Vin et sang…

Les liens entre le vin et le sang sont multiples, tenant à la couleur, à la symbolique, aux valeurs spirituelles ou sacrées et aux interdits. Des représentations de ces rapports complexes se retrouvent sur les étiquettes de vin, même les plus banales.

La couleur …

 « Ta liqueur rose ô joli vin Semble faite de sang divin

(Gérard de Nerval)

Chez les vertébrés, le sang est de couleur rouge. Il reçoit sa couleur de l’hémoglobine, qui contient du fer auquel l’oxygène se lie. Chez la limule, il est d’un beau bleu dû à la présence d’hémocyanine à base de cuivre !

Le vin rouge, lui, tire sa couleur de pigments violet foncé, les anthocyanes. Comptant plus de 250 variétés, les anthocyanes sont responsables de la majorité des couleurs rouge, bleue et pourpre des fleurs et des fruits. Ils teintent la peau des raisins noirs, se retrouvent par la suite dans les moûts et les vins rouges, puis s’estompent au cours du vieillissement du vin.

Vins rouge sang

Plusieurs vins, souvent originaires du Sud, sont nommés « sang de … » par leurs producteurs. Il s’agit de vins de couleur rubis intense, brillants, ou bien rouge sombre, opaques, tanniques, puissants, issus des cépages grenache, syrah, ou carignan (mazuelo en Espagne). C’est le cas des célèbres « Sangre de Toro » ou « Gran Sangre de Toro » de Penedés en Espagne, du « Bikavér » de la région hongroise de l’Eger (Bikavér signifie « sang de taureau » en Hongrois)..

Dans le bestiaire, on trouve aussi des cuvées « Sang du sanglier » (du Chateau de Fayolles, Bergerac), « sang de corbeau » (Terra Alta en Espagne, détaillé plus loin) et même « Sang de gorille » (un Languedoc, région ou le gorille pullule, c’est bien connu). On trouve aussi un « Sang du Dragon », pinot noir alsacien, né d’une légende locale.

D’autres, à la sobriété presque inquiétante, n’indiquent que « Le Sang » (un Gaillac du Domaine de la Ramaye issu de vieilles vignes de cépages locaux peu connus, le braucol et le prunelard, illustration ci-contre)

Les œnographiles connaissent également les cuvées « Sang du Peuple », popularisées en 1989 lors du bicentenaire de la Révolution française, laquelle en adoptant la guillotine aux dépens du gibet, en a effectivement fait couler beaucoup.

« Le Sang du Peuple » est également le nom de la cave Jamet, installée à Courthézon dans le Vaucluse depuis 1975, et d’une partie de ses cuvées rouges.

Vins rosés de saignée

Les rosés dits « de saignée » sont obtenus par macération du moût avec les peaux des raisins rouges, avant fermentation. Des durées intermédiaires de macération permettent, par soutirage précoce d’un futur vin rouge (la saignée de la cuve), d’obtenir des vins d’une belle teinte soutenue, rose foncé, presque rubis et des vins charpentés, à l’exemple les vins de Tavel. C’est aussi la méthode utilisée pour les fameuses cuvées « œil de perdrix », de Suisse ou d’ailleurs, auxquelles nous avons consacré un article [1]. Les rosés de saignée français sont produits dans les Côtes du Rhône, en Languedoc, dans les pays de Loire, la Champagne. Malgré leur nom, ils n’ont pas de rapport direct avec le sang.

Le sacré…

27 Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour le pardon des péchés. 29 Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai de nouveau avec vous dans le royaume de mon Père

Matthieu 26, versets 26-29.

Depuis la nuit des temps, le sang a été intimement lié aux images de la mort et de la vie tandis que le vin était associé à la vie et à la divinité. Le sang a toujours joué un rôle primordial dans les représentations religieuses des humains. Il est l’élément principal lors des offrandes sacrificielles. Que la victime soit humaine ou animale, son sang répandu et offert aux Dieux est un sang pur et sacré. Pour les Chrétiens, le sang du Christ, immolé comme agneau de Dieu, devient le vin de la communion des fidèles. Dans les religions du Livre, le sang des martyrs est vénéré et réputé miraculeux. La circoncision, l’excision, les scarifications sont des blessures de sang en signe d’alliance, de purification ou de mortification. Les tabous alimentaires liés à la consommation du sang des animaux impliquent des rites d’abattage permettant de vider toute chair de son sang ; ce sang dans lequel, d’après la Bible et le Coran, réside l’âme.

Le vin est la boisson des dieux, de Dieu et parfois est Dieu lui-même. Selon le dogme catholique et orthodoxe de la transsubstantiation, le pain et le vin de l’eucharistie sont intégralement changés en la substance du corps et du sang du Christ. Dans les offices protestants, qui ne reconnaissent pas ce dogme, le pain et le vin restent pourtant présents, comme symboles et valeurs de partage.

Le vin et le pain se sont répandus en même temps que le christianisme. C’est le christianisme qui permet la diffusion de la vigne vers l’Europe du Nord, l’Amérique, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Boire du vin, c’est se rattacher à la Méditerranée, lieu de naissance du Christ. Le vin est longtemps resté la boisson par excellence de la culture de l’Europe occidentale.

Dans la religion catholique, la valeur symbolique du vin, substitut du sang sacré, est tellement forte qu’il n’y a même plus besoin d’en respecter la couleur. En effet, depuis 1478 et l’autorisation du pape Sixte IV, le vin de Messe des catholiques est devenu quasi universellement blanc. Et le plus souvent un blanc doux.

