant de créer ses propres journaux, La Lanterne, La Marseillaise, Le Mot d’ordre, l’Intransigeant.

La Lanterne est donc le premier d’entre eux, créé à la faveur de la nouvelle loi de libéralisation de la presse de 1868. Polémiste acharné, Rochefort y défend des idées politiques radicales, socialistes, très hostiles à l’empire. Le premier numéro [1], publié le 30 mai 1868, est un succès. Tiré à 15 000 exemplaires, il est réédité pour atteindre plus de 100 000 exemplaires. Son format est compact, sa couverture rouge, le graphisme du titre et la lanterne allumée se retrouvent sur notre étiquette. L’introduction de son éditorial est resté célèbre : « La France contient, dit l’Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement.» 

Résultat rapide : A partir d’août 1868 ( et le n° 11) La Lanterne est interdite et Rochefort emprisonné !

Couverture de La Lanterne et fac-similé du début de l’éditorial du premier numéro

Libéré, Rochefort s’exile en Belgique ou il est hébergé par un autre opposant célèbre à Napoléon III, Victor Hugo. La Lanterne poursuit ses parutions depuis la Belgique et se vend clandestinement en France, toujours avec succès.

Rochefort revient en France, est élu député d’extrême-gauche de Paris en 1869. Il arrête La Lanterne pour fonder La Marseillaise. Bien que n’ayant pas directement participé à la Commune de Paris, son opposition au gouvernement de Thiers provoque son emprisonnement puis sa déportation le 8 août 1873, avec Louise Michel, au bagne de Nouméa, dont il réussit à s’évader. En 1874 il se réfugié à Londres et y recrée temporairement La Lanterne, dont la deuxième série paraîtra de 1874 à 1876.

A son retour en France il abandonne définitivement La Lanterne et fonde L’intransigeant, dans lequel il continue, par ses talents de polémiste et son opiniâtreté, à récolter duels, procès et condamnations. 

Il finit assez mal, bascule progressivement de l’extrême gauche au boulangisme, puis à l’ultra-nationalisme et l’antisémitisme, en particulier lors de l’affaire Dreyfus.

Le titre La Lanterne est repris en 1877 pour recréer un quotidien se revendiquant «journal républicain anti-clérical», édité jusqu’en 1938 [2].

Etonnamment, le nom d’Henri Rochefort et son triste parcours final sont réapparus lors de l’écriture de ces lignes, dans un éditorial de Jean-François Kahn pour le journal Marianne [3], en écho à l’évolution jugée « droitière » des positions du philosophe Michel Onfray, et la création par ce dernier de la revue dite «souverainiste» Front Populaire, dont le tirage des premiers numéros égala, en passant, celui du premier numéro de La Lanterne. Rapprochement de parcours récusé par l’intéressé et ses soutiens…

Pour en revenir à l’étiquette, elle a très probablement été imprimée entre 1868 et 1876, années de parution de La Lanterne et période d’activité de l’imprimeur bordelais Louis-Antoine Tanet, né en 1823, qui a obtenu en 1854 le brevet l’autorisant à exercer comme imprimeur-lithographe [4].

Liens et références :

1.  Archives de La Lanterne, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. texte de 3 numéros de la première série, du 30 mai 1868 (n° 1), du 18 octobre 1868, et du 20 novembre 1869 (n°77), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32805103j/date&rk=21459;2

2. Archives du quotidien La Lanterne, 1877 à 1928, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026/date

3. Jean-François Kahn. L’heure de vérité. Editorial, Marianne, numéro 1211 du 29 mai 2020. https://www.marianne.net/debattons/editos/heure-de-verite

4. Élisabeth Parinet, Corinne Bouquin. Ecole des Chartes et bibliothèque nationale de France. Dictionnaire des imprimeurs lithographes du XIXè siècle. http://elec.enc.sorbonne.fr/imprimeurs/node/24700

Affiche d’Eugène Ogé pour le quotidien La Lanterne (1902). 

Photo d’Henri Rochefort

© Texte posté le 27/08/2020

Vins disparus, le vin des Queyries…

(Collection particulière)

Contrairement à la première impression, il ne s’agit pas d’une étiquette de Champagne, mais d’une étiquette lithographiée de vin de Bordeaux, rouge très probablement, appelé vin des Queyries. Il provenait de La Bastide, cité intégrée en 1865 à la ville de Bordeaux, qui a connu une grande prospérité entre le XVIIIème siècle et les années 1950.

