Tisane… de Champagne !

Pour fêter ce mois de janvier que certains esprits chagrins voudraient nous imposer sobre, « dry » ou de « défi sans alcool » [1], proposons une tisane … de Champagne ! Qui peut penser, en voyant cette étiquette sobrement intitulée « Tisane », qu’il s’agit en fait d’une étiquette de Champagne du siècle dernier ? Vous en doutez ? Alors lisez la suite…

Les origines du mot tisane

Chez les grecs anciens, « ptisanê » désignait de l’orge pilée, avec laquelle on faisait une décoction qu’on administrait aux malades. Au XVIIe siècle, le mot a peu évolué, mais désigne la boisson et non la plante infusée, ainsi qu’on le lit dans le premier dictionnaire de l’Académie française (1694) : « PTISANNE. s. f. On prononce Tisanne, Breuvage composé avec de l’orge, de la réglisse, du chiendent, ou autres simples qu’on fait boüillir ou simplement infuser dans de l’eau. ». Un siècle plus tard dans la 5è édition du même dictionnaire (l798), le mot « tisane » a pris son orthographe moderne, mais sa définition reste quasi inchangée, sans aucune allusion à son possible emploi pour désigner du vin.

Tisane de vin, tisane de Champagne 

L’usage d’utiliser le mot tisane pour désigner du vin ou du cidre est pourtant ancien. Rabelais célébrait le vin sous le vocable de « tisane de bois tordu » [2]. Deux siècles plus tard, on rapporte que le Duc de Richelieu (neveu du cardinal) avait guéri le Roi Louis XV d’une « langueur d’entrailles » grâce au vin de sa propriété de Moulis. A la suite de quoi son précieux vin, et par extension tous les vins du Médoc, ont été surnommés par la cour « tisane de Richelieu ». Dans l’Art de cultiver les pommiers, les poiriers et de faire des cidres normands (1765), le Marquis de Chambray vante les vertus du « petit cidre », coupé d’un peu d’eau, et qu’il nomme « la tisane des Normands ». Pour le vin comme pour le cidre, il est possible que ce soit en raison de propriétés médicales que ces boissons alcoolisées ont été nommées tisanes, les rapprochant ainsi des décoctions purement médicinales des origines du mot.

Origine de la tisane de Champagne

On peut penser, sans toutefois le prouver, que le lien est similaire en ce qui concerne la tisane de Champagne. La bataille des vins d’Henri d’Andeli ne vante-t-elle pas dès le XIIIe siècle les vertus diurétiques des vins d’Epernay et de Hauvillers ?

La consommation de tisane de champagne est attestée au XVIIIe siècle. Dans Tableaux de genre et d’histoire peints par différens maîtres (François Barrière, 1828), on apprend que le Duc Philippe d’Orléans, régent de France pendant la minorité de Louis XV et mort en 1723, appréciait déjà la tisane de Champagne. Extrait d’un dialogue avec un de ses invités souffrant de migraine : « J’ai ici de la tisane de Champagne, voilà celle qu’il faut encore aux gens qui se portent bien ; car, pauvres humains que nous sommes, nous avons toujours besoin de remèdes. J’ai donc partout de cette tisane, et nous en boirons en mangeant un poulet ».

Autre témoignage, Robespierre (1758-1794) qui n’aimait pas ce vin, aurait écrit en réponse à une invitation à en boire : « Non ! Je reste chez moi. La tisane de Champagne est le poison de la liberté » [3].

Pas d’étiquettes de cette époque bien sûr, mais peut-être cette série de médaillons en porcelaine portant des noms de vins, ancêtres de nos étiquettes, qui s’est vendue il y a quelques années aux enchères. Parmi eux, une « Tizanne de Champagne » pourrait, d’après la graphie et l’orthographe, renvoyer au XVIIIe siècle ?

La plus ancienne étiquette de tisane de Champagne pourrait être celle de « Tysanne » de J. Moët et Cie, dont des fac-simile ont été réédités dans les années 1960 (illustration ci-dessus).  Jean-Rémy Moët (1758-1841), petit-fils du fondateur Claude, dirigeait alors la maison qui est devenue « J. Moët et Cie » en 1807.  

De rares étiquettes lithographiées datant des premières utilisations de cette technique pour étiqueter le Champagne à partir de 1820-30, nous sont parvenues, telle cette étiquette toute simple, bleu sur fond blanc.

On peut y rattacher la très délicate étiquette également lithographiée, reproduite dans le livre L’étiquette du Champagne du regretté Georges Renoy (Editions Racine et Vilo, 1996) [4] et rangée par cet expert dans les étiquettes des origines.

Les autres témoignages antérieurs à 1850 sont rares. Antoine Arnault, auteur dramatique français totalement oublié bien que membre de l’Académie française, écrit dans le Journal d’un sauvage paru en 1827 : « le père, enfin, un des plus fidèles habitués des tavernes de Londres, nous versa de la tisane de Champagne, qu’il boit à pleins verres, parce qu’il tient aux usages de ses pères » (Critiques philosophiques et littéraires). Théophile Gautier père y fait allusion dans son roman Sous la table publié en 1833 : « Je lui fis boire plusieurs verres coup sur coup, et elle commença à entrer en gaîté : ses joues se rosaient comme de la tisane de Champagne. » (Romans goguenards). Alexandre Dumas père également, dans ses voyages : « Pour l’instruction de nos lecteurs, qui ne savent probablement pas ce que c’est que l’asprino d’Aversa, nous leur apprendrons que c’est un joli petit vin qui tient le milieu entre la tisane de champagne et le cidre de Normandie.» (Voyages, Le Corricolo, 1843).

La plupart des autres documents (étiquettes, dépôts de marque, tarifs) ou citations littéraires datent de la seconde moitié du XIXe siècle. Ainsi, dans son Grand Dictionnaire de cuisine paru en 1873, Alexandre Dumas cite le « Champagne blanc tisane », à côté de 8 autres crus ou variétés de vins de Champagne, comme devant faire partie de la « liste des vins dont la cave d’un amphitryon de nos jours doit être garnie ».

La tisane de Champagne, qu’est-ce au juste ?

Au XIXe siècle, la tisane était une variété de vin de Champagne effervescent. La maison de Venoge nous apprend que sa Tisane des Princes correspondait à un dosage en sucre très élevé, conforme au goût dit français ou russe de l’époque, le marché anglo-saxon préférant les vins plus secs (goût américain) voire bruts (goût anglais). C’est également cette définition que retient le dictionnaire de la langue française de Littré : « vin de Champagne plus doux, plus sucré, moins spiritueux ».

Frédérique Crestin-Billet (La folie des étiquettes de vins, éditions Flammarion, 2000) présente la tisane de Champagne comme « un vin de qualité plutôt modeste, souvent blanc, et très peu pétillant voire tranquille. On se servait généralement pour l’élaborer de jus de moindre qualité, notamment ceux dits de retrousse : à la fin du pressurage, les raisins sont ramenés vers le centre du pressoir et pressés une dernière fois ».

Dans sa très complète Histoire sociale et culturelle du vin (éditions Larousse, 1998), Gilbert Garrier est encore plus précis : « En Champagne, la première serre (ou taille), correspondant au pressurage de 4000 kilos de raisin et au moût qui en résulte, donne les « premières cuvées » ou « têtes de cuvées ». Après une retrousse (ou rebêche du marc), on presse à nouveau pour obtenir le vin de « deuxième taille ». Le troisième pressurage ne donne que du « vin de rebêche » théoriquement impropre à devenir du vin de Champagne (…).  Issue de la 2è taille ou rebêche, la tisane de Champagne était fortement sucrée et se vendait moins cher que les autres ; elle se frappait à la glace (sorbet) ou s’allongeait d’eau pour constituer un rafraîchissement agréable aux vertus diététiques reconnues ».

La tisane, vrai champagne ?

Ces définitions, un peu différentes, ne sont pas antagonistes, l’ajout de sucre pouvant justement masquer les insuffisances d’un vin médiocre. Faut-il pour autant faire de la tisane de Champagne un sous-produit, un rebut ? Certainement pas, du moins au début du XIXe siècle. Les témoignages œnographiliques, en particulier les tarifs, indiquent certes une hiérarchie entre la tisane et d’autres variétés de Champagne, mais la tisane restait quand même un produit de luxe. A l’opposé de notre étiquette initiale minimaliste, certaines étiquettes de tisane étaient luxueuses et ne diffèraient quasiment pas en qualité d’impression, graphisme, des étiquettes d’autres champagnes (illustration)

Habillage luxueux pour simples tisanes

Les grandes maisons de Champagne, parmi lesquelles Besserat, Bollinger, de Venoge, Massé, Moët, Montebello, Mumm, Joseph Perrier, Roederer, ont commercialisé leur tisane jusqu’au début du XXe siècle.