Vins de messe blanc, doux ou sec

Pourquoi (diable !) représenter le sang du Christ par du vin blanc ? La raison avancée est très simple et pragmatique :  les coulures de vin rouge étaient susceptibles de tacher l’habit ecclésiastique immaculé, ce que ne fait pas le vin blanc… Et pourquoi un blanc doux ? Parce qu’il voyage mieux, se conserve mieux, et serait plus agréable à consommer (même modérément) à toute heure. En effet, le risque est une mauvaise conservation du vin de messe, le prêtre n’en utilisant que très peu à chaque célébration. En 1993, de nombreux prêtres italiens se sont vivement plaints de leur vin de messe, produit en masse par une communauté religieuse et qui tournait vinaigre (le vin, pas la communauté). Une commission du Vatican assistée d’œnologues entreprit de goûter tous les vins de messe produits sur les différents continents. Ce fut un passito de Sicile, un muscat très liquoreux (14,5°), qui réunit la majorité des suffrages, essentiellement en raison de son excellente conservation sous tous les climats.

Le dimanche 15 août 2004 à Lourdes, à l’occasion de la messe de l’Assomption présidée par le pape Jean-Paul II, un vigneron de Madiran avait réussi à obtenir que ce soit un vin régional, plutôt que le Bordeaux initialement prévu, qui fasse office de sang du Christ. Mais il n’est pas certain que ce soit le très rouge Madiran qui ait été utilisé, car une alternative a été proposée : « je mettrai à leur disposition du Pacherenc sec et moelleux et deux rouges dont un vieilli en fût de chêne. J’espère que le Pape et tous les hommes d’église l’apprécieront » [2]. En 2023, à Marseille, c’est un vin de France grenache blanc 2021 produit par le bien nommé « domaine de la Bénisson-Dieu » (Côtes Roannaises), qui a été choisi comme vin de messe pour le Pape François. [3, 4]

Pour les orthodoxes, le vin de messe est resté rouge. Et pendant 8 siècles, c’était exclusivement du vin de Cahors. C’est ce que nous raconte cette cuvée de Cahors « Sanguis Christi »,

L’agnus dei représenté sur l’étiquette est un détail de L’Adoration de l’Agneau mystique ou Autel de Gand (Het Lam Gods), polyptyque peint sur bois par les frères Van Eyck, achevé en 1432 et exposé à la cathédrale de Gand

ainsi que le site « le dico du vin » [5] :« Les orthodoxes utilisent traditionnellement comme vin de messe un vin rouge, le Cahors. Depuis le moyen âge, il existait un accord commercial qui prévoyait l’approvisionnement de l’ensemble des églises orthodoxes de Russie en vin de Cahors (encore en usage aujourd’hui avec 1 million de bouteilles pour 18 000 églises russes, importées directement du Lot). En 1917, la révolution bolchevique avait mis un terme à toutes les importations. Les popes durent alors trouver un autre vin de messe. Ils suscitèrent la culture du kagor (une réplique du vin de Cahors) dans la région de Messara, près de Yalta. Vin qu’on trouve aujourd’hui non seulement en Crimée mais aussi en Géorgie et en Moldavie. ».

Les historiens sont plus prudents, faute d’étude approfondie sur les échanges commerciaux en vins entre la France et la Russie impériale ou, antérieurement, l’église orthodoxe [6].

Kagor de Crimée, alors ukrainienne, annexée par la Russie en 2014
Kagor de Moldavie, vin rouge doux pour usage liturgique

Le vin, sang du Christ ?

De la symbolique au mauvais gout, certains n’hésitent pas à franchir le pas, comme en témoigne cette cuvée de Merlot « Jesus Juice » des USA. Ce terme peut paraitre offensant, mais il désignerait en argot le vin de l’eucharistie…

La vie, la mort…

Le vin est médecin, il guérit les corps et les âmes. Jusqu’au XIXème siècle, une ration de vin rouge a fait partie de l’alimentation quotidienne de tout malade hospitalisé. Source de calories, de sucres, de fer, exempt de bactéries, le vin était considéré comme une boisson saine et utile. Louis Pasteur, natif du Jura, le proclamait encore en 1866 [7].

Pendant la guerre de 14-18, le pinard a été l’allié du poilu. A propos de l’étude de Charles Ridel « L’ivresse du soldat » [8], un chroniqueur du magazine l’Histoire souligne le lien métaphorique qui s’est créé entre le vin rouge, devenu le pinard de la victoire, et le sang versé des poilus : « psychotrope censé accroître l’excitation des soldats lors de l’assaut, il (le vin rouge) revêt une fonction alimentaire (apport calorique en hiver), sociale (distribution et partage de l’alcool) et identitaire. Le vin est vu comme une boisson démocratique. Face aux buveurs de bière et de vin blanc que sont les Allemands, le vin rouge, associé métaphoriquement au sang des soldats, est identifié à la France elle-même. » [9].

