Vin et sang…

Les liens entre le vin et le sang sont multiples, tenant à la couleur, à la symbolique, aux valeurs spirituelles ou sacrées et aux interdits. Des représentations de ces rapports complexes se retrouvent sur les étiquettes de vin, même les plus banales.

La couleur …

 « Ta liqueur rose ô joli vin Semble faite de sang divin

(Gérard de Nerval)

Chez les vertébrés, le sang est de couleur rouge. Il reçoit sa couleur de l’hémoglobine, qui contient du fer auquel l’oxygène se lie. Chez la limule, il est d’un beau bleu dû à la présence d’hémocyanine à base de cuivre !

Le vin rouge, lui, tire sa couleur de pigments violet foncé, les anthocyanes. Comptant plus de 250 variétés, les anthocyanes sont responsables de la majorité des couleurs rouge, bleue et pourpre des fleurs et des fruits. Ils teintent la peau des raisins noirs, se retrouvent par la suite dans les moûts et les vins rouges, puis s’estompent au cours du vieillissement du vin.

Vins rouge sang

Plusieurs vins, souvent originaires du Sud, sont nommés « sang de … » par leurs producteurs. Il s’agit de vins de couleur rubis intense, brillants, ou bien rouge sombre, opaques, tanniques, puissants, issus des cépages grenache, syrah, ou carignan (mazuelo en Espagne). C’est le cas des célèbres « Sangre de Toro » ou « Gran Sangre de Toro » de Penedés en Espagne, du « Bikavér » de la région hongroise de l’Eger (Bikavér signifie « sang de taureau » en Hongrois)..

Dans le bestiaire, on trouve aussi des cuvées « Sang du sanglier » (du Chateau de Fayolles, Bergerac), « sang de corbeau » (Terra Alta en Espagne, détaillé plus loin) et même « Sang de gorille » (un Languedoc, région ou le gorille pullule, c’est bien connu). On trouve aussi un « Sang du Dragon », pinot noir alsacien, né d’une légende locale.

D’autres, à la sobriété presque inquiétante, n’indiquent que « Le Sang » (un Gaillac du Domaine de la Ramaye issu de vieilles vignes de cépages locaux peu connus, le braucol et le prunelard, illustration ci-contre)

Les œnographiles connaissent également les cuvées « Sang du Peuple », popularisées en 1989 lors du bicentenaire de la Révolution française, laquelle en adoptant la guillotine aux dépens du gibet, en a effectivement fait couler beaucoup.

« Le Sang du Peuple » est également le nom de la cave Jamet, installée à Courthézon dans le Vaucluse depuis 1975, et d’une partie de ses cuvées rouges.

Vins rosés de saignée

Les rosés dits « de saignée » sont obtenus par macération du moût avec les peaux des raisins rouges, avant fermentation. Des durées intermédiaires de macération permettent, par soutirage précoce d’un futur vin rouge (la saignée de la cuve), d’obtenir des vins d’une belle teinte soutenue, rose foncé, presque rubis et des vins charpentés, à l’exemple les vins de Tavel. C’est aussi la méthode utilisée pour les fameuses cuvées « œil de perdrix », de Suisse ou d’ailleurs, auxquelles nous avons consacré un article [1]. Les rosés de saignée français sont produits dans les Côtes du Rhône, en Languedoc, dans les pays de Loire, la Champagne. Malgré leur nom, ils n’ont pas de rapport direct avec le sang.

Le sacré…

27 Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour le pardon des péchés. 29 Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai de nouveau avec vous dans le royaume de mon Père

Matthieu 26, versets 26-29.

Depuis la nuit des temps, le sang a été intimement lié aux images de la mort et de la vie tandis que le vin était associé à la vie et à la divinité. Le sang a toujours joué un rôle primordial dans les représentations religieuses des humains. Il est l’élément principal lors des offrandes sacrificielles. Que la victime soit humaine ou animale, son sang répandu et offert aux Dieux est un sang pur et sacré. Pour les Chrétiens, le sang du Christ, immolé comme agneau de Dieu, devient le vin de la communion des fidèles. Dans les religions du Livre, le sang des martyrs est vénéré et réputé miraculeux. La circoncision, l’excision, les scarifications sont des blessures de sang en signe d’alliance, de purification ou de mortification. Les tabous alimentaires liés à la consommation du sang des animaux impliquent des rites d’abattage permettant de vider toute chair de son sang ; ce sang dans lequel, d’après la Bible et le Coran, réside l’âme.