Etiquettes de Tisane de Champagne de grandes maisons champenoises

La maison de Venoge déposa en 1895, en hommage aux princes d’Orange, les marques « Cuvée des Princes », « Cuvée Princière », « Champagne des Princes », « Réserve des Princes », « Champagne rouge des Princes », mais aussi « Tisane des Princes ».

Un tarif de la maison Duc de Montebello des années 1840-50 nous précise l’échelle des prix des différentes cuvées : la tisane était effectivement le champagne le meilleur marché, proposé à 2 francs 25, soit deux fois moins que les cuvées les plus prestigieuses (fleur de Sillery mousseux à 4 francs, Crémant à 4f 50).

« Carte porcelaine » de représentant de la maison de Champagne Duc de Montebello (créée en 1834), comportant au dos un tarif (vers 1840-1850). Lithographie Barbat, Chalons S/Marne

Presqu’un siècle plus tard, l’échelle des prix n’avait pas sensiblement varié, d’après un tarif des vins de Champagne de l’enseigne Felix Potin de 1912 [5] : tisane à 3 francs, grand mousseux à 3f 50, Champagne de la catégorie la plus élevée à 5f 50. L’analyse comparative des prix de l’ensemble des vins montre cependant que, même à 2 francs à la propriété, soit 4 à 5 francs dans les restaurants, la tisane restait un vin cher, réservé à l’élite. A titre d’exemple, dans un restaurant parisien en 1830, la bouteille de champagne était à 5 francs (sans précision de qualité), celle de Pouilly à 2 francs, celle de Nuits ou de Médoc à 4 francs, tandis qu’au détail un litre de vin blanc ordinaire valait entre 10 et 15 sous.

Entre 1850 et 1910 l’image de la tisane que nous transmettent les documents œnographiliques et les textes littéraires se brouille passablement. Certains auteurs la présentent comme un vin de Champagne simple, de fête, apprécié localement : « Chacun, en chantant Noël, regagnait le toit de la veillée. (…) A table on se mettait. (…) La tisane de Champagne chassait tous les soucis » (Prosper Tarbé, Romancero Champenois, 1863). Ou encore sous la plume de Gérard de Nerval : « En sortant de Saint-Médard, je me suis un peu égaré sur les bords de l’Aisne (…), je me suis trouvé dans un village nommé Cuffy, d’où l’on découvrait parfaitement les tours dentelées de la ville et ses toits flamands bordés d’escaliers de pierre. On se rafraîchit dans ce village avec un petit vin blanc mousseux qui ressemble beaucoup à la tisane de Champagne. En effet, le terrain est presque le même qu’à Epernay. C’est un filon de la Champagne voisine qui, sur ce coteau exposé au midi, produit des vins rouges et blancs qui ont encore assez de feu. » (Angélique, 12e lettre. Les filles du feu, 1854).

Etiquettes de Tisane de Champagne de la seconde moitié du XIXe siècle. Le restaurant Cabassud, à Ville d’Avray, fréquenté et peint par Corot entre 1850 et 1870, existe toujours [6-7]. L’étiquette aux deux coqs est parfois attribuée à la maison Bollinger, parfois à Montebello.

A Paris, c’est une autre histoire, et la différence entre Champagne et tisane se fait plus nette. Peut-être par snobisme ? Chez Guy de Maupassant (Imprudence ou Monsieur Parent, 1886), une tisane est proposée pour accompagner un repas entre amoureux dans le cabinet particulier « d’un grand café du boulevard » :  « Menu corsé : potage bisque, poulet à la diable, râble de lièvre, homard à l’américaine, salade de légumes bien épicée et desserts. Nous boirons du champagne. Le maître d’hôtel souriait en regardant la jeune femme. Il reprit la carte en murmurant :Monsieur Paul veut-il de la tisane ou du champagne ?Du champagne, très sec. »

Marcel Proust, dans Jean Santeuil (1896), présente carrément la tisane comme un vin de second choix : A l’hôpital de la Pitié, l’interne en chirurgie Etrat doit payer le Champagne à ses collègues de salle de garde, qui lui réclament « du meilleur, du plus cher ». Ayant exécuté la taxe, il se fait brocarder « sur ce que son champagne était de la tisane ». « Cela, du Champagne ? C’est de l’eau ! Félicie, M. Etrat demande une autre bouteille de Champagne, et du vrai cette fois-ci (…) ».

Cependant, les grands cafés et restaurants parisiens de l’époque que fréquentaient ces auteurs, le Café de Paris boulevard de l’Opéra, le Café Anglais boulevard des Italiens, le Weber et Maxim’s rue Royale, le Pavillon Royal au bois de Boulogne, avaient tous leur propre tisane de Champagne à la carte.

Etiquettes de Tisanes de Champagne de grands cafés-restaurants parisiens du XIXe siècle

Dans les années 1880, la mode est de boire la tisane de Champagne frappée « à glace », en sorbet, ou en « long drink » allongée d’eau. La France, qui avait pris le goût des boissons glacées lors de l’Exposition universelle de 1878 au contact des Américains, importait sa glace de Suède et de Suisse ou, quand l’hiver était assez rude, du bois de Boulogne. Tous les cafés offraient désormais des carafes frappées à leurs clients. Duclaux dans Les impuretés de la glace (1884), écrit : « l’usage de la tisane de champagne, des sorbets et des boissons spéciales qu’on hume avec un chalumeau et qui renferment de la glace pilée s’est considérablement répandu ».

C’est ainsi que la tisane frappée est présente lors d’un réveillon chez la comédienne Marguerite Percy (Une vengeance, Paul Bourget, 1890) : « ces forçats de Paris, pressés autour de cette table où (…) les bouteilles d’eau minérale montrent leurs étiquettes pharmaceutiques à côté des carafes de tisane frappée. »

et s’invite chez Feydeau (Séance de nuit, Scène XII, 1897) : « Fauconnet, se versant de la tisane de champagne, à part. – Oh! je la fourre en fiacre, je la colle chez elle… et quand elle me reverra!… (buvant). Pouah! cette tisane est chaude!…Gentillac. – Eh bien! tu as une carafe frappée à côté de toi… tu peux y mettre ton champagne. C’est fait pour ça! Il verse le contenu de la bouteille dans la carafe.»

A l’aube du XXe siècle l’usage de la Tisane semble se démocratiser, voire s’encanailler. La plume de Jean Lorrain (La Maison Philiber, 1904) témoigne d’un changement de registre : « Messieurs, Mesdames. J’propose de trinquer à la santé de la patronne. Eh ! Eugénie, apporte le Champagne Saint-Marceau première, d’la tisane à quatre francs cinquante. J’ai fait venir ça de Reims ; j’te donnerai l’adresse ».

Photo d’une étiquette de Tisane millésimée de 1904, un cas unique ?

A la même période pourtant, le Pavillon, Royal, restaurant du bois de Boulogne devenu très chic, sert une tisane millésimée 1904, cas semblant unique pour une simple tisane (illustration). Et une tisane de Champagne figure en premier service des vins lors du dîner servi au roi d’Espagne Alphonse XIII par le Président Emile Loubet le 24 octobre 1905, suivie de vins aussi prestigieux qu’un Yquem 1890, un Mouton Rothschild 1878, un Richebourg 1884 et un Champagne Pommery pour terminer !