La cuvée « Sang de Corb », issue des vignes de Terra Alta en Catalogne, fait aussi référence au sang versé lors de la guerre civile espagnole. La notice explique : « Sang de Corb peut vouloir dire « sang de corbeau », mais aussi « sang de Corbera », le village dans la région de Tarragone où se trouve le domaine de Celler Frisach et où le souvenir de tout le sang qui a été versé pendant la guerre civile espagnole est encore très présent. Ce n’est pas pour rien que l’on peut lire sur son étiquette « lo vi fa sang », une expression très catalane qui fait référence à la résilience nécessaire pour surmonter l’adversité et continuer à se battre. »

La symbolique du vin sauveur, substitut de la force vitale du sang, se retrouve dans cette étiquette humoristique, qui illustre l’en-tête de cet article :

Hélas, le puritanisme actuel, qui assimile une consommation modérée de vin à une composante du fléau réel qu’est l’alcoolisme, ne permet plus depuis 2013 qu’une collation accompagnée d’un verre de bon vin local soit donnée aux donneurs de sang après prélèvement. Les ligues régionales de donneurs de sang de Bourgogne (Chagny en Saône et Loire [10]) ou de la région Centre Loire s’en sont émues , en vain. Les faits sont pourtant accablants : tandis que la consommation de vin diminue inexorablement en France, l’alcoolisme aigu continue à faire des ravages parmi les jeunes. A coup d’alcools forts consommés rapidement, en grande quantité, sans aucun plaisir gustatif, juste pour atteindre l’ivresse. Espérons des décideurs un peu plus de modération, à leur tour.

L’interdit…

Six, douze, treize, vint parlera la Dame. Laisné sera par femme corrompu, Dijon, Guyenne gresle, foudre l’entame. L’insatiable de sang & vin repu,

(Nostradamus)

Boire le vin pour ne plus boire le sang humain ? Dans de nombreuses civilisations européennes antiques, africaines, précolombiennes, boire du sang humain était courant. Le sang était parfois mêlé au vin. Hérodote raconte au sujet des Scythes : “Ils concluent des traités de la façon suivante : ils versent le vin dans un grand vase de terre, le mélangent avec du sang des contractants que ceux-ci donnent en se faisant une éraflure avec une alène ou avec un couteau, et trempent ensuite leur épée, leurs flèches, leur hache d’armes et leur javelot dans la coupe. Puis les contractants eux-mêmes, aussi bien que les plus nobles de leur suite, boivent”. [11]

De la transsubstantiation chrétienne à l’anthropophagie et au vampirisme, il y a un (grand) pas que certains esprits ont franchi, rapprochant le mythe des vampires aux racines de l’homme et aux rites chrétiens. Sans les suivre, il nous faut remarquer que le monde chrétien, s’il n’a pas créé le mythe des vampires, a certainement contribué à sa propagation : Ecoutons Voltaire en débattre, dans le chapitre « Vampires » de son dictionnaire philosophique (1765) [12]

« Quoi ! c’est dans notre xviiie siècle qu’il y a eu des vampires! c’est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins; c’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos, qu’on a cru aux vampires, et que le R. P. dom Augustin Calmet, prêtre bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénones, abbaye de cent mille livres de rentes, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’histoire des vampires avec l’approbation de la Sorbonne, signée Marcilli ! (…)

Qui croirait que la mode des vampires nous vint de la Grèce ? Ce n’est pas de la Grèce d’Alexandre, d’Aristote, de Platon, d’Épicure, de Démosthène, mais de la Grèce chrétienne, malheureusement schismatique. Depuis longtemps les chrétiens du rite grec s’imaginent que les corps des chrétiens du rite latin, enterrés en Grèce, ne pourrissent point, parce qu’ils sont excommuniés. (…)  Les Grecs sont persuadés que ces morts sont sorciers ; ils les appellent broucolacas ou vroucolacas, selon qu’ils prononcent la seconde lettre de l’alphabet. Ces morts grecs vont dans les maisons sucer le sang des petits enfants, manger le souper des pères et mères, boire leur vin, et casser tous les meubles. On ne peut les mettre à la raison qu’en les brûlant, quand on les attrape. Mais il faut avoir la précaution de ne les mettre au feu qu’après leur avoir arraché le cœur, que l’on brûle à part. (…) »

Quoi qu’il en soit, il était inévitable que, deux siècles plus tard, le mythe des vampires et l’analogie « boire le vin = boire le sang humain » fussent exploités à des fins purement commerciales par d’astucieux négociants en vins.

C’est ainsi qu’en 1992, à la faveur conjointe de la sortie du film « Dracula » de Francis Ford Coppola et de l’ouverture au monde des vins des ex-pays de l’Est, des bouteilles provenant de la Transylvanie roumaine se sont vendues fort cher dans les boutiques européennes ou nord-américaines sous des habillages accrocheurs tels que ce « Château Dracula » (avec cape de soie rouge autour de la bouteille !), ou cette cuvée « Vampire »  dont la contre étiquette  enfonce le clou (sans jeu de mot..) :

« le vin du Vampire / la légende vit / sucez le sang du vin » !

A consommer avec encore plus de modération, donc …

Vous reprendrez bien un peu de sang de Viking ?

Liens et références :

1. Œil de perdrix, un vrai blanc de rouge ! site Histoires d’étiquettes (wordpress)

2. Guillaume Atchouel. Du vin de madiran pour la messe du Pape. La Dépêche du Midi. Publié le 12/05/2004 https://www.ladepeche.fr/article/2004/05/12/170190-du-vin-de-madiran-pour-la-messe-du-pape.html

3. Béatrice Brasseur. Pourquoi le vin n’est plus en odeur de Sainteté. Les Echos. Publié le 10/12/2023 https://www.lesechos.fr/weekend/gastronomie-vins/pourquoi-le-vin-nest-plus-en-odeur-de-saintete-2040421

4. Site du Domaine de la Bénisson-Dieu. https://domaine-labenissondieu.fr/

5. François Collombet. Vin de messe (ou vin liturgique). Le dico du vin. https://dico-du-vin.com/vin-de-messe-ou-vin-liturgique/