Le vin est la boisson des dieux, de Dieu et parfois est Dieu lui-même. Selon le dogme catholique et orthodoxe de la transsubstantiation, le pain et le vin de l’eucharistie sont intégralement changés en la substance du corps et du sang du Christ. Dans les offices protestants, qui ne reconnaissent pas ce dogme, le pain et le vin restent pourtant présents, comme symboles et valeurs de partage.

Le vin et le pain se sont répandus en même temps que le christianisme. C’est le christianisme qui permet la diffusion de la vigne vers l’Europe du Nord, l’Amérique, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Boire du vin, c’est se rattacher à la Méditerranée, lieu de naissance du Christ. Le vin est longtemps resté la boisson par excellence de la culture de l’Europe occidentale.

Dans la religion catholique, la valeur symbolique du vin, substitut du sang sacré, est tellement forte qu’il n’y a même plus besoin d’en respecter la couleur. En effet, depuis 1478 et l’autorisation du pape Sixte IV, le vin de Messe des catholiques est devenu quasi universellement blanc. Et le plus souvent un blanc doux.

Vins de messe blanc, doux ou sec

Pourquoi (diable !) représenter le sang du Christ par du vin blanc ? La raison avancée est très simple et pragmatique :  les coulures de vin rouge étaient susceptibles de tacher l’habit ecclésiastique immaculé, ce que ne fait pas le vin blanc… Et pourquoi un blanc doux ? Parce qu’il voyage mieux, se conserve mieux, et serait plus agréable à consommer (même modérément) à toute heure. En effet, le risque est une mauvaise conservation du vin de messe, le prêtre n’en utilisant que très peu à chaque célébration. En 1993, de nombreux prêtres italiens se sont vivement plaints de leur vin de messe, produit en masse par une communauté religieuse et qui tournait vinaigre (le vin, pas la communauté). Une commission du Vatican assistée d’œnologues entreprit de goûter tous les vins de messe produits sur les différents continents. Ce fut un passito de Sicile, un muscat très liquoreux (14,5°), qui réunit la majorité des suffrages, essentiellement en raison de son excellente conservation sous tous les climats.

Le dimanche 15 août 2004 à Lourdes, à l’occasion de la messe de l’Assomption présidée par le pape Jean-Paul II, un vigneron de Madiran avait réussi à obtenir que ce soit un vin régional, plutôt que le Bordeaux initialement prévu, qui fasse office de sang du Christ. Mais il n’est pas certain que ce soit le très rouge Madiran qui ait été utilisé, car une alternative a été proposée : « je mettrai à leur disposition du Pacherenc sec et moelleux et deux rouges dont un vieilli en fût de chêne. J’espère que le Pape et tous les hommes d’église l’apprécieront » [2]. En 2023, à Marseille, c’est un vin de France grenache blanc 2021 produit par le bien nommé « domaine de la Bénisson-Dieu » (Côtes Roannaises), qui a été choisi comme vin de messe pour le Pape François. [3, 4]

Pour les orthodoxes, le vin de messe est resté rouge. Et pendant 8 siècles, c’était exclusivement du vin de Cahors. C’est ce que nous raconte cette cuvée de Cahors « Sanguis Christi »,

L’agnus dei représenté sur l’étiquette est un détail de L’Adoration de l’Agneau mystique ou Autel de Gand (Het Lam Gods), polyptyque peint sur bois par les frères Van Eyck, achevé en 1432 et exposé à la cathédrale de Gand

ainsi que le site « le dico du vin » [5] :« Les orthodoxes utilisent traditionnellement comme vin de messe un vin rouge, le Cahors. Depuis le moyen âge, il existait un accord commercial qui prévoyait l’approvisionnement de l’ensemble des églises orthodoxes de Russie en vin de Cahors (encore en usage aujourd’hui avec 1 million de bouteilles pour 18 000 églises russes, importées directement du Lot). En 1917, la révolution bolchevique avait mis un terme à toutes les importations. Les popes durent alors trouver un autre vin de messe. Ils suscitèrent la culture du kagor (une réplique du vin de Cahors) dans la région de Messara, près de Yalta. Vin qu’on trouve aujourd’hui non seulement en Crimée mais aussi en Géorgie et en Moldavie. ».

Les historiens sont plus prudents, faute d’étude approfondie sur les échanges commerciaux en vins entre la France et la Russie impériale ou, antérieurement, l’église orthodoxe [6].