Dans la seconde édition de 1845 de leur « Traité sur les vins du Médoc et les autres vins rouges et blancs du département de la Gironde » [1], Franck et Fauré citent les vins de Queyries comme les meilleurs vins girondins dits « de Palus » :

« La nature a spécialement consacré le département de la Gironde à la culture de la vigne : les vignobles y prospèrent dans tous les terrains, dans les graves, sur les coteaux, et même dans le sol d’argile qui borde les rivières de la Garonne et de la Dordogne. Ces rivages plantureux qui ont conservé le nom latin de Palus, produisent des vins rouges justement appréciés. La première de toutes les palus est celle des Queyries, située vis-à-vis Bordeaux. C’est cette langue de terre qui des coteaux du Cypressat s’avance, sur la rive droite du fleuve, vers le magnifique croissant que forme le port. »

Plan de Bourdeaux et de ses environs. Fait par Matis [Hippolyte], géographe ordinaire du roy (s.d.) [1716-1717]. Détail sur les vignes du palus de Qaéry et La Bastide, face au port de la lune et aux Chartrons

Vins robustes de coupage, mais aussi vins consommés en propre, en cuvée millésimée et avec étiquetage assez luxueux, comme le prouve cette étiquette de 1839. Selon Franck et Fauré, les vins des Queyries se prêtaient bien à la l’épreuve du « retour des Indes », consistant à faire voyager aux tropiques les vins dans les cales des voiliers, aller et retour, afin de les bonifier. « Alors que les voyages de long cours étaient moins rapides, les Queyries étaient très recherchés; on aurait eu crainte d’exposer longtemps aux ardeurs tropicales des vins plus légers ; on en faisait même revenir d’outre-mer pour leur donner par ce double voyage une haute valeur très-renommée. ».

Cette technique étonnante et coûteuse s’adressait essentiellement aux vins robustes : «Certains vins très alcooliques, chargés d’éléments qu’ils ont besoin de dépouiller pour vieillir, les Porto, les Xérès, parfois même des Bordeaux ou des Bourgognes très corsés, mûrissent plus rapidement si on les soumet pendant un certain temps à un brassage, particulièrement à celui d’un voyage en mer. » (Paul Cassagnac Les Vins de France Hachette 1927).

Bouteilles et étiquettes de  cuvées « Retour des Indes » de Château Pontet Canet, Château Lafitte, et de Château Chasse Spleen 1864. source : Page FB Duperé BarreraL’origine de ces vins remonterait à Gaspard d’Estournel, propriétaire du Château Cos d’Estournel à Saint Estèphe [2]

La vigne a déserté les palus de ces bords de la gironde, industrialisés et urbanisés depuis bien longtemps. Le site « quai de Queyries, mon amour » rappelle l’histoire des queyries, liées aux pierres de l’Entre-Deux-Mers acheminées à Bordeaux par voie fluviale [3]. Extrait :

« Les pierres des coteaux de l’Entre Deux Mers étaient transportées jusqu’à la Garonne, par voie fluviale, le long des « esteys » (cours d’eau) qui traversaient les plaines des Queyries, anciens marécages nouvellement asséchés. Dans ces plaines fertiles, on faisait pousser des vignes de palus, qui donnaient les vins des Queyries, très connus et appréciés au XVIIIème siècle.

Lors de la construction du premier pont de Bordeaux, le Pont de pierre, en 1822, les quais Queyries et Deschamps, l’un en aval, l’autre en amont du pont, sur la rive droite, dans le quartier de la Bastide, commencèrent à s’industrialiser. Les industries firent disparaître les vignobles. La première grande gare bordelaise, desservant la ligne Bordeaux Paris, fut construite sur le quai des Queyries en 1852. La Bastide était riche et puissante. La ville de Bordeaux réussit alors, après de nombreuses difficultés [4], à annexer ce quartier qui faisait pourtant partie de la commune de Cenon. En 1865 Cenon la Bastide devint Bordeaux Bastide.

Le quai des Queyries, avec sa gare, sa gare maritime, ses appontements, ses entreprises, ses usines, son transbordeur aérien pour le charbon, ses docks, ses chantiers navals, connut jusque dans les années 1950 une prospérité inégalée. Abandonné à partir des années 1970, il se couvrit de friches industrielles envahies par les ronces. »

Actuellement, il existe un Clos des Queyries situé dans le quartier de La Bastide à Bordeaux, très joli bâtiment du XVIIIè-XIXè siècle entourée d’un parc, transformé en chambre d’hôtes de charme et de luxe [5]. Peut-être le château d’une ancienne propriété viticole ?

Le Clos des Queyries, matin de septembre. Un havre de calme, de verdure, de fraicheur proche du centre historique de Bordeaux. Accueil très chaleureux, on recommande !