Les sources littéraires les plus tardives n’hésitent pas à présenter la tisane comme une bibine, voire un ersatz de « vrai » Champagne. Ainsi, Pierre Hamp (La peine des Hommes, 1913) met en scène un négociant sérieux, Hartmann (avec deux « n »), aux prises avec la concurrence déloyale d’un imitateur peu scrupuleux, Hartman (avec un seul « n ») :

« Hartman ne connaissait ni vignes ni caves ; il vendait deux syllabes sur papier doré. (…) Il plaçait beaucoup à Paris dans les établissements de nuit qui subventionnent les courtisanes racoleuses du client capable d’étancher leur soif de grand cru. On leur versait, par confusion du nom célèbre, la tisane Hartman payée trois francs et revendue dix-huit à ces hommes saouls, ce qui était un plus grand bénéfice que de compter vingt le Hartmann authentique acheté neuf francs. »

Indépendamment de l’escroquerie, l’intérêt de cet extrait est de préciser une des destinations principales de la tisane en ce tournant de siècle : les cafés-concerts et les bordels. Les caf’conc ont été autorisés à partir de 1849 avec la fonction « de distraire le public par un spectacle vocal et musical », mais il était également noté que leur « principale raison sociale est la vente de boissons ». Leur entrée, initialement gratuite, avait vite été rendue payante, ce qui donnait le droit à une consommation. « Une clientèle assez fortunée y boit du mousseux, du médiocre champagne, des vins sucrés servis au verre (…) ». Les maisons closes étaient à cette époque un autre haut lieu de consommation de vin pétillant acheté bon marché et revendu assez cher, surtout lorsque le nom Champagne pouvait figurer sur l’étiquette. « On allait là chaque soir, vers onze heures, comme au café, tout simplement » (Guy de Maupassant, La maison Tellier, 1881). Il n’est pas nécessaire de « monter », mais il est recommandé de beaucoup commander à boire « du vin bouché à un franc le litre et surtout du champagne, qui n’est souvent qu’un mauvais mousseux, mais se facture 10 francs en salle et 20 francs en chambre » (Jacques Termeau, les maisons closes de province, Editions Cénomane, 1986). C’est sur ce terrain que le champagne, probablement sous forme de tisane, tentait de lutter contre ses nouveaux concurrents, les vins mousseux issus de l’exportation de la méthode champenoise : les Saint Péray, Seyssel, Anjou/Saumur, Touraine/Vouvray, voire ces étonnants Bourgogne traités en mousseux (Meursault, Chablis ou même Montrachet !) [8]. Nous n’avons pas trouvé de trace de tisane de Champagne postérieure à 1912. La mode d’en consommer s’est peut-être éteinte progressivement, puis totalement avec la « grande » guerre ?

Alors, convaincu(e) ? Contrairement à ce que veut nous faire croire cette publicité récente pour T-shirt humoristique, Tisane et Champagne n’ont jamais été opposés !

Liens et références :

1. A propos de cette hypocrisie, voir le joli billet de Jérémie Peltier dans Marianne, N°1451, 2-8 janvier 2025. https://www.marianne.net/agora/humeurs/jeremie-peltier-le-dry-january-ressemble-de-plus-en-plus-a-une-belle-hypocrisie

2. Nom repris par Cyrille Vuillod, vigneron à La Chaumière 69460 Vaux en Beaujolais, domaine de « La dernière Goutte », pour une de ses vins naturels de cépage Gamay. https://www.vinsnaturels.fr/003_viticulteurs/Beaujolais-La-Derniere-Goutte-Cyrille-Vuillod-275.html  

3. Cité par Brunet et Laval, Littérature du vin et de la table, 1936, citation reprise dans l’Anthologie du Champagne du Colonel François Bonal, 1990. https://maisons-champagne.com/fr/extrait/1056

4. Georges Renoy. L’étiquette du Champagne. Editions Racine pour la Belgique, Vilo pour la France, 1996.

5. Tarif consultable sur le site commercial HPRINTS. https://hprints.com/en/item/64938/Felix-Potin-1912-Leaflet-Phenix-Malakoff

6. Etablie en 1845 au bord des étangs et du bois de Ville d’Avray (92410), l’auberge de la Chaumière, dirigée par Jean-Baptiste Cabassud, faisait également office de guinguette attirant de nombreuses célébrités. Racheté par Sodexo, rénové en 2008 par les fondateurs de la marque « Les Source de Caudalie », puis racheté en 2020, l’hôtel restaurant, site classé, existe toujours sous le nom « les Etangs de Corot ». https://www.etangs-corot.com/fr/

7. Claudius-Petit Dominique. « Les origines d’une guinguette, l’auberge Cabassud » (p.3-14) dans Ville-d’Avray, histoire et témoignages n°1, 2002.

8. Voir notre article « Etonnants bourgogne mousseux ». https://histoiresdetiquettes.com/2022/09/10/etonnants-bourgogne-mousseux/

© Texte posté le 10/01/2025

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou de copies d’écran

Le vin de la comète

(Dimensions de l’étiquette originale :  95 x 55 mm)

Voici une étiquette lithographiée de Champagne (Sillery Mousseux) du XIXème siècle, destinée à l’export aux Etats Unis d’Amérique et célébrant, comme son nom COMET l’indique, une comète.

De quelle comète s’agit-il, la comète qui a donné son nom au « vin de la comète » ou une autre comète ?

1. La grande comète du « vin de la comète » 

Le vin de la comète, surtout le vin de Champagne, a été longtemps célébré tant par les vignerons que les poètes [1]:

Le soir, déjà ; son traîneau glisse,

Si vite qu’il effraie les gens ;

Le givre luit sur sa pelisse

Et tremble en poussière d’argent.

Il file chez Talon; il dîne

En compagnie de Kavérine.

Il entre — un jet mousseux d’Aÿ

De la comète qui jaillit (…)

(Pouchkine, Eugène Onéguine, 1823-1831)

La comète du « vin de la comète » est la grande comète de 1811, appelée aussi Comète de Napoléon. Personne ne se souvient de son vrai nom (C/1811 F1) ni de celui de son découvreur (Honoré Flaugergues, astronome amateur français). Personne n’attend son retour car sa périodicité est de plus de 3000 ans et elle ne repassera pas à proximité de la terre avant l’année l’an 4906 du calendrier occidental !

La grande comète de 1811 a marqué les esprits et les vignerons pour deux raisons principales : son caractère spectaculaire, avec une très longue queue, visible pendant 9 mois consécutifs (entre mars 1811 et le début de 1812 et particulièrement pendant les vendanges de 1811), et l’association à des conditions climatiques optimales qui ont conduit à un millésime exceptionnel pour le vin, tant en qualité qu’en quantité. Surtout en Champagne. Pour les maisons champenoises, cette année salvatrice a fait suite à plusieurs années catastrophiques et un marché international, en particulier russe, sinistré par les guerres napoléoniennes. Ce que décrit très bien Roger Pourteau dans un article publié dans le Figaro le 19/03/2011 [2] :

« C’est en 1814 que le millésime de la comète révéla toutes ses qualités. Après trois années détestables (1805, 1808 et 1809), la vendange 1811, commencée en septembre (un gage de réussite), a mis un terme à une série noire qui menaçait plus d’une maison. Pour la Veuve (Cliquot), le salut vint de Russie où étaient parvenus des échos flatteurs du « vin de la comète ». Commandes massives donc assorties d’une exigence : que les bouteilles soient identifiées par une vignette portant la mention «Vin 1811 de la comète». Réalisées à la main, elles furent les toutes premières étiquettes de la Champagne, l’usage n’en sera généralisé que quarante ans plus tard. »

Je ne connais pas d’exemplaires originaux d’étiquettes de vin de la comète. Comme le précise l’article du Figaro [2], les étiquettes du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin commandé en Russie étaient manuscrites, et il n’y en a aucune trace connue (peut-être y en a-t-il dans des archives russes non encore publiées ?).

Par contre, je dispose d’une série de fac-similés d’étiquettes des origines de la maison Moët et Chandon éditée dans les années 1960. Les reproductions concernent des étiquettes du début du XIXème siècle et de la fin du XVIIIème. Parmi elles, une étiquette de Jean Rémy Moët (1758-1841, petit-fils de Claude Moët fondateur de la marque) porte la mention, également manuscrite à l’origine, de « vin d’Aÿ blanc crémant de 1811 ».

L’étiquette a la forme en écu de l’étiquette de la cuvée Dom Pérignon et arbore comme elle, en bas, une étoile à 5 branches, rappel stylisé de la comète de 1811. Etoile qui figure constamment sur la quasi-totalité des étiquettes de Moët jusqu’à nos jours….

2. La comète de Halley

La plus connue est la comète de Halley, qui passe à proximité du soleil et est donc visible de la terre tous les 76 ans : 1986, 1910, 1835, 1758, etc…

Trois passages peuvent avoir été commémorés sur des étiquettes de vin : 1986, 1910 et 1835 puisqu’en 1758 et avant, les étiquettes telles que nous les connaissons, imprimées sur papier et collées sur les bouteilles, n’existaient pas. On considère en effet que les premières étiquettes imprimées datent de 1800 ou de la toute fin du XVIIIème siècle [3]. L’essor de l’étiquetage nait avec la lithographie, inventée dès 1798. Mais les premières étiquettes de vins lithographiées ne sont apparues qu’à partir de 1820 et étaient réservées aux vins de haut de gamme, vins allemands, puis vins de Champagne, de Bordeaux et de Bourgogne.

