Vin de bienfaisance …

Contrairement à ce que pourrait faire penser cette étiquette de vin de Beaune de la première moitié du XXème siècle, Allerey (Allerey-sur-Saône depuis 1974), commune de Côte d’Or située à moins de 20 km de Beaune, n’a pas de vigne sur son territoire.

L’histoire d’Allerey est cependant étroitement liée au commerce du vin de Beaune. Au hameau de Chauvort, qu’elle englobe, était situé un port fluvial important qui a constitué jusqu’au XVIIIème siècle le port du pays beaunois et de ses vins. 

Cette activité a fait la fortune de familles de négociants et transporteurs fluviaux, parmi lesquelles les familles Lebault et Leblanc. A son décès en 1868, Pierre Frédéric Leblanc, notable local, a légué tous ses biens  au « bureau des pauvres » de la commune d’Allerey, les destinant au « secours pour l’Indigent, et l’Ecole pour l’Enfant » . Parmi les biens légués, 68 hectares de terres à Allerey et un domaine viticole d’environ 5 hectares en 1er cru à Beaune et Savigny les Beaune ! [1]

Les bureaux de bienfaisance

Le terme utilisé par le donateur « bureau des pauvres » est le témoin d’une période de transition entre les organisations, religieuses puis laïques, d’aide aux pauvres qui se sont succédées dans de nombreuses communes ou paroisses de France. Faisant suite aux bureaux de charité institués dès le XVIe siècle puis développés par Turgot et Necker au XVIIIe siècle, les bureaux de bienfaisance ont été créés sous le directoire par la  loi du 7 frimaire an V (27 novembre 1796), avec pour mission de secourir les indigents et nécessiteux qui ne pouvaient ni bénéficier d’une loi d’assistance obligatoire ni être admis dans les hospices.

Comme l’explique l’historien Jean-Claude Thierry [2]: « De façon générale, jusqu’à la révolution, l’Eglise catholique prenait en charge l’action en faveur des plus démunis, par l’intermédiaire du clergé et des ordres religieux. Même dans les campagnes les plus reculées on trouve encore trace des «comptes de la charité». A la Révolution, sous l’influence des philosophes des lumières, apparaît l’idée selon laquelle l’assistance est un devoir de l’Etat et un droit pour le citoyen. En 1796, le gouvernement du Directoire crée les premiers établissements publics de secours : « les bureaux de bienfaisance » ; ce sont des services communaux placés sous l’autorité préfectorale. Au départ, la portée de cette loi reste limitée. La création des bureaux est facultative et quand ils existent, ils cohabitent souvent avec la charité privée. »

Dans son essai sur les mendiants et vagabonds en Bretagne au XIXème siècle [3], Guy Haudebourg précise un des objectifs de la loi : « Les secours à domicile sont nettement préférés aux secours hospitaliers. Afin de maintenir les indigents le plus possible chez eux, sous la Révolution française, ont été créés les bureaux de bienfaisance, bureaux qui remplacent les anciennes associations de charité de l’Ancien Régime. Ils fournissent des secours à domicile aux indigents (loi du 7 frimaire an V – 27 novembre 1796) mais n’ont pas le droit d’entretenir des pauvres dans les hospices selon l’avis du conseil d’État du 14 octobre 1833. De nombreux décrets, lois, ordonnances rappellent au cours du XIXe siècle qu’il doit être établi un bureau de bienfaisance dans chaque commune mais ils ne sont pas appliqués avec la même célérité par toutes les communes de France. »

Allerey en 1909

Le bureau de bienfaisance d’Alleray, héritier de la confrérie des pauvres… et ancêtre du CCAS

A Allerey, il existait depuis le début du XVIIIème siècle une confrérie des pauvres, dont le nom exact était « confrérie du Saint Esprit érigée en faveur des pauvres de l’église d’Allerey ». Le legs de Pierre Frédéric Leblanc atteste qu’un bureau de bienfaisance existait en 1868. L’affectation des fonds a été conforme aux volontés du défunt et à la mission du bureau de bienfaisance : « le bureau de bienfaisance construisit une école religieuse tenue par les frères des Écoles Chrétiennes, l’institut Leblanc, transformée plus tard en garderie-cantine puis en logements sociaux » [1]. On remarque que le don au bureau de bienfaisance, structure d’inspiration laïque, a gardé pour le légataire un « fléchage » totalement religieux. Mais la révolution, le directoire étaient loin, la France après un 1er empire, une restauration, une 2ème  république, vivait un second empire.