Liens et références :

1. Jean-Joseph Fauré et William Franck. Traité sur les vins du Médoc et les autres vins rouges et blancs du département de la Gironde (2e édition revue, augmentée et accompagnée d’une carte…)Chaumas Editeur, Bordeaux1845. Accédé par le site GALLICA https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6529165f/texteBrut

2. Indiablognote. Retour des Indes, l’explication.  http://www.indiablognote.com/article-retour-des-indes-l-explication-45588529.html (lien inaccessible depuis 2021)

3. Site internet « quai de Queyries, mon amour ». Ce site créé en 2003 par Christophe Laichouchen, riche de textes et de photographies, était accessible en 2020 lors de la première publication de cet article, reste référencé sur wordpress mais hélas non accessible lors de la mise à jour de 2023.  Espérons une prochaine remise en ligne de ce très beau site … http://www.quaidequeyries.net/

4. Alexandre Saramite, Essai d’un point de vue géopolitique sur le pont Bacalan-Bastide à Bordeaux, 2011. Les premiers chapitres de ce travail sur le « pont Chaban Delmas » détaillent de façon vivante et illustrée l’historique des difficultés de communication entre les deux rives de la Garonne à Bordeaux. https://www.academia.edu/12225180/Essai_dun_point_de_vue_g%C3%A9opolitique_sur_le_pont_Bacalan_Bastide_Chaban_Delmas_%C3%A0_Bordeaux

5. Site du Clos des Queyries. https://www.leclosdesqueyries.com/

© Texte posté le 27/06/2020, mis à jour le 04/09/2023

Sang et or des barres catalanes

De nombreuses étiquettes de vins du Roussillon et de Catalogne arborent les bandes rouges et jaunes, historiquement « Sang et Or », symboles de la Catalogne.

Ce n’est pas le moindre mérite du producteur de cette cuvée « Sang et Or, pure légende » d’AOC Côtes du Roussillon, que de nous conter l’origine des « Quatre Barres » ou « Barres Catalanes ». Ainsi désigne-t-on le signe héraldique qui constitue l’écu Catalan, à l’origine d’un des drapeaux actuels les plus anciens d’Europe. Citons le texte de la contre étiquette :

« La légende confère à ce blason glorieux le qualificatif de « sang et or » : le comte de Barcelone, Guifred « El Pilos » était venu au secours du roi de France, Charles le Chauve (823-877), attaqué par les Normands. Les agresseurs furent repoussés, mais Guifred, qui s’était couvert de gloire, avait été grièvement blessé dans les combats. Le roi vint lui rendre visite et lui jetant les bras autour du cou lui dit : « Que puis-je faire pour vous, noble et vaillant guerrier ? ». Alors Guifred pria le roi de lui donner un blason pour son écu. Le champ à fond d’or était absolument nu. « Devise qui avec le sang s’acquiert, avec le sang doit être écrite » prononça le roi et approchant sa main droite de la blessure d’où le sang coulait en abondance, il y trempa ses doigts moins le pouce, puis les passa de haut en bas sur la face dorée de l’écu. L’écu fut aussitôt présenté au noble guerrier et le roi Charles lui dit : « voilà quelles sont vos armes ». »

Selon une notice de l’ancien site de l’office de tourisme de Perpignan, également consultable sur le site officiel du tourisme catalan [1], le premier témoignage de l’existence de l’écu catalan serait un sceau du Comte Ramon Berenguer IV de Barcelone, descendant de Guifred el Pelut (version catalane de Guifred el Pilos ou Wilfrid « le Velu » !), sur un document provençal datant de 1150. C’est ainsi que les armoiries personnelles du Comte seraient devenues les armoiries de la dynastie catalane puis le drapeau catalan.

Ce site nous rappelle comment ce drapeau, nommé Senyera par les Catalans, fut étroitement associé au combat toujours actuel de la Catalogne pour son indépendance [2], mais aussi à la démocratie face aux dictatures espagnoles:

« L’Union des Peuples Catalans fit des Quatre Barres son emblème officiel. Pendant la dictature du Général Primo de Rivera (1923-1930) puis pendant la période franquiste (1939-1975), le drapeau catalan fut interdit, mais son usage clandestin de disparut jamais. Les Diades Nacionals (fêtes nationales) de 1976, 1977 et 1978 furent marquées par le déploiement de milliers de drapeaux catalans qui flottaient partout en Catalogne. Le Statut d’autonomie de 1979 a repris le texte républicain de 1933 de L’Estatut Interior de Catalunya (Le Statut Intérieur de la Catalogne) : « Le drapeau de Catalogne est le drapeau traditionnel, à quatre barres rouges sur fond jaune ». 

Photo illustrant l’article de Sud-Ouest en ligne [2], légendée : « Un an après le référendum du 1er octobre 2017, le 11 septembre 2018, près d’un million d’indépendantistes ont de nouveau défilé dans les rues du centre de Barcelone, à l’occasion de la fête nationale catalane, la « Diada ». © Crédit photo : LLUIS GENE / AFP »

Liens et références :

1. Le drapeau catalan. Catalunya Experience, site officiel du tourisme catalan. https://www.catalunyaexperience.fr/non-classe/le-drapeau-catalan#:~:text=La%20Generalitat%20de%20Catalogne%20le,barres%20rouges%20sur%20fond%2

2. Cathy Lafon, Indépendance de la Catalogne : la longue histoire d’un vieux rêve. Journal Sud-Ouest. Publié le 01/10/2017, mis à jour le 19/10/2019. https://www.sudouest.fr/2017/10/01/referendum-en-catalogne-la-longue-histoire-d-un-vieux-reve-d-independance-3818929-6109.php

© Texte posté le 13/06/2020

Une Yquem dans la tourmente

(Collection particulière)

Voici une étiquette allemande de Château Yquem assez énigmatique, surtout pour les non germanophones.