Cette étiquette « COMET » de Sillery mousseux commémore-t-elle le passage de 1910 ou de 1835 ?  Difficile à affirmer en l’absence de millésime. Mais le style de l’étiquette lithographiée et les inscriptions peuvent tout à fait correspondre au début du XIXème siècle. Une étiquette de Sillery millésimée 1834, conservée par la médiathèque d’Epernay et reproduite dans le livre L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles [4] est très proche graphiquement. Donc on pencherait plutôt pour une commémoration du passage de la comète de Halley en 1835…

Pas d’ambiguïté de comète ni de datation (1835) avec la magnifique étiquette de Sillery première qualité de la maison Renaudin Bollinger « Haley’s comet brand », destinée au marché américain, reproduite dans le livre de référence « L’étiquette du Champagne » de Georges Renoy [5].

Le passage de la comète de Halley en 1986 a également été l’occasion d’étiquetage commémoratif, et pas uniquement en Champagne !

3. Traces de comètes sur étiquettes célèbres

De nombreuses étiquettes et bouchons de Champagne, anciens ou actuels, gardent une trace de la grande comète de 1811.  Les deux plus beaux exemples sont les champagnes Veuve Cliquot Ponsardin et Moët et Chandon.

La comète du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin

Les étiquettes de Veuve Clicquot Ponsardin ont affiché, depuis l’époque de la première comète jusque dans les années 1980, une étoile et une queue de comète au centre d’un cercle portant en périphérie les noms V CLIQUOT P et WERLE. [6]

Hélas, la comète des origines a disparu des étiquettes de la maison à partir des années 1980, remplacée par l’autre symbole de la maison : l’ancre de marine. Exit aussi le nom et la référence à Edouard Werlé, jeune employé (1821) puis associé (1830), puis successeur de Madame Clicquot à son décès en 1866. Il a également été maire de Reims 1852 à 1868, député de Reims de 1862 à 1870, commandeur de la légion d’honneur, président du tribunal de commerce, conseiller général de la Marne et président honoraire du syndicat des vins de Champagne….. Un personnage important, donc.

Trois étapes de la célèbre étiquette jaune du Champagne Veuve Clicquot Ponsardin, la dernière version avec la comète (fin des années 1970), la première sans (années 1980) et la version actuelle (années 2010-2020). (collection de l’auteur)

Les bouchons de la maison Veuve Cliquot Ponsardin ont également arboré la comète complète ou l’étoile seule pyrogravées (illustration), rejoints par de très nombreux producteurs.

C’est d’ailleurs ce qui a permis l’identification de bouteilles de Champagne lorsque des plongeurs ont remonté en juillet 2010 du fond de la mer Baltique 168 bouteilles de champagne, dont 47 de Veuve Clicquot facilement identifiées grâce à la marque apposée sur les bouchons représentant la comète [2]. Auparavant, les bouchons de la Veuve étaient marqués de l’ancre, symbole d’avenir et de prospérité, qui a détrôné la comète sur les étiquettes.

La comète du Champagne Moët et Chandon

Chez Moët, comme on l’a vu, pas de comète complète, mais une simple étoile, présente depuis les origines sur quasiment toutes les étiquettes de la maison (sauf quelques étiquetages pour l’export). Mais si l’étoile est toujours présente, elle diminue nettement en taille (illustration), témoin volontaire ou non de l’éloignement progressif de la comète des origines mais aussi de l’amnésie progressive de la symbolique de la comète après plus de 150 ans….

Trois étapes de l’étiquette de cuvée brut impérial de Moët et Chandon, l’étoile se rétrécit, comme la comète qui s’éloigne….

(Collection de l’auteur)

Les comètes s’éloignent de la terre et disparaissent des étiquettes…

Les étiquettes de la  maison de champagne Delamotte Père et Fils (Le Mesnil sur Oger) arboraient une des plus belles comètes, d’abord sur la collerette, puis sur les étiquettes, déclinées en plusieurs couleurs. Mais là encore, les dernières versions des étiquettes de cette maison ont abandonné la comète et ont évolué vers une assez triste austérité.

Même constatation pour la discrète comète des Champagne Bollinger, présente sur certaines séries d’étiquettes de la fin du XIXème siècle, encore présente sur quelques étiquettes des années 1970, dont celle la célèbre cuvée Vieilles Vignes Françaises, avant de totalement disparaitre au cours des années 1980.

Etiquettes Bollinger du XIXème et plus récentes de la cuvée Vieilles vignes françaises, avec puis sans symbole de la comète (collection de l’auteur)

On remarque que la plupart des grandes maisons de Champagne qui affichaient ou affichent encore des comètes sur leur étiquettes ont été créées à la fin du XVIIIè siècle (Moët et Chandon 1742, Delamotte P et F 1760, Veuve Cliquot Ponsardin 1772, Heidsieck 1785) et étaient donc en pleine activité au moment du passage de la comète de 1811.   Simple coïncidence ?

Pour la maison fondée en 1838 à Aÿ par William Deutz et Pierre Geldermann, devenue Deutz tout court dans les années 1980, l’apparition de la comète fut éphémère…

4. Vin de la comète, vin d’exception…

Mais si on se base sur l’évolution des étiquettes de ces maisons de Champagne, force est de constater que la référence à la comète comme symbole d’un vin exceptionnel s’estompe voire disparait totalement des cerveaux des femmes et hommes de marketing champenois actuel. Il faut dire que plus de 200 ans ont passé et que le symbole a quand même tenu le coup pendant plus de 150 ans….

Quelques cuvées modernes continuent pourtant à se revendiquer d’une comète, non pas d’un moment précis ou d’une comète identifiée, mais d’une comète en général. C’est le cas (liste non exhaustive) d’un Sancerre (domaine Paul Prieur et Fils), d’un Crémant de Loire (Vincent Esnou, domaine de la Belle Etoile), d’un Jurançon sec (Maxime Salharang, Clos Larrouyat, Maison Dubecq), d’un autre Jurançon vendanges tardives cette fois (Pascal Labasse, domaine de Bellegarde), d’un vin blanc du domaine des Grillons (Côtes du Rhône), ainsi que d’une cuvée « queue de comète » (Cotes du Rhône blanc, domaine Gramillier).

Reprenant l’association entre millésime exceptionnel et comète, un vigneron a nommé « cuvée de la comète » une vendange tardive particulièrement réussie en 2017, alors que 2018, 2019 et 2020 n’avaient rien donné. Sa réponse à la question  « Pourquoi une cuvée Comète ? »  a été étonnante : « Parce qu’une comète ça passe, et on ne sait pas quand elle reviendra » Affirmation sympathique, mais totalement infondée car, comme on l’a vu, si les années exceptionnelles sont imprévisibles pour le vin, les calculs des astronomes sont d’une grande fiabilité pour établir la périodicité de passage de toutes les comètes connues !

5. Pluie de comètes sur étiquettes et collerettes…

Toute référence à la comète n’a donc pas disparu de nos étiquettes de vins. Amis collectionneurs, regardez vos étiquettes, de Champagne surtout. Vous serez surpris de découvrir ici ou là une comète stylisée, une étoile, soit sur l’étiquette elle-même, soit plus discrètement sur la collerette seule comme dans les quelques exemples montrés ici.

Liens et références :

1. Le vin de la comète. Blog Au bon clos. Publié le 12 septembre 2011.

2. Roger Pourteau. La comète de 1811 veille encore sur Veuve Clicquot. © Le Figaro, publié  le 19/03/2011 ;

3. Georges Renoy. Le livre de l’étiquette de vin. © Bruxelles, Racine/ Paris, Vilo, 1995

4. Marie-Thérèse Nolleau Pierre Guy. L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles, © 2015, Gueniot Dominique Editions

5. Georges Renoy. L’étiquette du Champagne. Editions Racine, 1996.

6. Les femmes et les maisons de Champagne. Veuve Cliquot Ponsardin. Reims Champagne actu, publié le 21 juin 2006.

© Texte posté le 31/10/2021, mis à jour le 25/10/2024 et le 06/01/2025

LA SUITE ….