6. François-Xavier Nérard. Du Cahors au kagor. Pistes pour une histoire du vin de Cahors en Russie. Revista Iberoamericana de Viticultura, Agroindustria y Ruralidad (Chile), vol. 3, n° 7, 2016 https://www.redalyc.org/journal/4695/469546448003/html/

7. Le Bras, Stéphane. « “Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons” : anatomie d’une légende (xixe-xxe siècles) ». Faux bruits, rumeurs et fake news, édité par Philippe Bourdin, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2021, https://doi.org/10.4000/books.cths.15460

8. Charles Ridel, L’Ivresse du soldat, Vendémiaire, 2016, 426 p.

9. Le vin et le sang. L’Histoire, n° 433, mars 2017. https://www.lhistoire.fr/livres/le-vin-et-le-sang

10. Emmanuelle Bouland. « Pas de vin avec la collation, pas de collecte ! » Des amicales de dons de sang comme à Chagny sont en colère après la décision d’interdire le « petit coup de vin » durant la collation. Journal de la Saône et Loire, publié le 11/01/2013. https://www.lejsl.com/saone-et-loire/2013/01/11/pas-de-vin-avec-les-oeufs-en-meurette-pas-de-collecte

11. Herodote. Histoire, Livre 4 – Melpomène. https://mediterranees.net/geographie/herodote/melpomene.html

12. Œuvres complètes de Voltaire.  Dictionnaire philosophique, 1765. http://www.voltaire-integral.com/html/20/vampires.htm

© Texte posté le 22/12/2024

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

Etiquettes et blasons

Comme toute collectionneuse ou tout collectionneur,  l’œnographile amasse des étiquettes de vin (ou d’alcool), les trie, les classe, et commence en général par une approche régionale, le plus souvent par appellation. Puis, immanquablement, arrive une très belle étiquette décorée, un tableau moderne, la commémoration d’un personnage célèbre, d’un évènement sportif, musical, culturel ou historique, un hommage au travail de la vigne …

Alors,  le besoin se fait sentir de constituer des thématiques, dont quelques-unes auront sa préférence et seront approfondies. Parmi elles, l’héraldique, les blasons et armoiries, constituent une thématique de choix. Il faut reconnaître que les étiquettes de cette thématique sont impressionnantes, parfois énigmatiques, toujours richement décorées et colorées, comme le confirmeront quelques spécimens reproduits dans cette page.

Même si les armoiries n’étaient pas réservées aux nobles et au clergé, l’héraldique renvoie à la chevalerie et la noblesse, et l’étiquette armoriée confère, à juste titre ou non, des valeurs d’ancienneté, de sérieux et d’excellence au domaine ou au vin qu’elle représente.

Cette étiquette de Sauternes Château ROCARD 1922 devrait intéresser les amateurs de cette thématique. Non qu’elle affiche des armoiries flamboyantes… Mais par le texte du petit bandeau vert qui souligne le modeste blason.

Il rappelle et célèbre un édit royal de du 22 novembre 1696 dont j’ignorais tout. Cet édit de Louis XIV « porte création d’une Grande Maîtrise, établissement d’un Armorial général à Paris, et création de plusieurs maitrises particulières dans les provinces » [1].

Le but avoué dans le préambule du texte de l’édit royal était de recenser toutes les armoiries existantes en France et d’en réglementer le port, afin d’éviter les usurpations, plagiats, appropriations abusives et les conflits qui s’ensuivaient.

Mais l’autre objectif, inavoué et malin, était de faire rentrer de l’argent dans les caisses du royaume, vidées par les précédentes guerres. En effet, l’inscription des armoiries dans l’Armorial général était payante : 20 livres pour les particuliers, 40 livres pour les comtés et marquisats, 50 pour les duchés et pairies, 50 livres aussi pour les évêchés, les cathédrales et les abbayes, 100 pour les grandes villes ou les archevêchés, et jusqu’à 300 livres pour les provinces, pays d’Etat et grands gouvernements. Une amende était prévue pour l’usage d’un blason non enregistré !

Malgré cela, l’initiative n’eut aucun succès. Les particuliers furent totalement réfractaires à l’enregistrement obligatoire, les charges de commissaires créées pour l’occasion afin de sillonner les provinces ne trouvèrent peu ou pas de candidats. Des mesures d’incitation puis de coercition n’évitèrent pas l’échec de l’entreprise et son abandon 4 ans plus tard.

Cet édit nous laisse quand même, outre un enregistrement même incomplet des principales armoiries de l’époque [2], quelques enseignements :

Le premier, assez peu connu, est que le système des armoiries était totalement libre, non réglementé et non réservé à la noblesse, comme l’explique l’avocat Pierre-Jean Ciaudo [3] : « Bien que leurs racines soient guerrières, et  donc nobiliaires, elles (les armoiries) se généralisent à l’ensemble de la société dès le XIIIème siècle où l’on connaît des bourgeois, puis au XIVème des paysans, qui les utilisent pour sceller leurs contrats. D’abord signe de reconnaissance dans les combats, puis expression sigillaire pour l ‘authentification des actes juridiques, leur extension est telle qu’elles deviennent même des marques de fabrique pour les artisans ».

Le second est que cet édit est la première (et a priori la dernière) tentative de l’état français à s’immiscer dans une quelconque régulation ou contrôle des armoiries.

Le troisième, mais là ce n’est pas une surprise, est que l’inventivité des gouvernants est sans limite pour essayer de remplir les caisses de l’état, et ce de tout temps !