Sous le nom « Chat. de Yquem », de formulation déjà un peu étrange, l’appellation BORDEAUX. On s’attendrait plutôt à Sauternes… ou à rien, tellement la mention Yquem est connue et se suffit à elle-même en des temps où l’étiquette n’était pas le réceptacle obligé de multiples mentions légales.

La mention en petit caractères en dessous de BORDEAUX intrigue d’avantage. Elle se traduit en Français par « ou avec toute autre impression», on va voir pourquoi.

Suit un nom de société  familiale, Gebrüder (frères) Jllert, située dans la ville de Klein-Auheim-Hanau, dans l’état de Hesse. On pourrait penser qu’il s’agit du négociant ayant importé et mis en bouteilles le vin. En fait, il s’agit d’un imprimeur, comme le désigne la mention lithographische Kunstanstalt (institut ou atelier d’art lithographique).

Le numéro (7274) est le modèle de l’étiquette. La mention Goldm. 9. per 1000 correspond au prix, non du vin, mais des 1000 étiquettes, exprimé en Mark-or (Goldmark).

Il s’agit donc d’une étiquette de présentation d’un imprimeur allemand, avec numéro de modèle, prix au mille, mise en page, illustration, nom du vin que le client vigneron ou négociant peut personnaliser (et pour l’étiquette factice, pourquoi se priver du nom prestigieux d’Yquem ?!). La mention « ou avec toute autre impression » s’explique mieux. La mention finale Eindruck extra. ne signifie pas « qualité d’impression extra », mais plutôt que l’impression n’est pas comprise dans le prix annoncé des étiquettes.

Pour finir, de quand date cette étiquette ?

On peut l’estimer assez précisément, compte tenu du chaos économique qu’a traversé l’Allemagne dans les années 1920. Le prix sur l’étiquette est indiqué en Marks-or (Goldmark), qui était la monnaie de l’empire allemand indexée sur l’or. A partir de 1914 et le début de la guerre, le Mark-or n’est plus indexé sur l’or et n’existe plus de facto. Il est substitué par le papiermark, de valeur identique, qui subit l’hyperinflation qu’a connue la République de Weimar entre 1922 et 1923 (250% par mois à l’été 1923) [1]. Le cours du mark s’effondre : fin 1923 un dollar vaut officiellement 4,200,000,000,000 marks (quatre trillions deux cents milliards), alors qu’il valait 4,2 marks or avant la guerre [1]. La création en novembre 1923 du Rentenmark, monnaie un peu virtuelle à nouveau indexée sur l’or et réservée aux échanges commerciaux, contribue à stabiliser la situation.

Le 30 août 1924, les anciens marks (Goldmark ou papiermark) sont remplacés par les Reichsmarks, qui laisseront la place au Deutsche Mark en 1948.

On peut donc parier que cette étiquette lithographiée, qui n’a jamais vu une bouteille de près, figurait dans le catalogue 1923-1924 de l’imprimeur Jllert. Une autre étiquette de présentation de cet imprimeur, affichant le millésime 1921 et un prix en Goldm., corrobore cette proposition de datation. Il est intéressant de remarquer que des étiquettes plus tardives du même imprimeur portant des numéros de modèle supérieur à 10 000 voient leur prix exprimé en Reichmarks (Reichm.) et sont probablement postérieures à 1924 [2].

Liens et références :

1. Jean-François Beaulieu, L’hyper-inflation allemande sous la république de Weimar.  http://www.causes-crise-economique.com/hyper-inflation-weimar-allemagne.htm

2. Collection d’étiquettes de Rhum et d’alcools de Petr Hlousek, série d’étiquettes de l’imprimeur Jllert https://rum.cz/result.htm?rp=1&pl=20&qqdt=rum  

© Texte publié le 13/06/2020

Timbre allemand de 50 milliards de marks (1923). Source Wikipedia

Les Cadillac

Tous les éléments sont réunis sur cette étiquette délicieusement kitch de Cadillac « Château Le Gascon » pour raconter une histoire extraordinaire. Celle qui relie le vin de Cadillac et la marque automobile du même nom.

La voiture, d’abord : cette Cadillac est un cabriolet convertible série 6200, fabriqué en 1959. Voiture mythique, voiture de star, …. rose bien sûr !

