Les 175 ans de Hermann Müller

Une étiquette sobrissime, un nom énigmatique :  175 M-T. Il ne s’agit pas de célébrer la sortie d’un nouveau canon de 175 mm [1] ni d’une moto trial de 175 cm3.

Mais de célébrer, en cette fin d’année 2025, le 175è anniversaire de la naissance de Hermann Müller, l’inventeur du cépage Müller-Thurgau (M-T) [2]. Peu connu en France, le Müller-Thurgau est un cépage très répandu en Allemagne (environ 11 000 hectares, soit 10,6 % de la superficie totale du vignoble), en Suisse alémanique, en Autriche et au Luxembourg. On le cultive aussi en Belgique, Italie (Haut Adige, Dolomites), Hongrie, Slovénie, Croatie, Nouvelle Zélande, … et en France dans l’AOC Moselle.

Hermann Müller (1856-1927)

Hermann Müller est né le 21 octobre 1850 à Tägerwilen, village allemand proche de Constance, dans une famille de boulangers et de vignerons.

Professeur de sciences, il a ensuite dirigé la station expérimentale de physiologie végétale de l’Institut de recherche de Geisenheim, près de Mayence, de 1876 à 1890. En 1882, il crée un nouveau cépage à partir du croisement de ce qu’il pensait être du Riesling et du Silvaner.

C’est de cette confusion que provient le nom de Rivaner souvent donné à ce cépage (en Suisse ou au Luxembourg) ou de noms plus ou moins dérivés : Rivana en Autriche, Riesling-Sylvaner ou Riesling-Silvaner en Suisse et Nouvelle Zélande, Rizlingszilváni en Hongrie, Rizvanac en Croatie, Rizvanec en Slovénie [3] [4].

Etiquette de Rivaner de la Moselle Luxembourgeoise des années 1970-80, avec l’indication du croisement de cépages erroné

En réalité, le Müller-Thurgau est un croisement entre le Riesling et la Madeleine Royale, cépage rare lui-même issu d’un croisement naturel entre le Pinot Noir et le Frankenthal (raisin noir de table ou de cuve qui prend aussi les noms de Trollinger en Allemagne, Vernatsch au Tyrol du Sud, Schiava grossa en Italie, Chasselas de Jérusalem, Gros bleu, prince Albert en France…). Vous suivez ?

Au royaume des cépages, les noms sont aussi un voyage … [5]

Le Müller-Thurgau B est donc un cépage à raisins blancs issu d’un croisement Blanc x Noir. Au départ, il n’eut aucun succès. Aussi, quand on proposa en 1891 à Hermann Müller de fonder un institut de recherche en Suisse, à Wädenswil dans le canton de Zurich, il emporta ses nouveaux cépages, sans plus de succès. A sa mort en 1927, toujours pas de débouché ni d’exploitation pour ce qui ne s’appelait pas encore le Müller-Thurgau.

Ce serait finalement grâce à un de ses employés que le succès est arrivé. Selon certaines sources, dont le site du producteur suisse de notre étiquette M-T 175 [2], cet employé a rapporté en 1913 des plants en Allemagne, à l’Institut de recherche de Geisenheim, et a baptisé le cépage « Müller-Thurgau » en hommage à son créateur, Hermann Müller, et au canton suisse de Thurgovie (Thurgau en allemand), qui borde le lac de Constance.

D’autres sources font état d’un retour illégal du cépage Müller-Thurgau en Allemagne en juillet 1925, à Immenstaad sur la rive du Lac de Constance, à la suite d’un trafic de contrebande opéré par un certain Jean-Baptiste Röhrenbach à l’aide de pêcheurs du lac [6] [7].

Dans tous les cas, des expérimentations ont été menées en Allemagne et en Suisse de part et d’autre du lac de Constance, aboutissant à une exploitation commerciale dans les années 1950 et un succès grandissant dans les années 1970.

Deux pays, deux noms pour le même cépage

La raison du succès ? Le Müller-Thurgau est facile à cultiver, offre des rendements élevés, et s’adapte facilement aux zones septentrionales ou froides en raison de son cycle court. A la dégustation, il produit un vin harmonieux, facile à boire, avec un fruit frais et une acidité équilibrée. C’est ce qui en a fait un vin de prédilection des vignerons depuis le milieu des années 1970, supplantant des cépages plus exigeants comme le Riesling ou le Silvaner.