Kagor de Crimée, alors ukrainienne, annexée par la Russie en 2014
Kagor de Moldavie, vin rouge doux pour usage liturgique

Le vin, sang du Christ ?

De la symbolique au mauvais gout, certains n’hésitent pas à franchir le pas, comme en témoigne cette cuvée de Merlot « Jesus Juice » des USA. Ce terme peut paraitre offensant, mais il désignerait en argot le vin de l’eucharistie…

La vie, la mort…

Le vin est médecin, il guérit les corps et les âmes. Jusqu’au XIXème siècle, une ration de vin rouge a fait partie de l’alimentation quotidienne de tout malade hospitalisé. Source de calories, de sucres, de fer, exempt de bactéries, le vin était considéré comme une boisson saine et utile. Louis Pasteur, natif du Jura, le proclamait encore en 1866 [7].

Pendant la guerre de 14-18, le pinard a été l’allié du poilu. A propos de l’étude de Charles Ridel « L’ivresse du soldat » [8], un chroniqueur du magazine l’Histoire souligne le lien métaphorique qui s’est créé entre le vin rouge, devenu le pinard de la victoire, et le sang versé des poilus : « psychotrope censé accroître l’excitation des soldats lors de l’assaut, il (le vin rouge) revêt une fonction alimentaire (apport calorique en hiver), sociale (distribution et partage de l’alcool) et identitaire. Le vin est vu comme une boisson démocratique. Face aux buveurs de bière et de vin blanc que sont les Allemands, le vin rouge, associé métaphoriquement au sang des soldats, est identifié à la France elle-même. » [9].

La cuvée « Sang de Corb », issue des vignes de Terra Alta en Catalogne, fait aussi référence au sang versé lors de la guerre civile espagnole. La notice explique : « Sang de Corb peut vouloir dire « sang de corbeau », mais aussi « sang de Corbera », le village dans la région de Tarragone où se trouve le domaine de Celler Frisach et où le souvenir de tout le sang qui a été versé pendant la guerre civile espagnole est encore très présent. Ce n’est pas pour rien que l’on peut lire sur son étiquette « lo vi fa sang », une expression très catalane qui fait référence à la résilience nécessaire pour surmonter l’adversité et continuer à se battre. »

La symbolique du vin sauveur, substitut de la force vitale du sang, se retrouve dans cette étiquette humoristique, qui illustre l’en-tête de cet article :

Hélas, le puritanisme actuel, qui assimile une consommation modérée de vin à une composante du fléau réel qu’est l’alcoolisme, ne permet plus depuis 2013 qu’une collation accompagnée d’un verre de bon vin local soit donnée aux donneurs de sang après prélèvement. Les ligues régionales de donneurs de sang de Bourgogne (Chagny en Saône et Loire [10]) ou de la région Centre Loire s’en sont émues , en vain. Les faits sont pourtant accablants : tandis que la consommation de vin diminue inexorablement en France, l’alcoolisme aigu continue à faire des ravages parmi les jeunes. A coup d’alcools forts consommés rapidement, en grande quantité, sans aucun plaisir gustatif, juste pour atteindre l’ivresse. Espérons des décideurs un peu plus de modération, à leur tour.

L’interdit…

Six, douze, treize, vint parlera la Dame. Laisné sera par femme corrompu, Dijon, Guyenne gresle, foudre l’entame. L’insatiable de sang & vin repu,

(Nostradamus)

Boire le vin pour ne plus boire le sang humain ? Dans de nombreuses civilisations européennes antiques, africaines, précolombiennes, boire du sang humain était courant. Le sang était parfois mêlé au vin. Hérodote raconte au sujet des Scythes : “Ils concluent des traités de la façon suivante : ils versent le vin dans un grand vase de terre, le mélangent avec du sang des contractants que ceux-ci donnent en se faisant une éraflure avec une alène ou avec un couteau, et trempent ensuite leur épée, leurs flèches, leur hache d’armes et leur javelot dans la coupe. Puis les contractants eux-mêmes, aussi bien que les plus nobles de leur suite, boivent”. [11]

De la transsubstantiation chrétienne à l’anthropophagie et au vampirisme, il y a un (grand) pas que certains esprits ont franchi, rapprochant le mythe des vampires aux racines de l’homme et aux rites chrétiens. Sans les suivre, il nous faut remarquer que le monde chrétien, s’il n’a pas créé le mythe des vampires, a certainement contribué à sa propagation : Ecoutons Voltaire en débattre, dans le chapitre « Vampires » de son dictionnaire philosophique (1765) [12]