Le vin, ensuite : le Cadillac est un vin blanc liquoreux du bordelais dont la qualité a été reconnue par une AOC/AOP propre en 1973. La ville de Cadillac est une ancienne bastide située sur la Garonne dans l’Entre deux Mers. La zone de production, qui couvre 22 communes autour de Cadillac, est voisine des AOC/AOP Loupiac et Sainte Croix du Mont. Le vignoble produit également d’excellents vins rouges d’appellation « Cadillac Côtes de Bordeaux », AOC/AOP qui a remplacé en 2009 l’AOC « Premières Côtes de Bordeaux rouges », ainsi que des vins blanc sec « Première Côtes de Bordeaux Blanc ».

Mais quel lien unit les deux « Cadillac », le vin et la voiture ?

C’est un homme, Antoine de Lamothe-Launay, sieur de Cadillac.

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Jeune officier de l’armée française, arrivé en aventurier au Canada et en Amérique du Nord, il y a fait rapidement son chemin, a commandé plusieurs forts et a fondé en 1701 la « Ville d’Etroit», devenue Detroit, future capitale de l’industrie automobile américaine [1]. En 1902, dans l’enthousiasme des commémorations du bicentenaire de la fondation de Detroit, les créateurs de l’entreprise automobile décident de baptiser leur firme « Cadillac », du nom du fondateur de la ville. En 1906, les armoiries du « sieur de Cadillac » sont retenues comme logo par le constructeur. Elles ornent depuis, dans des versions de plus en plus stylisées ou tronquées, les calandres des Cadillac [2, 3].

Le seul accroc à cette belle histoire, c’est que Lamothe-Cadillac n’est pas le vrai nom de notre aventurier, et que ses armoiries ont été bricolées à partir de celles d’autres familles ! Le fondateur de Detroit se nommait en fait Antoine Laumet [1]. Il s’est inventé une nouvelle identité plus flatteuse à son arrivée en Nouvelle-France, pratique courante à l’époque. Sa nouvelle identité, ainsi qu’une partie des armoiries, ont été « empruntées » au baron de Lamothe-Bardigues, seigneur de Cadillac et de Launay. Notre Antoine, natif de Saint-Nicolas de la Grave (Tarn-et-Garonne), n’avait donc aucun rapport direct avec la ville de Cadillac, mais était un véritable gascon.

Notons pour terminer que le château Le Gascon, s’il évoque les vraies origines du faux « Sieur de Cadillac », tient surtout son nom du lieudit « Gascon » de la commune de Loupiac, limitrophe de Cadillac, où est située la propriété. Etonnante coïncidence !

Liens et références :

1. Édouard Forestié, «Lamothe-Cadillac, fondateur de la ville de Détroit (Michigan), gouverneur de la Louisiane et de Castelsarrasin. – Notes complémentaires», Bulletin archéologique et historique de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, 1907, tome 35, p. 175-196. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5663511j/f197.image

2. Cadillac Logo Meaning and History (© 2019 Car Brand Names). http://www.car-brand-names.com/cadillac-logo/

3. Blog oklahoccitania :  http://oklahoccitania.canalblog.com/archives/2009/02/04/12180653.html

© Texte posté le 15/05/2020

Un des premiers trains espagnols

(Dimension de l’étiquette originale : 121 x 70 mm)

Cette belle étiquette de Champagne du XIXè siècle due à l’imprimeur lithographe Eugène Bruaux d’Epernay, associe une maison de Champagne, un hôtel et un évènement ferroviaire illustré par une antique locomotive à vapeur.

Le Champagne, un Sillery Mousseux, a été produit par la maison Bouché Fils et Cie, fondée à Mareuil sur Aÿ en 1821. Cette prestigieuse maison, qui fournissait les cours d’Italie, de Belgique, d’Espagne et du Portugal, était propriétaire du célèbre vignoble « des Goisses », devenu le « Clos des Goisses » depuis son acquisition en 1935 par la maison de Champagne Philipponnat, également installée à Mareuil sur Aÿ [1].

Nous ne savons rien d’Henry Richard, l’hôtelier qui a probablement commandé cette cuvée spéciale, ou du moins l’étiquette commémorative, ni de son « Hôtel Français ». Aucune trace de cet hôtel, à Murcie, à Carthagène, voire à Madrid n’a été retrouvée.

L’évènement ferroviaire commémoré est l’inauguration de la ligne de chemin de fer entre le port de Cartagena (Carthagène) et Murcia (Murcie), en Espagne. Il s’agit d’un tout petit tronçon de 35 km de la future ligne qui allait relier Madrid-Alicante à Albacete, au sud-est de l’Espagne (voir carte). La construction de cette ligne avait été concédée à la Compagnie des chemins de fer de Madrid à Zaragoza (Saragosse) et Alicante (MZA), qui représentait les intérêts de la famille Rothschild dans l’investissement ferroviaire espagnol, en traditionnelle concurrence avec d’autres français, la société des frères Péreire, qui avaient obtenu des concessions au nord [2].