Mais après l’apogée des années 1960 à 1990, pendant lesquelles il était le cépage le plus cultivé en Allemagne, le Müller-Thurgau connait un déclin. Pour les raisons inverses à celles qui ont fait son succès : diminution de la consommation globale de vin, effondrement de la consommation de vins de qualités intermédiaire ou inférieure, augmentation des importations de l’étranger de vins courants et peut-être une sensibilité aux maladies qui le rend vulnérable en bio, bien que plusieurs domaines fassent du vin bio 100% Müller-Thurgau. En France, 20 hectares étaient plantés en Müller-Thurgau en 2018 (moins de 10 hectares en 2000) [3]. Il fait partie, avec l’auxerrois, le pinot gris et le pinot noir, des 4 cépages principaux de l’AOC Moselle, créée en 2011 et dont 60% de la production est en bio [8].

Hermann Müller a également contribué à de nombreuses avancées dans la recherche viticole. Il a étudié la biologie florale de la vigne, le métabolisme des plantes, les maladies comme le mildiou et les mécanismes de fermentation alcoolique. Il est également considéré comme un précurseur de l’industrie moderne des jus de fruits. Plusieurs expositions et manifestations lui ont rendu hommage en 2025, en particulier autour du lac de Constance [6] et du lac de Zurich [9].

Liens et références :

  1. Un canon de 175 mm a bien existé.  Le canon autoporté M107 de 175 mm (6.9 inches) a été utilisé par l’armée américaine des années 1960 à la fin des années 1970, et par d’autres armées jusqu’en 2024.
  2. Site du domaine viticole suisse 8247, producteur de la cuvée M-T 175 de notre étiquette. https://www.8247.ch/2025/06/12/jubilaeumswein-zum-175-geburtstag-von-hermann-mueller-thurgau/
  3. Catalogue des vignes cultivées en France. Site PlantGrape du centre INRAE de Montpellier. https://www.plantgrape.fr/fr/varietes/varietes-a-fruits/179
  4. Site « Les cépages » dirigé par Raymond Groeninger. Site internet :  http://www.lescepages.fr . Sur Twitter : https://twitter.com/comagri_france. http://lescepages.free.fr/muller_thurgau.html
  5. Dix-sept Syllabes / C’est bien mais insuffisant / Pour un vrai Haiku !
  6. Anniversaire du vin 2025 – 100 ans de Müller-Thurgau sur le lac de Constance. https://www.bodensee.eu/de/was-erleben/genuss/weinregion-bodensee/mts100
  7. Gabrielle Meton. Le müller-thurgau, ce cépage de contrebande devenu un vin de renommée internationale. L’Alsace, publié le 17 août 2025. https://www.lalsace.fr/magazine-cuisine-et-vins/2025/08/17/le-muller-thurgau-de-cepage-de-contrebande-a-vin-de-renommee-internationale
  8. Site de l’Organisme de Défense et de Gestion de l’AOC Moselle. https://www.vins-aocmoselle.fr/fr/le-vignoble.html
  9. Musée de la viticulture sur le lac de Zurich. Exposition spéciale : « Müller-Thurgau ». https://weinbaumuseum.ch/blogpost/sonderausstellung/?fbclid=IwY2xjawNGGaZleHRuA2FlbQIxMAABHuaJ-IZWId0rwsY19sxzzjTNQKIl6lkG-VMSQAWX3an1VUb0TI-4w2iiizmS_aem_u2KgAeFhzUL9mOx1ivOQKw

© Texte posté le 06/12/2025

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou de copies d’écran des sites internet consultés. Article écrit sans le recours à l’intelligence artificielle générative.

L’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

Un cépage rare, l’Egiodola

Rien, en apparence, ne fait apparaitre l’originalité de cette étiquette de cuvée Les Quartz du château de la Mercredière, domaine ancien et renommé du Pallet en Loire Atlantique (44330).

L’originalité est cachée dans le cépage de ce vin de France rouge, produit dans la zone du Muscadet de Sèvre et Maine [1]. Lors de l’achat de la bouteille, j’ai demandé par curiosité au vendeur quel en était le cépage, il m’a répondu « Egiodola » … Egio quoi ? EGIODOLA ! Mais quel est donc ce cépage ?

Bien que son nom évoque une origine ibérique, ce cépage rare dit « métis », est d’origine française. Il a été créé avec beaucoup d’autres par Pierre Marcel Durquety, d’origine basque, chercheur en agronomie à Bordeaux .