« Quoi ! c’est dans notre xviiie siècle qu’il y a eu des vampires! c’est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins; c’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos, qu’on a cru aux vampires, et que le R. P. dom Augustin Calmet, prêtre bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénones, abbaye de cent mille livres de rentes, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’histoire des vampires avec l’approbation de la Sorbonne, signée Marcilli ! (…)

Qui croirait que la mode des vampires nous vint de la Grèce ? Ce n’est pas de la Grèce d’Alexandre, d’Aristote, de Platon, d’Épicure, de Démosthène, mais de la Grèce chrétienne, malheureusement schismatique. Depuis longtemps les chrétiens du rite grec s’imaginent que les corps des chrétiens du rite latin, enterrés en Grèce, ne pourrissent point, parce qu’ils sont excommuniés. (…)  Les Grecs sont persuadés que ces morts sont sorciers ; ils les appellent broucolacas ou vroucolacas, selon qu’ils prononcent la seconde lettre de l’alphabet. Ces morts grecs vont dans les maisons sucer le sang des petits enfants, manger le souper des pères et mères, boire leur vin, et casser tous les meubles. On ne peut les mettre à la raison qu’en les brûlant, quand on les attrape. Mais il faut avoir la précaution de ne les mettre au feu qu’après leur avoir arraché le cœur, que l’on brûle à part. (…) »

Quoi qu’il en soit, il était inévitable que, deux siècles plus tard, le mythe des vampires et l’analogie « boire le vin = boire le sang humain » fussent exploités à des fins purement commerciales par d’astucieux négociants en vins.

C’est ainsi qu’en 1992, à la faveur conjointe de la sortie du film « Dracula » de Francis Ford Coppola et de l’ouverture au monde des vins des ex-pays de l’Est, des bouteilles provenant de la Transylvanie roumaine se sont vendues fort cher dans les boutiques européennes ou nord-américaines sous des habillages accrocheurs tels que ce « Château Dracula » (avec cape de soie rouge autour de la bouteille !), ou cette cuvée « Vampire »  dont la contre étiquette  enfonce le clou (sans jeu de mot..) :

« le vin du Vampire / la légende vit / sucez le sang du vin » !

A consommer avec encore plus de modération, donc …

Vous reprendrez bien un peu de sang de Viking ?

Liens et références :

1. Œil de perdrix, un vrai blanc de rouge ! site Histoires d’étiquettes (wordpress)

2. Guillaume Atchouel. Du vin de madiran pour la messe du Pape. La Dépêche du Midi. Publié le 12/05/2004 https://www.ladepeche.fr/article/2004/05/12/170190-du-vin-de-madiran-pour-la-messe-du-pape.html

3. Béatrice Brasseur. Pourquoi le vin n’est plus en odeur de Sainteté. Les Echos. Publié le 10/12/2023 https://www.lesechos.fr/weekend/gastronomie-vins/pourquoi-le-vin-nest-plus-en-odeur-de-saintete-2040421

4. Site du Domaine de la Bénisson-Dieu. https://domaine-labenissondieu.fr/

5. François Collombet. Vin de messe (ou vin liturgique). Le dico du vin. https://dico-du-vin.com/vin-de-messe-ou-vin-liturgique/

6. François-Xavier Nérard. Du Cahors au kagor. Pistes pour une histoire du vin de Cahors en Russie. Revista Iberoamericana de Viticultura, Agroindustria y Ruralidad (Chile), vol. 3, n° 7, 2016 https://www.redalyc.org/journal/4695/469546448003/html/

7. Le Bras, Stéphane. « “Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons” : anatomie d’une légende (xixe-xxe siècles) ». Faux bruits, rumeurs et fake news, édité par Philippe Bourdin, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2021, https://doi.org/10.4000/books.cths.15460

8. Charles Ridel, L’Ivresse du soldat, Vendémiaire, 2016, 426 p.

9. Le vin et le sang. L’Histoire, n° 433, mars 2017. https://www.lhistoire.fr/livres/le-vin-et-le-sang

10. Emmanuelle Bouland. « Pas de vin avec la collation, pas de collecte ! » Des amicales de dons de sang comme à Chagny sont en colère après la décision d’interdire le « petit coup de vin » durant la collation. Journal de la Saône et Loire, publié le 11/01/2013. https://www.lejsl.com/saone-et-loire/2013/01/11/pas-de-vin-avec-les-oeufs-en-meurette-pas-de-collecte