Extrait de l’Armorial de France de Charles D’Hozier, généralité de Chalons

Liens et références :

1. Édit… portant création d’une grande maistrise générale et souveraine, et établissement d’un armorial général à Paris, ou dépost public des armes et blasons du Royaume ; et création de plusieurs maistrises particulières dans les provinces… Registré en la Chambre des Comptes Louis XIV (1638-1715; roi de France). https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86019266.image

2. Charles D’Hozier. Armorial général de France. BNF. Accessible via le site du centre de recherches du Château de Versailles. https://www.chateauversailles-recherche.fr/francais/ressources-documentaires/corpus-electroniques/sources-manuscrites/armorial-general-de-france-par.html

3. Pierre-Jean Ciaudo. L’application de l’édit de novembre 1696 dans la région grassoise. Cahiers de la Méditerranée  Année 1977  15  pp. 49-73. https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_1977_num_15_1_1441

© Texte posté le 30/11/2021

A part la première, les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur. Choix a été fait de ne sélectionner que des blasons et armoiries comportant du bleu, pardon d’Azur… et des étiquettes décollées qui ont vécu et en gardent quelques traces. Parce que la couleur bleue est assez rare sur les étiquettes et qu’elle ressort particulièrement bien. Et puis aussi parce que ce texte a été débuté avec l’épopée écourtée des bleus lors de l’euro de football et terminé le jour de la victoire historique d’autres valeureux bleus face à l’équipe de Nouvelle Zélande!

Le vin de la comète

(Dimensions de l’étiquette originale :  95 x 55 mm)

Voici une étiquette lithographiée de Champagne (Sillery Mousseux) du XIXème siècle, destinée à l’export aux Etats Unis d’Amérique et célébrant, comme son nom COMET l’indique, une comète.

De quelle comète s’agit-il, la comète qui a donné son nom au « vin de la comète » ou une autre comète ?

1. La grande comète du « vin de la comète » 

Le vin de la comète, surtout le vin de Champagne, a été longtemps célébré tant par les vignerons que les poètes [1]:

Le soir, déjà ; son traîneau glisse,

Si vite qu’il effraie les gens ;

Le givre luit sur sa pelisse

Et tremble en poussière d’argent.

Il file chez Talon; il dîne

En compagnie de Kavérine.

Il entre — un jet mousseux d’Aÿ

De la comète qui jaillit (…)

(Pouchkine, Eugène Onéguine, 1823-1831)

La comète du « vin de la comète » est la grande comète de 1811, appelée aussi Comète de Napoléon. Personne ne se souvient de son vrai nom (C/1811 F1) ni de celui de son découvreur (Honoré Flaugergues, astronome amateur français). Personne n’attend son retour car sa périodicité est de plus de 3000 ans et elle ne repassera pas à proximité de la terre avant l’année l’an 4906 du calendrier occidental !

La grande comète de 1811 a marqué les esprits et les vignerons pour deux raisons principales : son caractère spectaculaire, avec une très longue queue, visible pendant 9 mois consécutifs (entre mars 1811 et le début de 1812 et particulièrement pendant les vendanges de 1811), et l’association à des conditions climatiques optimales qui ont conduit à un millésime exceptionnel pour le vin, tant en qualité qu’en quantité. Surtout en Champagne. Pour les maisons champenoises, cette année salvatrice a fait suite à plusieurs années catastrophiques et un marché international, en particulier russe, sinistré par les guerres napoléoniennes. Ce que décrit très bien Roger Pourteau dans un article publié dans le Figaro le 19/03/2011 [2] :

« C’est en 1814 que le millésime de la comète révéla toutes ses qualités. Après trois années détestables (1805, 1808 et 1809), la vendange 1811, commencée en septembre (un gage de réussite), a mis un terme à une série noire qui menaçait plus d’une maison. Pour la Veuve (Cliquot), le salut vint de Russie où étaient parvenus des échos flatteurs du « vin de la comète ». Commandes massives donc assorties d’une exigence : que les bouteilles soient identifiées par une vignette portant la mention «Vin 1811 de la comète». Réalisées à la main, elles furent les toutes premières étiquettes de la Champagne, l’usage n’en sera généralisé que quarante ans plus tard. »

Je ne connais pas d’exemplaires originaux d’étiquettes de vin de la comète. Comme le précise l’article du Figaro [2], les étiquettes du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin commandé en Russie étaient manuscrites, et il n’y en a aucune trace connue (peut-être y en a-t-il dans des archives russes non encore publiées ?).

Par contre, je dispose d’une série de fac-similés d’étiquettes des origines de la maison Moët et Chandon éditée dans les années 1960. Les reproductions concernent des étiquettes du début du XIXème siècle et de la fin du XVIIIème. Parmi elles, une étiquette de Jean Rémy Moët (1758-1841, petit-fils de Claude Moët fondateur de la marque) porte la mention, également manuscrite à l’origine, de « vin d’Aÿ blanc crémant de 1811 ».

L’étiquette a la forme en écu de l’étiquette de la cuvée Dom Pérignon et arbore comme elle, en bas, une étoile à 5 branches, rappel stylisé de la comète de 1811. Etoile qui figure constamment sur la quasi-totalité des étiquettes de Moët jusqu’à nos jours….