Agorra,… Arinarnoa, … Arriloba, … Ederena, … Egiodola, … Ekigaïna, … Liliorila, … Odola, … Perdea, … Semebat.

Pour chaque nouveau cépage, P.M. Durquety a inventé un nom original, souvent par néologisme de forme construit à partir de mots de langue basque qui ne s’assemblent pas habituellement dans l’écriture courante, mais qui une fois associés prennent un nouveau sens.

L’Egiodola, sang pur ou pur-sang ?

Ainsi, Egiodola signifie « le sang pur » ou « le sang véritable », d’egi « la vérité ou la pureté » et odola « le sang » en langue basque. C’est un cépage de cuve noir créé en 1954, homologué en 1978 (numéro de clone 600), issu du croisement des cépages Abouriou, originaire du Lot et Garonne, et Tinta da Madeira, venant comme son nom l’indique de l’ile de Madère.

Agorra est un cépage blanc dont le nom signifierait« épuisé ». Arinarnoa signifie le « vin léger », Arin étant la « légèreté, une chose agréable ou versatile » et arnoa « le vin ».  Arriloba signifierait « le neveu de pierre » (Harri « pierre » et loba « neveu »).

Ederena signifie « le plus beau » et Ekigaïna « soleil haut », même origine que mot basque Ekaina pour le mois de juin.  Liliorila signifie probablement « la fleur jaune », de lili horiaLili « fleur » et horia la couleur « jaune ».

Perdea (comme Odola et Agorra) n’est pas un nom composé, c’est une des formes de Basque désignant la couleur verte. Semebat signifie « un fils », de Seme « fils » et de bat correspondant au chiffre « un » [2].

Pierre-Marcel Durquety

Pierre Marcel Durquety (1923-2016) est un ingénieur agronome issu de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie (aujourd’hui institut agronomique) de Montpellier. Chercheur à l’INRA de Bordeaux , à la station du Sud-Ouest basée dans le domaine de la Grande Ferrade [3], il a fait de nombreuses recherches sur les maladies de la vigne et sur la création de nouveaux cépages. Entre 1950 et 1980, il a testé de multiples croisements intraspécifiques (c’est-à-dire deux variétés d’une plante d’une même espèce, en l’occurrence vitis vinifera). Parmi eux, l’Egiodola créé en 1954 et les cépages aux noms « basques », détaillés dans le tableau suivant.

Pierre-Marcel Durquety
reproduit avec autorisation © Jean Durquety.

Le but était de trouver des cépages productifs, qualitatifs pour le vin, et résistants aux maladies pour remplacer les cépages peu qualitatifs qui avaient été plantés dans les suites de la crise du phylloxéra.  Sept variétés, 4 rouges et 3 blancs, ont été inscrites officiellement au catalogue des cépages [2]. La plupart s’avèrent assez résistants et adaptés aux changements climatiques récents. En 2020, deux des créations de P.M. Durquety, l’Arinarnoa en rouge et le Liliorila en blanc, ont fait partie des 6 nouveaux cépages autorisés par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) pour un test à grande échelle dans le Bordelais (4500 vignerons des appellations Bordeaux et Bordeaux supérieur) à des fins d’adaptation du vignoble [4].

A la découverte de l’Egiodola

L’Egiodola est autorisé en France pour faire du vin dans les départements de l’Ardèche, Aude, Aveyron, Corse, Gers, Gironde, Hérault, Landes, Loire-Atlantique, Lot, Lot-et-Garonne, Maine-et-Loire, Nièvre, Pyrénées Atlantiques, Pyrénées Orientales, Tarn-et-Garonne et Var. Sa surface de production est très réduite, 300 hectares en 2004. L’Egiodola donne un vin coloré et très aromatique, assez charpenté, généreux, tannique, avec des notes poivrées et épicées. Il se prête bien aux vins de primeur ou aux vins rosés.

L’Egiodola est souvent utilisé en coupage mais on trouve des cuvées 100% Egiodola rouge ou rosé en Loire Atlantique (au moins 7 producteurs), dans le sud-ouest (au moins 3 producteurs) et dans le Languedoc Roussillon. Les surfaces sont réduites, par exemple 1 ha pour la cuvée Les Quartz du château de la Mercredière qui a motivé cet article [1], entre 0,5 et 1,1 ha pour les autres domaines cités plus loin.  Il s’agit donc de cuvées très confidentielles. L’Egiodola est également cultivé au Brésil [5, 6] et en Suisse [7].