Il est facile de dater cette étiquette car elle est vraisemblablement contemporaine de l’inauguration de la ligne, le 24 octobre 1862. Cette inauguration s’est faite en grand pompe en présence de la reine Isabel II, qui revenait avec mari et enfants d’un voyage à en Andalousie et dont le bateau avait accosté à Carthagène [3]. La ligne n’était pas tout à fait achevée. A Murcie comme à Carthagène, aucune gare n’était encore construite. Mais l’occasion était trop belle ! Le chroniqueur officiel du voyage royal rapporte que plus de 15 000 personnes rassemblées à Murcie pour recevoir la reine ont poussé un « cri unanime d’enthousiasme » à l’apparition de la locomotive et de son panache de fumée :

Les premiers à descendre du wagon furent les enfants; plus tard, le confesseur de la Reine, l’archevêque Antonio María Claret; le roi, qui portait l’uniforme de capitaine général; et enfin, la Reine, qui « portait une élégante robe rose, avec des ornements cramoisis capricieux, un châle blanc et un riche diadème en or, parsemé d’émeraudes et de rubis ». Isabel II a marché sur «un tapis de fleurs qui avait été renversé à cette fin».

Une photo d’époque de Manuel Dorda (grand notable de Carthagène passionné de photographie) montrant le train en gare en 1862 est reproduite dans l’ouvrage Fotografía en la región de Murcia [4]. Elle est légendée « Llegada del tren. Cartagena 1862 » ce qui signifie « l’arrivée du train. Carthagène 1862 ». Il n’est pas du tout certain qu’elle corresponde au jour de l’inauguration de la ligne, puisque le train n’est pas arrivé à mais parti de Carthagène, et que la maigre assistance contraste un peu avec la foule en délire décrite à Murcie… 

La ligne de chemin de fer n’est entrée en service que 6 mois plus tard, le 1er février 1863. La ligne complète de 240 km a été officiellement achevée le 27 Avril 1865.

Manuel Dorda. Llegada del tren. Cartagena 1862. © Archives Roca-Dorda.

La suite…

Plusieurs mois après mise en ligne de ce texte, surprise ! Je découvre que cette étiquette a une grande sœur, conservée par le département Patrimoine de la médiathèque de la ville d’Epernay, et reproduite dans le livre « L’image du Champagne, de la belle époque aux années folles » de Marie Thérèse Nolleau et Pierre Guy [5]. Elle commémore la création de la ligne ferroviaire entre Chalons Sur Marne (maintenant Chalons en Champagne) et Paris, mise en service en novembre 1849. La composition de l’étiquette est voisine, la locomotive est identique, seul son nom change «California» au lieu de «Cartagena» ! La frise végétale est légèrement différente, et le commanditaire est la maison de Champagne E Armand, de Chalons sur Marne. Le vin est, lui aussi, un Sillery Mousseux.

© Médiathèques d’Epernay

Pour boucler la boucle, signalons que le site de la Médiathèque d’Epernay permet la consultation de très beaux documents numérisés sur le Champagne et de catalogues d’étiquettes lithographiées du XIXème siècle, dont une série complète de la Maison Bouché [6].

Liens et références :

1. Site de la maison de Champagne Philipponnat

2. Compañía de los ferrocarriles de Madrid a Zaragoza y Alicante. https://fr.wikipedia.org/wiki/Compa%C3%B1%C3%ADa_de_los_ferrocarriles_de_Madrid_a_Zaragoza_y_Alicante

3. Pedro SOLER. La real inauguración del ferrocarril Cartagena-Murcia. La verdad de Murcia 2012.  https://www.laverdad.es/murcia/v/20121024/murcia/real-inauguracion-ferrocarril-cartagena-20121024.html

4. Manuel Dorda. Llegada del tren. Cartagena 1862. Archives Roca-Dorda. In : Juan Manuel Díaz Burgos; Murcia Cultural.; Sala de Exposiciones Casa Díaz Cassou. Fotografía en la región de Murcia. Ediciones Tres Fronteras, 2003

5. MT Nolleau, P Guy. L’image du Champagne de la belle époque aux années folles. © Editions Dominique Guéniot, Reims, 2015.

6. Médiathèque d’Epernay. Section patrimoine. Fond patrimonial numérisé consultable en ligne.

© Texte publié le 10/05/2020, mis à jour le 20/09/2020

la véritable histoire du Coca Kola !

(Dimension des étiquettes originales : 72 x 49 mm)

Il avait presque tout bon, ce pharmacien (de première classe) de l’Isle Jourdain, dans le Gers, ancien diplômé de la Faculté de Toulouse. Vin de coca, vin de kola, il suffisait de les mélanger et de déposer le nom un peu modifié, fortune était faite, ou presque ….