2. La comète de Halley

La plus connue est la comète de Halley, qui passe à proximité du soleil et est donc visible de la terre tous les 76 ans : 1986, 1910, 1835, 1758, etc…

Trois passages peuvent avoir été commémorés sur des étiquettes de vin : 1986, 1910 et 1835 puisqu’en 1758 et avant, les étiquettes telles que nous les connaissons, imprimées sur papier et collées sur les bouteilles, n’existaient pas. On considère en effet que les premières étiquettes imprimées datent de 1800 ou de la toute fin du XVIIIème siècle [3]. L’essor de l’étiquetage nait avec la lithographie, inventée dès 1798. Mais les premières étiquettes de vins lithographiées ne sont apparues qu’à partir de 1820 et étaient réservées aux vins de haut de gamme, vins allemands, puis vins de Champagne, de Bordeaux et de Bourgogne.

Cette étiquette « COMET » de Sillery mousseux commémore-t-elle le passage de 1910 ou de 1835 ?  Difficile à affirmer en l’absence de millésime. Mais le style de l’étiquette lithographiée et les inscriptions peuvent tout à fait correspondre au début du XIXème siècle. Une étiquette de Sillery millésimée 1834, conservée par la médiathèque d’Epernay et reproduite dans le livre L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles [4] est très proche graphiquement. Donc on pencherait plutôt pour une commémoration du passage de la comète de Halley en 1835…

Pas d’ambiguïté de comète ni de datation (1835) avec la magnifique étiquette de Sillery première qualité de la maison Renaudin Bollinger « Haley’s comet brand », destinée au marché américain, reproduite dans le livre de référence « L’étiquette du Champagne » de Georges Renoy [5].

Le passage de la comète de Halley en 1986 a également été l’occasion d’étiquetage commémoratif, et pas uniquement en Champagne !

3. Traces de comètes sur étiquettes célèbres

De nombreuses étiquettes et bouchons de Champagne, anciens ou actuels, gardent une trace de la grande comète de 1811.  Les deux plus beaux exemples sont les champagnes Veuve Cliquot Ponsardin et Moët et Chandon.

La comète du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin

Les étiquettes de Veuve Clicquot Ponsardin ont affiché, depuis l’époque de la première comète jusque dans les années 1980, une étoile et une queue de comète au centre d’un cercle portant en périphérie les noms V CLIQUOT P et WERLE. [6]

Hélas, la comète des origines a disparu des étiquettes de la maison à partir des années 1980, remplacée par l’autre symbole de la maison : l’ancre de marine. Exit aussi le nom et la référence à Edouard Werlé, jeune employé (1821) puis associé (1830), puis successeur de Madame Clicquot à son décès en 1866. Il a également été maire de Reims 1852 à 1868, député de Reims de 1862 à 1870, commandeur de la légion d’honneur, président du tribunal de commerce, conseiller général de la Marne et président honoraire du syndicat des vins de Champagne….. Un personnage important, donc.

Trois étapes de la célèbre étiquette jaune du Champagne Veuve Clicquot Ponsardin, la dernière version avec la comète (fin des années 1970), la première sans (années 1980) et la version actuelle (années 2010-2020). (collection de l’auteur)

Les bouchons de la maison Veuve Cliquot Ponsardin ont également arboré la comète complète ou l’étoile seule pyrogravées (illustration), rejoints par de très nombreux producteurs.

C’est d’ailleurs ce qui a permis l’identification de bouteilles de Champagne lorsque des plongeurs ont remonté en juillet 2010 du fond de la mer Baltique 168 bouteilles de champagne, dont 47 de Veuve Clicquot facilement identifiées grâce à la marque apposée sur les bouchons représentant la comète [2]. Auparavant, les bouchons de la Veuve étaient marqués de l’ancre, symbole d’avenir et de prospérité, qui a détrôné la comète sur les étiquettes.

La comète du Champagne Moët et Chandon

Chez Moët, comme on l’a vu, pas de comète complète, mais une simple étoile, présente depuis les origines sur quasiment toutes les étiquettes de la maison (sauf quelques étiquetages pour l’export). Mais si l’étoile est toujours présente, elle diminue nettement en taille (illustration), témoin volontaire ou non de l’éloignement progressif de la comète des origines mais aussi de l’amnésie progressive de la symbolique de la comète après plus de 150 ans….

Trois étapes de l’étiquette de cuvée brut impérial de Moët et Chandon, l’étoile se rétrécit, comme la comète qui s’éloigne….

(Collection de l’auteur)

Les comètes s’éloignent de la terre et disparaissent des étiquettes…

Les étiquettes de la  maison de champagne Delamotte Père et Fils (Le Mesnil sur Oger) arboraient une des plus belles comètes, d’abord sur la collerette, puis sur les étiquettes, déclinées en plusieurs couleurs. Mais là encore, les dernières versions des étiquettes de cette maison ont abandonné la comète et ont évolué vers une assez triste austérité.

Même constatation pour la discrète comète des Champagne Bollinger, présente sur certaines séries d’étiquettes de la fin du XIXème siècle, encore présente sur quelques étiquettes des années 1970, dont celle la célèbre cuvée Vieilles Vignes Françaises, avant de totalement disparaitre au cours des années 1980.

Etiquettes Bollinger du XIXème et plus récentes de la cuvée Vieilles vignes françaises, avec puis sans symbole de la comète (collection de l’auteur)

On remarque que la plupart des grandes maisons de Champagne qui affichaient ou affichent encore des comètes sur leur étiquettes ont été créées à la fin du XVIIIè siècle (Moët et Chandon 1742, Delamotte P et F 1760, Veuve Cliquot Ponsardin 1772, Heidsieck 1785) et étaient donc en pleine activité au moment du passage de la comète de 1811.   Simple coïncidence ?