Cuvées d’Egiodola du Brésil (à gauche) et de Suisse (à droite)

Si vous voulez découvrir d’autres vins français 100% Egiodola, vous pourrez en trouver chez les producteurs suivants (liste non exhaustive) :

En Loire Atlantique, Domaine de la Noë, vignobles Drouard à Château-Thébaud  (44690, IGP Val de Loire, uniquement en rosé) ; Domaine de la Chevrue de Yannick Leblé à Vertou (44120, 1,1 ha d’Egiodola décliné en 4 vins rosé, rosé demi sec, rouge et pétillant) ; Domaine Les Hautes Noëlles à Saint Léger les Vignes (44170, 2000 bouteilles d’une cuvée Pléroma, IGP Val de Loire Rouge) ; Domaine Nicolas Suteau à la Remaudière (44430, 0,5 ha d’Egiodola proposé en rosé sec ou en rouge cuvée Le Rouge, et aussi une cuvée Caelia d’Egiodola/Pinot noir) ; La ferme des confluences, de Thomas Foubert, à Saint-Fiacre-sur-Maine (44690, rosé Egiodola IGP Val de Loire)  ; Domaine Bouchaud, Pierre-Luc et Valérie, également à Saint-Fiacre-sur-Maine (cuvée l’Egérie rosé) ;

Cuvées d’Egiodola de Loire Atlantique

En région Occitanie, Domaine de Revel à Vaïssac (82800, zone d’appellation Coteaux du Quercy, cuvée Revel’ation 100% Egiodola, IGP Comté Tolosan) ; Domaine Philémon à Villeneuve-Sur-Vère  (81130, zone d’appellation Gaillac, cuvée Egiodola produite en primeur) ; Cave des vignerons de Tursan / Cave des vignerons des Landes à Geaune (40320, cuvée rouge Exception 100% Egiodola, IGP Coteaux de Chalosse) ; Chateau de Brau à Villemoustaussou dans l’Aude (Cuvée Pure Egiodola, IGP Aude).

Cuvées d’Egiodola d’Occitanie

Il en existe probablement d’autres encore mieux cachés… Attention, les cuvées d’Egiodola citées, même si elles existent ou ont existé, ne se retrouvent pas toujours sur les sites internet des producteurs, il est donc préférable de les contacter directement.

Liens et références :

  1. Site du château de la Mercredière. Cuvée Les Quartz rouge ou rosé, 100% Egiodola  https://www.lamercrediere.com/nos-vins
  2. Pour chacun des cépages crées par P.M. Durquety, voir le site de l’ENTAV-INRA https://selections.entav-inra.fr/fr  et les sites wikipédia.fr correspondants.
  3. En 1921, à la création de l’INRA, La station du Sud Ouest a été constituée au domaine viticole de la Grande Ferrade, actuellement en AOP Pessac-Léognan. https://uevb.bordeaux-aquitaine.hub.inrae.fr/l-unite3/historique
  4. Laurence Lemaire (avec contribution d’ Olivier Yobregat, de l’Institut de la Vigne pôle Sud-Ouest). Le vignoble de Bordeaux va enfin planter de nouveaux cépages. L’hebdo le vin et la chine. https://www.hebdovinchine.com/vignoble-bordeaux-va-enfin-planter-nouveaux-cepages/
  5. L’Egiodola est cultivé à 100-700 m d’altitude dans les vignobles de la Serra Gaúcha, sud du Brésil. Domaines Pizzato vinhos, https://loja.pizzato.net/produto/vinhos-tintos/vinho-seco/pizzato-egiodola-reserva-1?srsltid=AfmBOootdliKz2za_52sjNQRU5R59RcBdaY7y2_B7TYP-9XItrp-fAzf   ;  
  6. Cave de Pedra, vignobles de la Serra Gaúcha, sud du Brésil https://loja.cavedepedra.com.br/vinhos-tintos/cave-de-pedra-reserva-egiodola-750ml
  7. Vins Badan, Didier et Annick Badan, Aigle, Suisse. Cuvée Sensation. https://badanvins.ch/produit/egiodola/

© Texte posté le 05/11/2025

Remerciements : un grand merci à monsieur Jean Durquety pour sa disponibilité, son aide documentaire et pour avoir fourni la photographie de P.M. Durquety

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou de copies d’écran des sites internet consultés.

L’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.