11. Herodote. Histoire, Livre 4 – Melpomène. https://mediterranees.net/geographie/herodote/melpomene.html

12. Œuvres complètes de Voltaire.  Dictionnaire philosophique, 1765. http://www.voltaire-integral.com/html/20/vampires.htm

© Texte posté le 22/12/2024

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

La Valse des étiquettes

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« Drôlatiques, coquines ou romantiques, les étiquettes des bouteilles de vin offrent matière à raconter  une histoire… »                 

P. Vavasseur 

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Ne vous est-il jamais arrivé d’acheter une bouteille chez votre caviste de quartier ou au supermarché, uniquement parce que l’étiquette est amusante, le nom du vin original, en clin d’œil ou jeu de mots ?

J’avoue que cela m’arrive souvent… et je suis rarement déçu. Car l’exercice ne souffre pas la médiocrité. Les vignerons qui se prêtent à ce jeu sont en général dotés d’un souci de la qualité doublé d’un solide sens de l’humour voire de la provocation. Ils nomment de façon originale leurs cuvées un peu spéciales, faites de cépages anciens ou interdits dans l’AOP de leur région. Ou bien leurs vins plaisir, à partager entre amis sans se prendre la tête et sans se ruiner. Ils ciblent aussi une clientèle plus jeune, curieuse, moins préoccupée par les méandres et contraintes des appellations officielles. D’ailleurs, ces vins ont souvent l’appellation la plus simple « vin de France », tandis que d’autres arborent toutes les caractéristiques des exigeantes AOP.

Cela a été une joie de découvrir dans le supplément Week-End du journal Le Parisien du 19 juin 2020 [1] un article intitulé « LA VALSE DES ETIQUETTES » qui traite justement de ces (bons) vins achetés pour leur étiquette.

Son auteur, Pierre VAVASSEUR est journaliste, écrivain, grand reporter au Parisien, amoureux des livres et récent créateur d’un très beau blog, lumineux même, consacré à la littérature [2]

Visiblement épicurien, il a composé un poème à partir des vins qu’il aime offrir à ses amis et qu’il choisit, dit-il, en fonction du « petit nom du jaja ».

Je me suis amusé à retrouver les vins qui composent son ode…. Pour une fois, ce n’est pas une, mais près de 75 étiquettes qui nous racontent une histoire !

Voici le poème et son texte d’introduction, reproduits avec l’autorisation de l’auteur et du Parisien, que nous remercions :

« A chaque fois que je suis invité chez des amis, comme l’autre soir par exemple, j’apporte une bouteille choisie en fonction de l’étiquette. Sauf que ce ne sont ni le cru ni le cépage qui m’attirent, mais le petit nom du jaja. Il en existe des amusants, osés, lyriques… tout un poème, autrement dit. Il fallait bien en écrire un. »

Respiration !…..Parmi les 74 noms relevés, des vins de toute la France ou de l’étranger (2 citations), quelques noms de domaines et non de cuvées (la Chouette du Chai, Haut Marin, domaine de la Prose) et même celui d’une brasserie iséroise (la Marmotte masquée) !

Pierre VAVASSEUR, bourguignon de naissance, a très bon goût. En fait de «jaja», sa sélection ne comporte pas de vins bas de gamme, et si quelques-uns ont un prix modéré (entre 5 et 13 euros), la majorité coute quand même  20 à 50 euros et certains atteignent des petits sommets (60 euros les 37,5 cl pour la cuvée Sul Q, on l’est effectivement…). Presque tous sont des vins bio, voire élaborés en biodynamie. Certains vignerons sont très bien représentés, en particulier le domaine d’Anne et Jean-François Ganevat, vignerons réputés du Jura (14 produits). Les vins dont le nom correspond à plus de 3 domaines (ex: cuvées Les Terrasses, les Anges, Plénitude) n’ont pas été détaillés. 

Outre leur habillage, à découvrir dans le carrousel surmontant le poème, les voici par ordre de citation (à consommer avec modération) :

Liens et références :

1. Les mots de Pierre. La valse des étiquettes. © Le Parisien Week-End, supplément au Parisien N° 23376 du vendredi 19 juin 2020.