Contrairement à la fable servie par le site officiel de Coca-Cola® France [1], l’invention de la célèbre boisson gazeuse par John Pemberton, pharmacien à Atlanta, ne doit probablement rien au hasard, mais plutôt à un sens aigu de l’opportunisme.

Sa première version de 1886 est une boisson alcoolisée à base de vin français macéré avec des feuilles de coca, des noix de kola et du damiana (Turnera Diffusa). Vendue sous le nom de French Wine Coca, elle n’était en fait qu’une imitation ou une déclinaison du plus célèbre des vins de coca alors commercialisé et célébré dans le monde entier, le vin tonique Mariani, inventé en 1866 par Angelo Mariani, pharmacien et chimiste corse [2]. Les premières lois anti-alcool votées aux USA et à Atlanta ont obligé très tôt Pemberton à modifier la composition de sa boisson, remplacer le vin par une sorte de caramel et de l’eau gazeuse, et la rendre ainsi non alcoolisée. Enfin en théorie, car des analyses récentes tendent à prouver que, comme ses concurrents, le Coca-Cola actuel contient toujours quelques traces d’alcool, moins de 10 mg/litre [34].

Quoi qu’il en soit, il est vraisemblable que le succès des versions initiales du Coca, avec ou sans alcool, comme celle du vin tonique Mariani, a été dû en grande partie à la cocaïne contenue dans la boisson. Selon l’historien Aymon de Lestrange, auteur d’une magnifique anthologie sur le Vin Mariani [2], celui-ci « devait contenir l’équivalent de 110 à 132 mg de cocaïne par bouteille. Deux verres à Bordeaux de Vin Mariani, la dose prescrite par jour, devaient en conséquence contenir environ l’équivalent de à 50 à 70 mg de cocaïne, ce qui correspond à peu près à une ligne de cocaïne inhalée, dépendant de sa taille et du degré de pureté du produit ». Une vraie drogue douce légale ! Pas étonnant que le vin soit dit « tonique », et que même les Papes Léon XIII et Benoit XV en redemandaient (illustration ci-dessous).

L’obligation de décocaïniser les feuilles de coca utilisées dans les boissons est intervenue en 1907 pour le vin Mariani et en 1903 pour le Coca-Cola. La célèbre marque importe et utilise toujours d’authentiques feuilles de coca, décocaïnisées par ses soins, pour la version actuelle de sa boisson [2].

Les papes Léon XIII et Benoit XV amateurs de Vin Mariani (publicités d’époque)

Liens et références :

1. La saga Coca-Cola. Site de Coca-Cola France.

2. Aymon de Lestrange. Angelo Mariani. Le vin de coca et la naissance de la publicité moderne. © Editions Intervalles, 2016.

3. La recette secrète du Coca-Cola enfin dévoilée? par Anne-Laure Pham. L’Express, publié le 14/02/2011

4. Colas, sodas… ce que vous buvez vraiment. 60 Millions de consommateurs. Mensuel – N° 473 – juillet 2012

Etiquette du Vin Tonique du Dr Pélissier, un autre pharmacien français installé dans le Puy de Dôme, issu du mélange de Coca, Kola, quinquina, et censé guérir de nombreuses affections, dont la tuberculose (phtisie) !

Texte publié le 22/04/2020

la guerre du Champagne

(Dimension de l’étiquette originale : 120 x 80 mm)

En Champagne, le XXème siècle a débuté par de graves conflits [1] occasionnés par la délimitation de la zone d’appellation « Champagne ». Un premier conflit, violent, oppose en 1910 les vignerons de la Marne aux négociants, qui importent à bas prix des vins d’autres régions qu’ils « champagnisent » et vendent sous étiquette authentique. Des maisons de négociants sont saccagées, des barricades s’érigent, l’armée intervient. Les vignerons marnais obtiennent une délimitation des vignobles, mais qui va entraîner par ricochet une autre révolte, celle des vignerons aubois… Dès décembre 1908, un décret de délimitation exclut l’Aube des zones d’appellation Champagne. Il est complété par une loi de finance votée le 06 février 1911, qui interdit aux vignerons aubois de vendre leur raisin à la Marne pour la fabrication du champagne !

Cette loi ruine les vignerons aubois qui avaient enfin reconstitué leur vignoble après la crise phylloxérique, sortaient d’une très mauvaise récolte 1910, d’un hiver froid, et étaient confrontés à une mévente du vin de consommation courante. Elle provoque dans la région la fameuse révolte des vignerons [2] dirigée par Gaston Cheq [3]. En mars 1911, de gigantesques manifestations, fleuries de drapeaux rouges, ont lieu à Bar sur Aube et à Troyes (20 000 manifestants). 125 conseillers municipaux démissionnent. Le 10 avril, le Sénat demande la suppression de la délimitation mais faute d’une confirmation, les troubles s’aggravent. Le gouvernement envoie l’armée (plus de 3000 hommes) à Bar sur Seine le 3 mai, puis dans les villages environnants pour contrer la fureur des vignerons. 