  1. Un dimanche de fin novembre, on débouche une bouteille de Vouvray, et devinez ce que je découvre, gravé sous le bouchon ?

2. Pour illustrer notre propos, voici un petit jeu : quelle est la différence entre ces deux étiquettes de Champagne brut rosé de Damery ? Un indice : la première est probablement antérieure à 1992, la seconde postérieure …

Autre indice, c’est sur la collerette que ça se passe ! Eh oui, le vigneron a voulu apposer sur son étiquette le logo « point vert », attribué depuis 1992 aux entreprises qui contribuent financièrement au dispositif de recyclage de l’emballage. Et hop, bonjour le point vert et adieu la comète, une nouvelle fois !

La Valse des étiquettes

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« Drôlatiques, coquines ou romantiques, les étiquettes des bouteilles de vin offrent matière à raconter  une histoire… »                 

P. Vavasseur 

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Ne vous est-il jamais arrivé d’acheter une bouteille chez votre caviste de quartier ou au supermarché, uniquement parce que l’étiquette est amusante, le nom du vin original, en clin d’œil ou jeu de mots ?

J’avoue que cela m’arrive souvent… et je suis rarement déçu. Car l’exercice ne souffre pas la médiocrité. Les vignerons qui se prêtent à ce jeu sont en général dotés d’un souci de la qualité doublé d’un solide sens de l’humour voire de la provocation. Ils nomment de façon originale leurs cuvées un peu spéciales, faites de cépages anciens ou interdits dans l’AOP de leur région. Ou bien leurs vins plaisir, à partager entre amis sans se prendre la tête et sans se ruiner. Ils ciblent aussi une clientèle plus jeune, curieuse, moins préoccupée par les méandres et contraintes des appellations officielles. D’ailleurs, ces vins ont souvent l’appellation la plus simple « vin de France », tandis que d’autres arborent toutes les caractéristiques des exigeantes AOP.

Cela a été une joie de découvrir dans le supplément Week-End du journal Le Parisien du 19 juin 2020 [1] un article intitulé « LA VALSE DES ETIQUETTES » qui traite justement de ces (bons) vins achetés pour leur étiquette.

Son auteur, Pierre VAVASSEUR est journaliste, écrivain, grand reporter au Parisien, amoureux des livres et récent créateur d’un très beau blog, lumineux même, consacré à la littérature [2]

Visiblement épicurien, il a composé un poème à partir des vins qu’il aime offrir à ses amis et qu’il choisit, dit-il, en fonction du « petit nom du jaja ».

Je me suis amusé à retrouver les vins qui composent son ode…. Pour une fois, ce n’est pas une, mais près de 75 étiquettes qui nous racontent une histoire !

Voici le poème et son texte d’introduction, reproduits avec l’autorisation de l’auteur et du Parisien, que nous remercions :

« A chaque fois que je suis invité chez des amis, comme l’autre soir par exemple, j’apporte une bouteille choisie en fonction de l’étiquette. Sauf que ce ne sont ni le cru ni le cépage qui m’attirent, mais le petit nom du jaja. Il en existe des amusants, osés, lyriques… tout un poème, autrement dit. Il fallait bien en écrire un. »

Respiration !…..Parmi les 74 noms relevés, des vins de toute la France ou de l’étranger (2 citations), quelques noms de domaines et non de cuvées (la Chouette du Chai, Haut Marin, domaine de la Prose) et même celui d’une brasserie iséroise (la Marmotte masquée) !

Pierre VAVASSEUR, bourguignon de naissance, a très bon goût. En fait de «jaja», sa sélection ne comporte pas de vins bas de gamme, et si quelques-uns ont un prix modéré (entre 5 et 13 euros), la majorité coute quand même  20 à 50 euros et certains atteignent des petits sommets (60 euros les 37,5 cl pour la cuvée Sul Q, on l’est effectivement…). Presque tous sont des vins bio, voire élaborés en biodynamie. Certains vignerons sont très bien représentés, en particulier le domaine d’Anne et Jean-François Ganevat, vignerons réputés du Jura (14 produits). Les vins dont le nom correspond à plus de 3 domaines (ex: cuvées Les Terrasses, les Anges, Plénitude) n’ont pas été détaillés. 

Outre leur habillage, à découvrir dans le carrousel surmontant le poème, les voici par ordre de citation (à consommer avec modération) :

Liens et références :

1. Les mots de Pierre. La valse des étiquettes. © Le Parisien Week-End, supplément au Parisien N° 23376 du vendredi 19 juin 2020.

2. Des minutes de lumière en plus. Blog littéraire de Pierre Vavasseur  

© Texte posté le 10/05/2021

La Pucelle et la Putain

(Dimension des étiquettes originales :  120 x 70 mm et 120 x 100 mm)

Clos de la Pucelle, clos de la Putin. Ainsi se nomment deux parcelles distantes de quelques kilomètres, l’une à Rully, l’autre à Givry, dans la côte chalonnaise, en Bourgogne.

La pucelle est à l’opposé de la putain, dont putin est une variante. Pourquoi les anciens propriétaires de ces vignes (au moyen âge ?) ont-ils choisi des noms de signification aussi éloignée pour des vignobles d’exception ? Peut-être parce que, contrairement aux apparences, pucelle et putain ne sont pas si différentes….

Le site du domaine de Belleville, également propriétaire dans le 1er cru La Pucelle à Rully [1], nous dit  que « L’origine du nom remonte au Moyen Age. L’histoire raconte que le Seigneur de Rully a partagé ses terres et donna à sa fille la plus jeune, la meilleure de ses parcelles. La Pucelle vient de l’adjectif latin « Pulcella » qui se traduit par ‘ Jolie, belle, charmante’. »

En effet, les dictionnaires de latin indiquent que pulcella est le féminin de pulcellus, qui se traduit par « mignon, charmant, joli ». Les dictionnaires étymologiques ou historiques ne sont pas tous d’accord pour affirmer que pucelle provient de pulcella. Mais ils nous confirment que, si le nom de pucelle a désigné dès l’origine « une femme qui n’a pas connu d’homme », il a également été utilisé pour désigner de façon générale une jeune fille, et celui de « pucelette » une fillette. Selon Anatole France, « Dans le langage familier, une pucelle était une fille d’humble condition, gagnant sa vie à travailler de ses mains, et particulièrement une servante. Aussi nommait-on pucelles les fontaines de plomb dont on se servait dans les cuisines. Le terme était vulgaire sans doute; mais il ne se prenait pas en mauvaise part. » (Anatole France, Vie de Jeanne d’Arc, Calmann-Lévy, 1908).

Le plus célèbre des clos de la Pucelle (ou des Pucelles ou Pucelles) est situé à Puligny-Montrachet, dans la côte de Beaune. C’est une des meilleures parcelles (ou climat) de Puligny, classée en 1er cru, et située tout près des plus grands, Montrachet et Chevalier-Montrachet, et contiguë des deux autres grands crus de la commune, Bâtard-Montrachet et Bienvenue-Bâtard-Montrachet. 

La tradition locale rapporte une histoire très voisine de celle de Rully pour expliquer les noms de ces prestigieux climats : le partage, au moyen âge, des terres du seigneur de Puligny entre ses enfants : le fils aîné ou « chevalier », les filles ou « pucelles » et le « bâtard ». Dans les deux cas, la pucelle serait donc simplement la fille de l’ancien propriétaire.

Mais la putain, alors ?

L’étiquette, ainsi que le site de Michel Sarrazin et fils [2], propriétaires du Clos de la Putin à Givry, nous indique que « L’origine du Clos de la Putin remonte au XVIème siècle. Il doit son nom aux qualificatif donné aux très belles filles de l’époque. ». Surprise !

Putain, parfois orthographié putin (citation de D’Aubigné dans le Littré : « Il fit part de son espouvantement aux assiegeans par un homme hors d’haleine et si estonné qu’à son rapport tout joua à fils de putin le dernier, et chacun quittant ses armes se laissa guider à la peur », Histoire universelle, 1620), est en fait une variante de « pute », comme « nonnain » l’est pour « nonne ».

Pute/putin/putain vient du latin puta qui se traduit par « fille », forme féminine de puer (enfant). Pas de connotation honteuse ou sexuelle, donc, dans cette filiation initiale….

Il semble que l’autre étymologie souvent invoquée pour putain, de l’adjectif put (« sale »), du verbe latin putere (« puer ») ou de putidus (« fétide, puant » et dont viendrait le nom du putois), n’est pas exacte ….