2. Des minutes de lumière en plus. Blog littéraire de Pierre Vavasseur  

© Texte posté le 10/05/2021

Les vignerons à l’assaut de la COVID-19 !

(Dimensions de l’étiquette originale :  95 x  68 mm ; contre étiquette 55 x 68 mm)

A nouveau, ce blog présentant des étiquettes de vin rares ou originales est  bousculé par l’actualité. Celle qui bouleverse le monde depuis la fin 2019 : la pandémie de COVID-19.

Vignerons, marchands, négociants, œnologues, tous ont eu des idées pour faire face au virus. Sérieuses ou pas… surtout pas d’ailleurs! Mais l’humour et la dérision aident aussi à survivre, non ? Petit florilège, pour tous les stades de la maladie…

LE DEPISTAGE

Tout le monde sait maintenant que de nombreuses personnes infectées par le virus SARS-CoV-2 perdent l’odorat (anosmie) et le gout (agueusie). Cette atteinte neurologique en général bénigne de la COVID-19 concernerait environ 60% des cas. En contexte pandémique, perdre l’odorat est pour beaucoup un indicateur qu’il ou elle a peut-être attrapé le virus et doit se faire tester.

Avec cette cuvée « TEST COVID », Jean-Christophe Mauro, vigneron et propriétaire de la Chapelle Bérard (68 hectares en bio à Saint-Quentin-de-Caplong entre Libourne et Bergerac) joue avec beaucoup d’humour sur la perte de gout et d’odorat liée à la COVID-19.

L’étiquette au graphisme simple et accrocheur est un mode d’emploi :

« Verse-toi un grand verre de vin et sens le.

Si tu arrives à le sentir, goûte-le.

Si tu arrives à le sentir et à le goûter, tu n’as pas la Covid !!! ».

Partie d’une rigolade entre amis, mais aussi d’un souci réfléchi de se démarquer et relancer la vente des vins de sa région, cette cuvée est un vrai succès commercial. Parce que le vin est très bon, bio, proposé à moins de 10 euros la bouteille, les clients y reviennent pour sa qualité après avoir acheté la première bouteille par curiosité et amusement.

Cette cuvée est aussi (si vous avez toujours votre odorat) une invitation à découvrir les autres vins « transgressifs » de Jean-Christophe Mauro [1] : « les flacons flingeurs », étonnants Bordeaux de monocépages, « OOups », un rouge clairet à l’ancienne, « Censuré », un blanc de noirs aromatique et d’une superbe couleur œil de perdrix, ou encore « le Vin qui claque sa mère » !… Des habillages originaux pour de très bons vins bio, ciblant une clientèle jeune et moins « traditionnelle ».

JC Mauro a été imité (voire plagié…) quelques temps après par un autre vigneron, Christophe Avi, propriétaire du domaine du bois de Simon à Laplume (Lot et Garonne), qui a également proposé pour les fêtes de fin d’année 2020 (photo ci-dessous) une cuvée « TEST COVID », un merlot-Tannat 2018 d’AOP Brulhois. 

Là aussi, l’étiquette donne les 3 indications : 1. Servir un verre 2. Sentir le vin 3. Goûter le vin. Et la conclusion « Si vous trouvez du goût et de l’odeur, vous n’avez pas la Covid »

LA DESINFECTION

En cette période de COVID-19, on n’a probablement jamais autant consommé d’alcool… hélas sous la forme non comestible de gel hydro-alcoolique. Pourrait-on envisager comme désinfectant et virucide des formes plus sympathiques d’alcool ?

L’immense et regretté Jacques Puisais, biologiste, œnologue et philosophe, apôtre du « gout juste », avait établi sa résidence à Chinon, en Touraine. 

A 93 ans, il avait ses propres mesures barrières qu’il appliquait à tous ses visiteurs, comme le rappelle un de ses amis [2] :

« (Jacques) avait mis une barrière stricte pour le rencontrer à son domicile. Je l’ai visité à plusieurs reprises pendant les périodes de déconfinement et la procédure était la suivante :

– Masque obligatoire

– Lavage des mains

– Un verre d’eau de vie de prune pour purifier la bouche !!! »

Hélas, cela n’a pas suffi car le virus a fini par emporter Jacques Puisais le 6 décembre 2020.