Le 7 juin 1911, le gouvernement crée par décret une appellation de « Champagne deuxième zone » pour l’Aube. L’agitation se poursuit car les Aubois veulent l’intégration pure et simple. Arrive la guerre, qui détruit nombre de villages viticoles de la Marne, puis l’armistice. 

Après des années de pression, la loi du 22 juillet 1927 réintègre toutes les communes auboises dans la zone appellation «Champagne ».

Cette étiquette de  » Champagne  deuxième zone  » aubois, vendue par un négociant d’Epernay, date donc de la période comprise entre 1911 et 1927. L’étoile rouge fait peut être écho à la révolution bolchevique russe de 1917, ou bien renvoie à la couleur rouge des manifestations de la ligue de défense des vignerons aubois ?… Rouge des drapeaux et des macarons arborés par les manifestants, sur lesquels était inscrite cette devise :

Champenois nous fûmes

Champenois nous sommes

Champenois nous resterons

Et ce sera comme ça !

Troyes, 9 avril 1911. Manifestation des vignerons champenois de l’Aube

Autres exemples d’étiquette de Champagne première et deuxième zone de négociants d’Epernay

Liens et références :

1. François Bonal. Encyclopédie du Champagne. La révolution vigneronne. Site des Grandes Marques de Champagne.

2. Dominique Fradet, « 1911 en Champagne. Chronique d’une révolution« . Éditions Fradet, Reims, 2011.

3. Site du Champagne Gaston Cheq (coopérative des Coteaux du Landion, 10200 Meurville).

Texte publié initialement le  21/04/2020 sur le site https://des-etiq-racontent.monsite-orange.fr/

Montespan, le cocu le plus célèbre de France

(Dimension de l’étiquette originale : 104 x 102 mm)

Madame de Montespan doit sa célébrité d’avoir été, de 1667 à 1678, la maîtresse de Louis XIV. Elle lui donna 7 enfants, dont 4 vivants tous légitimés par le roi, qui ont de nombreux descendants actuels dans les cours d’Europe.

Son mari légitime, Louis Henry de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, a connu aussi une sorte de célébrité à l’époque, puis un oubli quasi-total jusqu’à la fin du XXème siècle, alors que son histoire est pourtant exceptionnelle.

Fier gascon, un peu rustique, malheureux à la guerre, au bord de la ruine permanente, il n’a pas pu (ou su) empêcher sa magnifique épouse, dont il était follement amoureux, de succomber aux plaisirs de la cour puis aux avances répétées de Louis XIV. Lorsqu’il apprit son infortune, il eut une conduite inédite, courageuse voire suicidaire : au lieu d’accepter la situation et d’accepter des compensations financières et honorifiques comme c’était l’habitude à l’époque quand on était cocufié par le Roi, il se rebella et fit un scandale retentissant à la Cour : tournée des salons, où il se répandit en insultes contre ce roi très chrétien voleur de femmes mariées, puis provocation directe du roi à Saint-Germain, en tenue de grand deuil, son carrosse orné de catafalques noirs et de bois de cerf aux quatre angles, symboles de la royale tromperie.

Cette conduite irrévérencieuse le conduisit en prison, puis à l’exil dans ses terres du sud-ouest, qu’il rejoignit en une lente procession à travers toute la France dans son carrosse funèbre et cornu ! Il n’établit pas sa résidence au château de Beaumont, sa propriété du Gers, mais au Château de Bonnefont dans les hautes Pyrénées. De là, ne renonçant jamais, il continua à s’agiter, commandant pour sa femme une messe de deuil chaque année.

Les tribulations du Marquis de Montespan, en qui certains virent un des premiers révolutionnaires, ont été sorties de l’oubli par Eve Ruggieri [1], actuelle propriétaire du Château de Beaumont, et plus récemment par le virevoltant roman de Jean Teulé, « Le Montespan » [2].

Cette étiquette provient des héritiers de Monsieur P. Ricklin, ancien propriétaire du Château Beaumont, où il produisait de l’Armagnac. Elle précède de quelques décennies la réhabilitation de l’honneur du Marquis, ce qui peut expliquer la petite erreur : « Ancienne propriété de Mme de Montespan ».

Rendons au Marquis son titre de propriété, déjà qu’ « On » lui avait pris sa femme !…

Liens et références :

  1. Ève Ruggieri, L’honneur retrouvé du marquis de Montespan, Paris, Perrin, 1992
  2. Jean Teulé, Le Montespan, Paris, Julliard, 2008

Texte publié initialement le 16/04/2020 sur le site https://des-etiq-racontent.monsite-orange.fr, mis à jour le 02/07/2020