En tout cas, rien de nauséabond, bien au contraire, dans cette belle cuvée de Givry, d’une grande finesse et concentration, un vin équilibré et harmonieux.

Pucelle(s) ou put(a)in, ces cuvées sont « bonnes filles », et procureront à l’amateur ou l’amatrice de vin un immense plaisir !

Dans les livres aussi…

L’opposition de la pucelle et de la putain est un ressort littéraire utilisé dans au moins deux romans. Le premier, La pucelle et la putain d’Ana Planelles [3], raconte dans le Marseille d’après première guerre mondiale l’histoire d’une jeune orpheline recueillie par une vieille prostituée au grand cœur. L’autre,  La pucelle et le démon de Benedict Taffin [4], met en scène Sidoine de Valzan, un officier missionné pour escorter « LA » pucelle, celle d’Orléans, afin qu’elle rejoigne au plus vite le roi de France. Mais Jeanne d’Arc trépasse prématurément et le soldat, qui doit absolument la ramener au Roi, ne trouve comme solution que de remplacer Jehanne par Oriane, une putain de rencontre, qui s’en sort plutôt bien dans son nouveau rôle….

Liens et références :

1. Domaine de Belleville, 71150 Rully. Clos de la Pucelle 1er cru.

2. Domaine de Michel Sarrazin et fils, Charnailles 71640 Jambles

3. Ana Planelles. La pucelle et la putain. © 2007, France Europe Editions. 

4. Benedict Taffin. La pucelle et le démon.  © 2012, ASGARD éditions.

© Texte posté le 30/05/2021, En hommage à Evelyne et Jacques V., grâce à qui j’ai découvert le Givry Clos de la Putin

Abou Nawas, Omar Khayyâm, Samuel Paty, héros de la liberté

(Dimensions de l’étiquette originale 120 x 90 mm)

Aujourd’hui, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire géographie dans un collège des Yvelines, a été assassiné.

Il est mort de la main d’un homme parce qu’il a fait son métier et enseigné la liberté d’expression. Assassiné parce qu’il a illustré son cours et fait réagir ses élèves de 4ème avec un dessin représentant un être humain nommé Mohamed. Pour les humains, Mohamed (570-632) est un être humain. Pour les musulmans, et pour eux seuls, il est aussi un prophète de leur religion, l’Islam. Et pour les musulmans, on ne doit pas représenter l’image de leur Dieu ni de leur prophète, ne cherchez pas, c’est comme ça.

Et c’est pour ça que Samuel Paty est mort assassiné.

Quel rapport avec cette étiquette hommage à Abou Nawas?

L’Islam, comme toutes les religions, a ses interdits. L’interdit de la représentation graphique de son Dieu unique ou de son prophète, peut-être lié à une idée de perfection inégalable par l’homme, ou plus complexe et énigmatique, est admissible en soi. L’avènement des monothéismes a nécessité l’éradication du culte des « idoles » polythéistes en cours au moyen Orient, et de leur représentation imagée. Les prophètes du Judaïsme étaient « iconoclastes » et il n’y a pas de représentation du Dieu unique des Juifs (le même que celui des Musulmans parait-il) dans les synagogues. Le Christianisme a eu aussi sa période iconoclaste (726-843, tiens, tiens,…), durant laquelle toute représentation de son Dieu unique (toujours le même parait-il), de Jésus, des apôtres, des saints, des prophètes communs au Judaïsme, était proscrite [1]. En témoignent les églises troglodytes de Cappadoce.

Cet interdit est relativement récent dans l’Islam, puisqu’il existe de nombreuses représentations de Mohamed dans des enluminures arabes ou perse d’avant le XVIème siècle. Il cristallise maintenant la fureur et la haine d’islamistes radicaux et liberticides. Mais l’interdit ne concerne en rien les non musulmans, qui ont bien le droit de dessiner ce qu’ils veulent. Et caricaturer qui ils veulent (de toute façon, représenter l’irreprésentable est nécessairement caricature). 

En France, la liberté de pratiquer une religion est garantie par la loi, mais la pratique religieuse est une affaire privée qui ne doit en rien concerner les humains qui adhèrent à d’autres croyances ou qui ne croient pas en un Dieu (probablement majoritaires, en plus).

Cela s’appelle la Laïcité. C’est la loi française.

Quel rapport avec cette étiquette hommage à Abou Nawas?

Un des autres interdits de l’Islam est la consommation d’alcool. Sur terre, car au Paradis, il coulera à flot.

L’interdit de représentation divine, humaine, ou animale a progressivement conduit les artistes musulmans à magnifier d’autres formes d’expression telles que l’architecture, l’art géométrique ou abstrait, la céramique, la calligraphie, la littérature, la poésie…

L’interdiction de l’alcool terrestre s’est heurtée à des oppositions plus marquées, les mêmes artistes ayant souvent besoin, pour créer ou s’élever, de stimulants artificiels voire d’ivresse. L’alcool ou le vin en terre d’Islam, c’est compliqué.

L’écrivain Kamel Daoud l’exprime parfaitement par ces quelques mots [2] :

« Pour toi, un verre de vin est goût, parfums, robe et palais. Pour moi, il est dissidence, désobéissance, infraction et exclusion et honte. Regarde : la poésie bacchanale dans mes parages a toujours été, chez nous les « Arabes », immense et plus fournie que les vins. Il y a plus de poèmes délicats sur le vin que de sortes de vins. Donc, il y a plus de poètes qui chantaient le vin que de vin à boire dans ma géographie. Je veux dire autrefois, à l’époque où le soleil tournait autour de nous et nos empires selon la légende. Quelle belle poésie ! Tu devrais la lire ! La vie de ces gens (Omar Khayyam, Abou Nouwas… ) était si mêlée à la coupe que le vin avait une bouche et une langue et se proposait d’expliquer le ciel et la terre en restant allongé. »

Le vin et les poètes arabes, nous y voilà…

Abou Nawas ou Abû-Nuwâs (757-813/815), de son vrai nom al-Ḥasan Ibn Hāni’ al-Ḥakamī, était de ceux-là. Né en Iran d’une mère iranienne et d’un père d’ascendance yéménite, formé à la linguistique auprès de plus grands savants, initié à tous les plaisirs dans un cercle de poètes de Bassorah, il a vécu à Bagdad, Damas, au Caire, puis est revenu à Bagdad auprès du Calife Abbasside Mohamed al-Amin, son ami et protecteur.

Abou Nawas aimait les hommes et le vin et le clamait haut et fort [3, 4] :

  • « J’ai quitté les filles pour les garçons
  • et pour le vin vieux, j’ai laissé l’eau claire.
  • Loin du droit chemin, j’ai pris sans façon
  • celui du péché, car je le préfère. »

Ce qui ne l’empêchait pas de se considérer comme bon Musulman (sunnite !)

  • « Cinq fois par jour je fais pieusement mes prières.
  • Docile, je confesse l’Unité de Dieu.
  • Je fais mes ablutions lorsqu’il me faut les faire.
  • Je ne repousse pas l’humble nécessiteux.
  • Une fois l’an, j’observe tout un mois de jeûne.
  • Je me tiens à distance de tous les faux dieux.
  • Il est vrai, cependant, que point ne suis bégueule
  • et que j’accepte un verre quand il est en jeu.
  • J’arrose de vin pur la bonne viande
  • de chevreaux et cabris gras et pleins de saveur,
  • avec œufs et vinaigre et des légumes tendres,
  • souverains contre la migraine du buveur.
  • Et quand un gibier passe à ma portée,
  • Je me jette dessus comme un loup affamé.
  • Mais je laisse à l’Enfer l’hérétique portée
  • des Shiites, pour qu’ils y brûlent à jamais. »

Abou Nawas, dont l’œuvre ne se limite pas aux poèmes érotiques ou bacchiques, était considéré comme le plus grand poète de langue arabe au VIIIème siècle. Sa notoriété reste grande dans le monde arabe.