LES TRAITEMENTS

C’est aussi en Touraine qu’est domiciliée l’Association Nationale d’Oenographilie ou ANO (les collectionneurs d’étiquettes et de documents sur le vin, la bière, les alcools) . Tous les ans, pour son assemblée générale, elle édite des étiquettes pour des cuvées spéciales. En 2020, à cause de la COVID-19, l’AG n’a pu avoir lieu mais l’ANO a maintenu sa tradition et a commandé une cuvée spéciale de Chinon, cher à Jacques Puisais, décorée d’une étiquette humoristique rendant hommage au personnel soignant (déco pour le tour de France cycliste ?) et comportant  un message fort : 

« Une dose de Chinon 2020, mieux que la Chloroquine« .

Message fort et totalement véridique, car il est maintenant admis que la chloroquine n’a aucun effet bénéfique sur la COVID-19…. Un excellent Chinon ne peut donc pas faire moins bien ! Et peut-être mieux, car consommé avec modération, n’est-ce pas un réel antidote à la morosité ? 

LES VACCINS

On retrouve ici Christophe Avi, propriétaire du domaine du bois de Simon (Lot et Garonne) qui propose sa prochaine cuvée thématique : 

« VACCS’VIN »!!

Disponible uniquement à partir de février 2021, comme cela avait été annoncé pour les vrais vaccins !

Et on retrouve également Christophe Mauro, avec une autre cuvée éphémère brocardant l’absence de vaccin français. On n’a pas de vaccin français, mais….

Dans le domaine des « vaccins » anti COVID, la palme de l’humour revient incontestablement à ce gérant d’un magasin de Bruxelles, qui dès mars 2020 avait exposé dans sa vitrine « LE VACCIN DU MOMENT : DEUX CORONAS ACHETEES, UNE MORT SUBITE OFFERTE ». 

Il parlait de bières bien sûr !….

Hélas, son idée a fortement déplu au responsable de la chaine de magasins dont il dépendait, et son vaccin du moment, pas très efficace au demeurant, a dû être retiré.

LA REEDUCATION OLFACTIVE

Terminons sur du plus sérieux. La perte d’odorat ou de goût régresse spontanément dans 50% des cas, le plus souvent en moins de 8 jours. Mais pour certains, elle persiste et peut durer plusieurs mois. Ce qui n’est qu’un désagrément pour tous, surtout les amateurs de vins, devient un drame pour les professionnels du vin (œnologues, sommeliers, vignerons) ou d’autres secteurs (gastronomie, parfumerie). Des services d’ORL ou de neurologie proposaient déjà des programmes de rééducation olfactive, dont le principe repose sur des stimulations répétées de l’odorat par une série d’odeurs ou de flagrances. L’Institut des sciences de la vigne et du vin de l’Université de Bordeaux a repris cette méthode et mis au point un kit de rééducation pour ses étudiants victimes des troubles sensoriels post COVID. La diffusion de ce kit va être élargie au grand public. A Nice aussi, le CHU remet des kits de rééducation olfactive, à base d’échantillons de cires diversement parfumées (aneth, thym, cannelle, girofle, coriandre, vanille, menthe, lavande,…) aux patients atteints, dans le cadre d’une étude visant à évaluer l’efficacité d’une telle rééducation.

Ces initiatives ne font que reprendre, dans un but thérapeutique, le concept du « Nez du Vin » créé dans les années 1980 par Jean Lenoir [4]. Le coffret, associant un livre sur les principes et étapes de la dégustation et des petites fioles contenant des extraits de parfums basiques, a eu un succès mondial. Réédité en plusieurs langues, il a été étendu depuis à l’Armagnac, au Whisky, au café…

N’attendez pas d’attraper le virus pour vous (ré)éduquer.

A votre santé !

© Le Nez du Vin. Editions Jean Lenoir

Liens et références :

1. Site du domaine La chapelle Berard de JC Mauro. www.chapelle-berard.com

2. Le Goût Juste. Blog de Jacques Puisais. Hommage de Roger Pallone. http://jacques-puisais.over-blog.com/2020/12/a-dieu-jacques.html

3. Site de l’Association Nationale d’oenographilie   http://www.associationnationaleoenographilie.com/

(voir aussi la page «  d’autres belles étiquettes« )

4. Cuvée Vaccs’vin, site des vins de Christophe Avi. https://christopheavi.com/vignobles-de-france/regions-viticoles/extra-terroirs/vaccsvin

5.  Le Nez du Vin. Editions Jean Lenoir. https://www.lenez.com/fr/editions-jean-lenoir/concept

© Texte posté le 12/02/2021