Pour la maison fondée en 1838 à Aÿ par William Deutz et Pierre Geldermann, devenue Deutz tout court dans les années 1980, l’apparition de la comète fut éphémère…

4. Vin de la comète, vin d’exception…

Mais si on se base sur l’évolution des étiquettes de ces maisons de Champagne, force est de constater que la référence à la comète comme symbole d’un vin exceptionnel s’estompe voire disparait totalement des cerveaux des femmes et hommes de marketing champenois actuel. Il faut dire que plus de 200 ans ont passé et que le symbole a quand même tenu le coup pendant plus de 150 ans….

Quelques cuvées modernes continuent pourtant à se revendiquer d’une comète, non pas d’un moment précis ou d’une comète identifiée, mais d’une comète en général. C’est le cas (liste non exhaustive) d’un Sancerre (domaine Paul Prieur et Fils), d’un Crémant de Loire (Vincent Esnou, domaine de la Belle Etoile), d’un Jurançon sec (Maxime Salharang, Clos Larrouyat, Maison Dubecq), d’un autre Jurançon vendanges tardives cette fois (Pascal Labasse, domaine de Bellegarde), d’un vin blanc du domaine des Grillons (Côtes du Rhône), ainsi que d’une cuvée « queue de comète » (Cotes du Rhône blanc, domaine Gramillier).

Reprenant l’association entre millésime exceptionnel et comète, un vigneron a nommé « cuvée de la comète » une vendange tardive particulièrement réussie en 2017, alors que 2018, 2019 et 2020 n’avaient rien donné. Sa réponse à la question  « Pourquoi une cuvée Comète ? »  a été étonnante : « Parce qu’une comète ça passe, et on ne sait pas quand elle reviendra » Affirmation sympathique, mais totalement infondée car, comme on l’a vu, si les années exceptionnelles sont imprévisibles pour le vin, les calculs des astronomes sont d’une grande fiabilité pour établir la périodicité de passage de toutes les comètes connues !

5. Pluie de comètes sur étiquettes et collerettes…

Toute référence à la comète n’a donc pas disparu de nos étiquettes de vins. Amis collectionneurs, regardez vos étiquettes, de Champagne surtout. Vous serez surpris de découvrir ici ou là une comète stylisée, une étoile, soit sur l’étiquette elle-même, soit plus discrètement sur la collerette seule comme dans les quelques exemples montrés ici.

Liens et références :

1. Le vin de la comète. Blog Au bon clos. Publié le 12 septembre 2011.

2. Roger Pourteau. La comète de 1811 veille encore sur Veuve Clicquot. © Le Figaro, publié  le 19/03/2011 ;

3. Georges Renoy. Le livre de l’étiquette de vin. © Bruxelles, Racine/ Paris, Vilo, 1995

4. Marie-Thérèse Nolleau Pierre Guy. L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles, © 2015, Gueniot Dominique Editions

5. Georges Renoy. L’étiquette du Champagne. Editions Racine, 1996.

6. Les femmes et les maisons de Champagne. Veuve Cliquot Ponsardin. Reims Champagne actu, publié le 21 juin 2006.

© Texte posté le 31/10/2021, mis à jour le 25/10/2024 et le 06/01/2025

LA SUITE ….

  1. Un dimanche de fin novembre, on débouche une bouteille de Vouvray, et devinez ce que je découvre, gravé sous le bouchon ?

2. Pour illustrer notre propos, voici un petit jeu : quelle est la différence entre ces deux étiquettes de Champagne brut rosé de Damery ? Un indice : la première est probablement antérieure à 1992, la seconde postérieure …

Autre indice, c’est sur la collerette que ça se passe ! Eh oui, le vigneron a voulu apposer sur son étiquette le logo « point vert », attribué depuis 1992 aux entreprises qui contribuent financièrement au dispositif de recyclage de l’emballage. Et hop, bonjour le point vert et adieu la comète, une nouvelle fois !

La Valse des étiquettes

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« Drôlatiques, coquines ou romantiques, les étiquettes des bouteilles de vin offrent matière à raconter  une histoire… »                 

P. Vavasseur 

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Ne vous est-il jamais arrivé d’acheter une bouteille chez votre caviste de quartier ou au supermarché, uniquement parce que l’étiquette est amusante, le nom du vin original, en clin d’œil ou jeu de mots ?

J’avoue que cela m’arrive souvent… et je suis rarement déçu. Car l’exercice ne souffre pas la médiocrité. Les vignerons qui se prêtent à ce jeu sont en général dotés d’un souci de la qualité doublé d’un solide sens de l’humour voire de la provocation. Ils nomment de façon originale leurs cuvées un peu spéciales, faites de cépages anciens ou interdits dans l’AOP de leur région. Ou bien leurs vins plaisir, à partager entre amis sans se prendre la tête et sans se ruiner. Ils ciblent aussi une clientèle plus jeune, curieuse, moins préoccupée par les méandres et contraintes des appellations officielles. D’ailleurs, ces vins ont souvent l’appellation la plus simple « vin de France », tandis que d’autres arborent toutes les caractéristiques des exigeantes AOP.

Cela a été une joie de découvrir dans le supplément Week-End du journal Le Parisien du 19 juin 2020 [1] un article intitulé « LA VALSE DES ETIQUETTES » qui traite justement de ces (bons) vins achetés pour leur étiquette.

Son auteur, Pierre VAVASSEUR est journaliste, écrivain, grand reporter au Parisien, amoureux des livres et récent créateur d’un très beau blog, lumineux même, consacré à la littérature [2]

Visiblement épicurien, il a composé un poème à partir des vins qu’il aime offrir à ses amis et qu’il choisit, dit-il, en fonction du « petit nom du jaja ».