Surtout, il détonne par la liberté de sa parole, difficilement imaginable aujourd’hui pour un Musulman sur de tels sujets tabous. Alors que l’homosexualité est criminalisée, mais existe dans la plupart des pays arabo-musulmans, que l’alcool est prohibé bien qu’assez largement consommé, y compris par les dignitaires de certains régimes, Abou Nawas, comme Omar Khayyâm 300 ans plus tard, exhorte à la transparence de la transgression :

  • « Dis-moi : « voilà du vin ! », en me versant à boire.
  • Mais surtout, que ce soit en public et notoire.
  • Ce n’est qu’à jeun que je sens que j’ai tort.
  • Je n’ai gagné qu’en étant ivre-mort.
  • Proclame haut le nom de celui que tu aimes,
  • car il n’est rien de bon dans les plaisirs cachés. »

Résumons,

VIIIème siècle après Jésus Christ, en Orient :

– Des fondamentalistes chrétiens décident que « toute image résultant de l’art maléfique des peintres, quels que soient les couleurs et les matériaux utilisés, doit être rejetée, éliminée, condamnée… » [1]. Des moines chrétiens sont assassinés parce qu’ils veulent conserver des images de Jésus, en opposition au nouveau dogme.

– Abou Nawas, grand poète d’origine iranienne et de langue arabe, ami et protégé du Calife de Bagdad, commandeur des croyants, vante le vin, l’ivresse et la luxure. C’est toléré.

XXIème siècle, en Occident :

– Des fondamentalistes islamiques décident que ceux qui montrent des images de leur prophète méritent la mort. Après des dessinateurs, des journalistes, un enseignant est assassiné pour avoir défendu et expliqué la liberté d’expression à ses élèves, dans un pays laïque et républicain, la France.

– Une cuvée de vin de Guerrouane produit au Maroc, autre grand pays d’Islam, y honore la mémoire du poète Abou Nawas. C’est toléré, mais pour combien de temps ?

Honneur à toi et respect, Samuel Paty. Condoléances fraternelles à ta famille et tes proches, tes collègues, … tes élèves aussi, certains ne savent probablement pas ce qu’ils perdent.

Honte éternelle à ton assassin et aux haineux qui l’ont construit. Courage à ceux qui continuent à fabriquer du vin (et en boire) là où il y en a toujours eu, et où l’Islam est religion dominante.

En ce jour d’immense tristesse, cette petite étiquette nous rappelle que l’Islam a été tolérant lorsque le christianisme ne l’était pas. Continuons l’éternel combat contre l’obscurantisme et pour la liberté d’expression absolue, y compris la liberté de commenter ou critiquer toute religion.

Liens et références :

1) L’iconoclasme byzantin. https://compilhistoire.pagesperso-orange.fr/iconoclasme.htm

Lors d’un concile qui se déroule au palais d’Hieria du 10 février au 8 août 754, l’empereur Constantin V fait condamner le culte des images comme idolâtrie.

2) Daoud – La métaphore abîmée du vin « arabe ». https://www.lepoint.fr/culture/question-a-kamel-daoud-peut-on-etre-musulman-et-boire-du-vin-08-10-2015-1971627_3.php

3) Abû-Nuwâs (préf. et trad. Vincent-Mansour Monteil), Le vin, le vent, la vie, Sindbad, coll. « La petite bibliothèque de Sindbad », Arles, 1998 (éd. précédentes 1979, 1990), 190 p. (ISBN 978-2-7427-1820-7).

4) Abu Nuwas. Citations. Site Babelio https://www.babelio.com/auteur/-Abu-Nuwas/83457

5) Omar Khayyâm. Sa vie et ses quatrains Rubâ ‘iyât. Par Pierre Seghers. Collection miroir du monde. © Editions Seghers, Paris, 1982

Pour terminer, quelques quatrains d’Omar Khayyâm, honoré d’une cuvée de vin égyptien!

Je bois du vin ! Aux yeux du Seigneur, c’est normal

Les sages le reconnaîtront, Il m’a fait, Il a fait la vigne

Il sait de toute éternité que je boirai le vin vermeil

Si devant Lui je m’abstenais, ce serait tromper sa prescience

O toi qui ne bois pas de vin, ne blâme pas ceux qui s’enivrent

Entre l’orgueil et l’imposture, pourquoi vouloir tricher sans fin ?

Tu ne bois pas, et puis après ? Ne sois pas fier de l’abstinence

Et regarde en toi tes péchés. Ils sont bien pire que le vin.

Quand je serai parti, ô mes amis, retrouvez-vous à la taverne

Réjouissez-vous d’être ensemble, soyez heureux. Quand le saqi

prendra le col du beau flacon, admirez sa main et son geste

et pensez au pauvre Khayyâm. Puis, à ma mémoire, buvez !

Omar Khayyâm, Quatrains [5]

© Texte posté le 18/10/2020

L’énigme de Fischart

(Dimensions de l’étiquette originale :  130 x 93 mm)

Cette étiquette ancienne de vin d’Alsace rend hommage à Johann Fischart (1545-1590), natif de Strasbourg, et considéré comme un des premiers grands écrivains de langue allemande. Contemporain de Rabelais dont il a traduit une partie de l’œuvre, il s’en rapprochait par sa truculence et son inventivité littéraire. Fischart a célébré le vin, en particulier les crus de son Alsace natale.

L’étiquette de B. Ziegler, viticulteur à Orschwihr (68500), porte dans la banderole du bas une citation de l’écrivain rendant hommage à un cru de la ville, le Lippelsberg. Il y est écrit :

« Ô Bollenberger Ô Lüppelsberger von Orschweier

   Wie seid ihr meiner lippen so teuer »

Ô Bollengerg Ô Lippelsberg d’Orschwhir

Que vous êtes chers à mes lèvres !

Contigu avec le grand cru Pfingstberg sur la commune d’Orschwhir, le Lippelsberg est selon l’ancien site du domaine Materne Haegelin [1] qui l’exploite aujourd’hui « le premier vin d’Alsace à avoir été désigné selon son lieu de production. Ce vin est déjà cité en 1287 sous le nom de “Luphersberg”. Il est exploité par les évêques de Strasbourg, qui dès 1526 en font leur vin de fête ». 

Comme ancrage historique, on fait difficilement mieux.

Là où l’étiquette devient originale et amusante, c’est que la citation de l’étiquette semble avoir été subtilement modifiée par rapport à celle d’origine de Fischart.

Selon le Traité de la vigne et de ses produits de Ludovic Portes paru en 1886 [2], Fischart aurait en fait écrit :

« O Katzenthaler und Lüppelsberger von Reichenweier

Wie halten euch meine Lippen so teuer ! »

Ô Katzenthal et Lippelsberg de Riquewihr,

Comme vous êtes restés chers à mes lèvres !

Ah ! Pourquoi avoir supprimé sur l’étiquette la référence originale aux crus de Katzenthal et de Riquewihr ? 

D’abord, parce que le grand écrivain semble s’être trompé, en situant le Lippelsberg à Riquewihr et pas à Orschwir, située 30 km au sud. Le vigneron n’aurait alors fait que rétablir la vérité géographique. Ensuite, parce que Katzenthal n’est pas du tout un grand cru de Riquewihr, mais une commune distante de 10 km qui a ses propres grands crus (Florimont, Sommerberg et Wineck-Schlossberg).

Vous suivez ?… Une aspirine ? … Une lampée de Gewurz vendanges tardives ? [3] (sinon, il y un glossaire des noms de communes et de crus  un peu plus bas …)

On peut donc imaginer que par souci de cohérence, le vigneron a supprimé la référence aux crus de la commune de Katzenthal, pour lui préférer Bollenberg, nom d’une colline et d’un vignoble renommés proches d’Orschwihr.

C’est ainsi que la citation figurant sur l’étiquette serait devenue : « Ô Bollenberger Ô Lüppelsberger von Orschweier Wie seid ihr meiner lippen so teuer ». 

Si l’hypothèse est exacte, voici un joli tour de passe-passe, qui a le mérite de la cohérence géographique actuelle, à défaut du respect historique de la citation d’origine.

A moins que la dénomination des crus et communes viticoles soit totalement différente au XVIème et au XXème siècle, ce qui parait très improbable ; ou encore que Fischart n’ait produit plusieurs versions de son éloge aux crus d’Alsace. Si vous avez la solution de cette énigme….

Glossaire. Pas facile (pour les non-Alsaciens) de s’y retrouver entre tous ces noms de villages, de lieux-dits, de montagnes et de vignobles, parmi lesquels les 51 terroirs remarquables qui ont droit à l’appellation officielle «Alsace Grand Cru» créée en 1975. Voici un petit tableau explicatif des noms cités dans cet article. Vous pouvez aussi le site du comité interprofessionnel des vins d’Alsace, très complet [4] ainsi que le magnifique site d’Etienne Jadoul, oenographile spécialiste des vins d’Alsace [5].

