
(Collection particulière)
Contrairement à la première impression, il ne s’agit pas d’une étiquette de Champagne, mais d’une étiquette lithographiée de vin de Bordeaux, rouge très probablement, appelé vin des Queyries. Il provenait de La Bastide, cité intégrée en 1865 à la ville de Bordeaux, qui a connu une grande prospérité entre le XVIIIème siècle et les années 1950.
Dans la seconde édition de 1845 de leur « Traité sur les vins du Médoc et les autres vins rouges et blancs du département de la Gironde » [1], Franck et Fauré citent les vins de Queyries comme les meilleurs vins girondins dits « de Palus » :
« La nature a spécialement consacré le département de la Gironde à la culture de la vigne : les vignobles y prospèrent dans tous les terrains, dans les graves, sur les coteaux, et même dans le sol d’argile qui borde les rivières de la Garonne et de la Dordogne. Ces rivages plantureux qui ont conservé le nom latin de Palus, produisent des vins rouges justement appréciés. La première de toutes les palus est celle des Queyries, située vis-à-vis Bordeaux. C’est cette langue de terre qui des coteaux du Cypressat s’avance, sur la rive droite du fleuve, vers le magnifique croissant que forme le port. »

Vins robustes de coupage, mais aussi vins consommés en propre, en cuvée millésimée et avec étiquetage assez luxueux, comme le prouve cette étiquette de 1839. Selon Franck et Fauré, les vins des Queyries se prêtaient bien à la l’épreuve du « retour des Indes », consistant à faire voyager aux tropiques les vins dans les cales des voiliers, aller et retour, afin de les bonifier. « Alors que les voyages de long cours étaient moins rapides, les Queyries étaient très recherchés; on aurait eu crainte d’exposer longtemps aux ardeurs tropicales des vins plus légers ; on en faisait même revenir d’outre-mer pour leur donner par ce double voyage une haute valeur très-renommée. ».
Cette technique étonnante et coûteuse s’adressait essentiellement aux vins robustes : «Certains vins très alcooliques, chargés d’éléments qu’ils ont besoin de dépouiller pour vieillir, les Porto, les Xérès, parfois même des Bordeaux ou des Bourgognes très corsés, mûrissent plus rapidement si on les soumet pendant un certain temps à un brassage, particulièrement à celui d’un voyage en mer. » (Paul Cassagnac Les Vins de France Hachette 1927).

La vigne a déserté les palus de ces bords de la gironde, industrialisés et urbanisés depuis bien longtemps. Le site « quai de Queyries, mon amour » rappelle l’histoire des queyries, liées aux pierres de l’Entre-Deux-Mers acheminées à Bordeaux par voie fluviale [3]. Extrait :
« Les pierres des coteaux de l’Entre Deux Mers étaient transportées jusqu’à la Garonne, par voie fluviale, le long des « esteys » (cours d’eau) qui traversaient les plaines des Queyries, anciens marécages nouvellement asséchés. Dans ces plaines fertiles, on faisait pousser des vignes de palus, qui donnaient les vins des Queyries, très connus et appréciés au XVIIIème siècle.
Lors de la construction du premier pont de Bordeaux, le Pont de pierre, en 1822, les quais Queyries et Deschamps, l’un en aval, l’autre en amont du pont, sur la rive droite, dans le quartier de la Bastide, commencèrent à s’industrialiser. Les industries firent disparaître les vignobles. La première grande gare bordelaise, desservant la ligne Bordeaux Paris, fut construite sur le quai des Queyries en 1852. La Bastide était riche et puissante. La ville de Bordeaux réussit alors, après de nombreuses difficultés [4], à annexer ce quartier qui faisait pourtant partie de la commune de Cenon. En 1865 Cenon la Bastide devint Bordeaux Bastide.
Le quai des Queyries, avec sa gare, sa gare maritime, ses appontements, ses entreprises, ses usines, son transbordeur aérien pour le charbon, ses docks, ses chantiers navals, connut jusque dans les années 1950 une prospérité inégalée. Abandonné à partir des années 1970, il se couvrit de friches industrielles envahies par les ronces. »
Actuellement, il existe un Clos des Queyries situé dans le quartier de La Bastide à Bordeaux, très joli bâtiment du XVIIIè-XIXè siècle entourée d’un parc, transformé en chambre d’hôtes de charme et de luxe [5]. Peut-être le château d’une ancienne propriété viticole ?

Liens et références :
1. Jean-Joseph Fauré et William Franck. Traité sur les vins du Médoc et les autres vins rouges et blancs du département de la Gironde (2e édition revue, augmentée et accompagnée d’une carte…). Chaumas Editeur, Bordeaux, 1845. Accédé par le site GALLICA https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6529165f/texteBrut
2. Indiablognote. Retour des Indes, l’explication. http://www.indiablognote.com/article-retour-des-indes-l-explication-45588529.html (lien inaccessible depuis 2021)
3. Site internet « quai de Queyries, mon amour ». Ce site créé en 2003 par Christophe Laichouchen, riche de textes et de photographies, était accessible en 2020 lors de la première publication de cet article, reste référencé sur wordpress mais hélas non accessible lors de la mise à jour de 2023. Espérons une prochaine remise en ligne de ce très beau site … http://www.quaidequeyries.net/
4. Alexandre Saramite, Essai d’un point de vue géopolitique sur le pont Bacalan-Bastide à Bordeaux, 2011. Les premiers chapitres de ce travail sur le « pont Chaban Delmas » détaillent de façon vivante et illustrée l’historique des difficultés de communication entre les deux rives de la Garonne à Bordeaux. https://www.academia.edu/12225180/Essai_dun_point_de_vue_g%C3%A9opolitique_sur_le_pont_Bacalan_Bastide_Chaban_Delmas_%C3%A0_Bordeaux
5. Site du Clos des Queyries. https://www.leclosdesqueyries.com/
© Texte posté le 27/06/2020, mis à jour le 04/09/2023



