Je me suis amusé à retrouver les vins qui composent son ode…. Pour une fois, ce n’est pas une, mais près de 75 étiquettes qui nous racontent une histoire !

Voici le poème et son texte d’introduction, reproduits avec l’autorisation de l’auteur et du Parisien, que nous remercions :

« A chaque fois que je suis invité chez des amis, comme l’autre soir par exemple, j’apporte une bouteille choisie en fonction de l’étiquette. Sauf que ce ne sont ni le cru ni le cépage qui m’attirent, mais le petit nom du jaja. Il en existe des amusants, osés, lyriques… tout un poème, autrement dit. Il fallait bien en écrire un. »

Respiration !…..Parmi les 74 noms relevés, des vins de toute la France ou de l’étranger (2 citations), quelques noms de domaines et non de cuvées (la Chouette du Chai, Haut Marin, domaine de la Prose) et même celui d’une brasserie iséroise (la Marmotte masquée) !

Pierre VAVASSEUR, bourguignon de naissance, a très bon goût. En fait de «jaja», sa sélection ne comporte pas de vins bas de gamme, et si quelques-uns ont un prix modéré (entre 5 et 13 euros), la majorité coute quand même  20 à 50 euros et certains atteignent des petits sommets (60 euros les 37,5 cl pour la cuvée Sul Q, on l’est effectivement…). Presque tous sont des vins bio, voire élaborés en biodynamie. Certains vignerons sont très bien représentés, en particulier le domaine d’Anne et Jean-François Ganevat, vignerons réputés du Jura (14 produits). Les vins dont le nom correspond à plus de 3 domaines (ex: cuvées Les Terrasses, les Anges, Plénitude) n’ont pas été détaillés. 

Outre leur habillage, à découvrir dans le carrousel surmontant le poème, les voici par ordre de citation (à consommer avec modération) :

Liens et références :

1. Les mots de Pierre. La valse des étiquettes. © Le Parisien Week-End, supplément au Parisien N° 23376 du vendredi 19 juin 2020.

2. Des minutes de lumière en plus. Blog littéraire de Pierre Vavasseur  

© Texte posté le 10/05/2021

les Sexe-Symboles !

En 2007, la société de négoce bordelaise Omnivins a lancé, à grand renfort de marketing, une gamme de vins de pays baptisée « Soif de Cœur » [1], couplée à un site de rencontres sur Internet. Chaque vin était décliné en deux présentations : étiquette rose pour les femmes, étiquette bleue pour les hommes. La contre-étiquette donnait toutes les informations pour se rendre sur le site de rencontres. Un code d’accès apparaissait au dos de la contre-étiquette lorsque la bouteille était vide, et permettait à l’acheteur ou l’acheteuse d’avoir un contact avec un autre amateur de Soif de cœur !

A l’achat, les seuls repères dont disposait le consommateur pour différencier une bouteille « masculine » d’une bouteille « féminine » étaient la couleur dominante bleue ou rose de l’étiquette et de la capsule, ainsi que les symboles de sexe ou de genre, bien visibles en blanc sur fond coloré : le rond surmonté d’une flèche pour les hommes, le rond surplombant une croix pour les femmes.

Ces deux « symboles sexuels » sont universels et reconnus par tous, du moins dans les pays occidentaux. Mais qui connaît leur provenance ? Evocation d’un spermatozoïde et de sa « cible » ? Symbolique de l’action (la flèche) pour les hommes et de l’ancrage dans la terre, du foyer et de la maternité pour les femmes ? … Pas du tout.

Ces symboles viennent de la Grèce antique, qui avait établi des liens entre les astres, le travail des métaux, et le genre des humains… C’est ainsi que, par rapport à l’or, métal le plus précieux associé au soleil, le fer qui se travaille dans la force et le bruit était associé à Thouros (la planète Mars) et à la masculinité, tandis que le cuivre, plus doux, l’était à Phosphoros (la planète Venus) et à la féminité. Vénus avait d’ailleurs deux noms, un pour l’astre du matin et un autre pour l’astre du soir, jusque à ce que les anciens comprennent qu’il s’agissait de la même planète. Phosphoros, littéralement « qui apporte la lumière », qualifiait la Vénus visible à l’aube, annonciatrice du lever du soleil. Elle a donné plus tard son étymologie au phosphore, élément chimique qui brille à la lumière.

Le schéma ci-dessous montre comment les lettres grecques utilisées dans Thouros, le theta et le rho, ainsi que que le phi de Phosphoros, ont formé progressivement par contraction les symboles que nous connaissons aujourd’hui [2].

Ces « sexes-symboles » confirment l’adage selon lequel « les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus »…

Mais pas de confusion, on parle bien des planètes et non des dieux : la déesse de l’amour, Vénus latine, se nommait Aphrodite chez les Grecs, et Mars le dieu de la guerre, Adès.

A propos de la déesse de l’amour, voici une autre représentation de nos deux « sexe-symboles» en version plus érotique  …

Liens et références :

1. « Soif de coeur » est une marque déposée de la société Hausmann Famille. https://marques.expert/haussmann-famille/soif-de-coeur-3456531.html

2. G D Schott. Sex symbols ancient and modern: their origins and iconography on the pedigree. British Medical Journal 2005; vol 331:p1509-10. doi:10.1136/bmj.331.7531.1509 https://www.bmj.com/content/331/7531/1509

© Texte posté le 30/06/2020