Liens et références :

1. Riesling Lippelsberg de Materne Haegelin : http://www.materne-haegelin.fr/

2. Ludovic Portes, Traité de la vigne et de ses produits. Editions Doin, Paris, 1886 ; réédition Nabu Press 2010

3. Comme Gewurztraminer vendanges tardives, je recommande chaleureusement celui du domaine Bernhard et Reibel, de Chatenois. Très bon et bio, en plus !

4. Site du comité interprofessionnel des vins d’Alsace, détaillant les grands crus d’Alsace et leur commune d’implantation.

5. Etiquettes de vins d’Alsace. Collection en oenographilie alsacienne. Site wordpress de Etienne Jadoul.

© Texte posté le 20/09/2020

La Lanterne de Rochefort

(Dimension de l’étiquette originale :  mm)

La symbolique de la lanterne, le fond rouge vif, le graphisme accrocheur…. Tout laissait penser que cette étiquette était celle d’un Champagne servi à la fin du XIXème siècle dans une maison close de la ville de Rochefort.

Fausse piste… La Lanterne en question, bien qu’également sulfureuse, n’a rien à voir avec la prostitution.

Il s’agit du journal hebdomadaire satirique fondé en mai 1868 par Henri Rochefort (1831-1913). Descendant d’une famille noble ruinée à la révolution, Victor Henri de Rochefort-Luçay a commencé sa carrière comme journaliste (Le Charivarile Figaro) et auteur de vaudevilles, avant de créer ses propres journaux, La Lanterne, La Marseillaise, Le Mot d’ordre, l’Intransigeant.

La Lanterne est donc le premier d’entre eux, créé à la faveur de la nouvelle loi de libéralisation de la presse de 1868. Polémiste acharné, Rochefort y défend des idées politiques radicales, socialistes, très hostiles à l’empire. Le premier numéro [1], publié le 30 mai 1868, est un succès. Tiré à 15 000 exemplaires, il est réédité pour atteindre plus de 100 000 exemplaires. Son format est compact, sa couverture rouge, le graphisme du titre et la lanterne allumée se retrouvent sur notre étiquette. L’introduction de son éditorial est resté célèbre : « La France contient, dit l’Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement.» 

Résultat rapide : A partir d’août 1868 ( et le n° 11) La Lanterne est interdite et Rochefort emprisonné !

Couverture de La Lanterne et fac-similé du début de l’éditorial du premier numéro

Libéré, Rochefort s’exile en Belgique ou il est hébergé par un autre opposant célèbre à Napoléon III, Victor Hugo. La Lanterne poursuit ses parutions depuis la Belgique et se vend clandestinement en France, toujours avec succès.

Rochefort revient en France, est élu député d’extrême-gauche de Paris en 1869. Il arrête La Lanterne pour fonder La Marseillaise. Bien que n’ayant pas directement participé à la Commune de Paris, son opposition au gouvernement de Thiers provoque son emprisonnement puis sa déportation le 8 août 1873, avec Louise Michel, au bagne de Nouméa, dont il réussit à s’évader. En 1874 il se réfugié à Londres et y recrée temporairement La Lanterne, dont la deuxième série paraîtra de 1874 à 1876.

A son retour en France il abandonne définitivement La Lanterne et fonde L’intransigeant, dans lequel il continue, par ses talents de polémiste et son opiniâtreté, à récolter duels, procès et condamnations. 

Il finit assez mal, bascule progressivement de l’extrême gauche au boulangisme, puis à l’ultra-nationalisme et l’antisémitisme, en particulier lors de l’affaire Dreyfus.

Le titre La Lanterne est repris en 1877 pour recréer un quotidien se revendiquant «journal républicain anti-clérical», édité jusqu’en 1938 [2].

Etonnamment, le nom d’Henri Rochefort et son triste parcours final sont réapparus lors de l’écriture de ces lignes, dans un éditorial de Jean-François Kahn pour le journal Marianne [3], en écho à l’évolution jugée « droitière » des positions du philosophe Michel Onfray, et la création par ce dernier de la revue dite «souverainiste» Front Populaire, dont le tirage des premiers numéros égala, en passant, celui du premier numéro de La Lanterne. Rapprochement de parcours récusé par l’intéressé et ses soutiens…

Pour en revenir à l’étiquette, elle a très probablement été imprimée entre 1868 et 1876, années de parution de La Lanterne et période d’activité de l’imprimeur bordelais Louis-Antoine Tanet, né en 1823, qui a obtenu en 1854 le brevet l’autorisant à exercer comme imprimeur-lithographe [4].

Liens et références :

1.  Archives de La Lanterne, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. texte de 3 numéros de la première série, du 30 mai 1868 (n° 1), du 18 octobre 1868, et du 20 novembre 1869 (n°77), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32805103j/date&rk=21459;2

2. Archives du quotidien La Lanterne, 1877 à 1928, sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328051026/date

3. Jean-François Kahn. L’heure de vérité. Editorial, Marianne, numéro 1211 du 29 mai 2020. https://www.marianne.net/debattons/editos/heure-de-verite

4. Élisabeth Parinet, Corinne Bouquin. Ecole des Chartes et bibliothèque nationale de France. Dictionnaire des imprimeurs lithographes du XIXè siècle. http://elec.enc.sorbonne.fr/imprimeurs/node/24700

Affiche d’Eugène Ogé pour le quotidien La Lanterne (1902). 

Photo d’Henri Rochefort

© Texte posté le 27/08/2020

La véritable histoire du Cid

Dimension de l'étiquette originale : 99 x 130 mm

(Dimension de l’étiquette originale : 99 x 130 mm)

Pour la majorité des lecteurs francophones, « Le Cid » évoque en premier lieu la pièce de théâtre écrite par Pierre Corneille en 1636 et le nom de son héros principal, personnage de fiction. Pour les Espagnols, tel qu’il est représenté sur cette étiquette de Jerez AmontilladoEl Cid correspond à un personnage certes légendaire, mais qui a bel et bien existé. 

Né Rodrigo Díaz de Vivar à Burgos en 1043, chevalier espagnol chrétien puis mercenaire, le Cid a eu une vie mouvementée. Il s’est tout d’abord battu pour les rois de Castille contre le roi Maure de Séville, puis au service des princes de toute l’Espagne orientale, tant chrétiens que musulmans. De cette époque date son surnom de el Cid, qui viendrait de l’arabe assayyid (le seigneur), ou bien al Ka’id (caïd) grade équivalent à celui de général dans les armées mauresques. Il a été effectivement marié à une Chimène (Jimena Díaz), nièce du roi de Castille, qui lui restera fidèle malgré ses alliances opportunistes et ses nombreux revirements. Il est mort le 10 juillet 1099 roi de Valence, ville qu’il avait conquise par les armes quelques années auparavant. Sa veuve Chimène tiendra Valence contre les Maures jusqu’en 1102 avec ses maigres forces, sans véritablement être aidée par son oncle roi de Castille. En évacuant la ville avec sa petite armée, elle emportera les restes du Cid. La légende dit que, pour ne pas décourager ses soldats, Chimène le fit tenir sur son cheval Bavieca, en lui plaçant son épée Tizona dans la main, de façon à ce que tous le croient encore en vie.

Réputé invaincu, le Cid devint rapidement une figure légendaire, symbole de la reconquista espagnole. Son épopée a fait l’objet de récits dès le 12è siècle. Pour sa pièce, Corneille s’est inspiré de faits réels et d’un récit plus tardif Las Mocedades del Cid [1], épopée dramatique de Guillén De Castro (1618).

Le tombeau du Cid, ainsi que celui de sa femme Chimène sont visibles dans la Cathédrale Santa María de Burgos. Ses restes, volés par un soldat de Napoléon Bonaparte en 1809, seraient actuellement en France, en Saône-et-Loire. Son épée Tizona, représentée sur l’étiquette, longtemps exposée au musée de l’armée à Madrid, est actuellement conservée au musée de Burgos [2].

Liens et références :

1. Site Babelio https://www.babelio.com/auteur/Guillen-de-Castro/291815

2. Espada Tizona. Site du musée de Burgos. https://museodeburgos.net/2021/11/24/1087/

Texte publié initialement le 12/04/2020 sur le site orange « des étiquettes racontent » (https://des-etiq-racontent.monsite-orange.fr/page-5e92e6a927a7f.html)