Plus tard, les « bureaux d’assistance » ont été mis en place par la circulaire du 19 janvier 1903 dans les communes dépourvues de bureau de bienfaisance. Nos actuels centres communaux d’action sociale (CCAS) en sont les héritiers. A Allerey, le legs a été géré par le bureau de bienfaisance, puis le bureau d’aide sociale et le CCAS de la commune. En 2014, à la faveur des regroupements en communautés de communes ou d’agglomérations, Allerey-sur-Saône a rejoint le « Grand Chalon » qui a pris la compétence de CCAS. Depuis, le legs a une ligne de trésorerie dédiée dans le budget communal.

Les vins du  Legs Leblanc

L’exploitation du domaine viticole d’Allerey, situé à Beaune et Savigny les Beaune, a été confiée à plusieurs vignerons successifs : Chanoine (années 1950-60), Raymond Milliard  (1970-1990) [4], Gossot (1990-2014).

Depuis 2014, l’exploitation est assurée par Philippe Germain, exploitant du Domaine Germain avec son épouse Isabelle et son neveu Maxime Champaud [5]

Jusqu’en 1983, les vins issus du legs Leblanc ont été vendus aux enchères au profit de la commune, et ces ventes étaient annoncées puis commentées dans la presse locale, comme en témoignent ces deux articles du Bien Public de 1977 et 1979 transmis par M Pierre Rageot, actuel maire d’Allerey-sur-Saône, que nous remercions.

Les étiquetages mentionnaient le nom du négociant acheteur/éleveur, comme c’est le cas actuellement pour les vins des Hospices de Beaune (ci-dessous, étiquetage pour la maison A. Bichot datant des années 1970).

Comme le notent les articles, la vente se déroulait à Beaune, 4 rue Rousseau-Deslandes, dans l’ancienne cuverie du domaine de la commune. C’est la façade de cette belle maison, munie d’une tourelle, qui est représentée sur la partie gauche de l’étiquette ancienne. La maison a depuis été vendue.

La tourelle de l’ancien chai de la commune d’Allerey, rue Rousseau-Deslandes à Beaune

 Aujourd’hui, les vins sont vendus directement par l’exploitant avec un étiquetage au nom du CCAS de la commune. Le projet de nouvelle étiquette de 2023, au design plus moderne, a supprimé la mention du bureau de bienfaisance, mais indiquera toujours : « vin issu du vignoble légué à la commune d’Allerey sur Saône par Monsieur Frédéric Leblanc ».

Respectueux des conditions du legs de Frédéric Leblanc, les bénéfice de la vente des vins d’Allerey-sur Saône continuent à financer les activités scolaires et du CCAS de la commune, par exemple la rénovation de logements à loyer modéré, les écoles  maternelle et primaire et leurs cantines, une garderie, un centre d’accueil de vacances [1] .

Remerciements : nous remercions monsieur Pierre Rageot, maire d’Allerey sur Saône, pour les renseignements et les documents d’archives qu’il a bien voulu nous transmettre.

Liens et références :

[1] Site de la commune d’Allerey sur Saône : https://www.allerey-sur-saone.fr/legs-frederic-leblanc

[2] Jean-Claude Thierry. Bureau de Bienfaisance de Chauny. Publication sur le site du centre de recherche et d’étude de la boulangerie et de ses compagnonnages. https://levainbio.com/cb/crebesc/bureau-de-bienfaisance-de-chauny/

[3] Guy Haudebourg. Mendiants et vagabonds en Bretagne au XIXe siècle.   Presses Universitaires de Rennes, 1998. https://books.openedition.org/pur/17741?lang=fr

[4] Notice nécrologique de Raymond Milliard. Le bien Public, 24/02/2014. https://www.bienpublic.com/edition-de-beaune/2014/02/24/raymond-milliard

[5] Domaine Philippe Germain. https://www.philippegermain.com/

[6] Les irréductibles vignerons du grand Chalon. Kaleidoscope.fr., publié le 15 octobre 2016. http://kaleidoscope.fr/2016/10/15/les-irreductibles-vignerons-du-grand-chalon/ (site redirigé, article consulté en 2022, non accessible en ligne en aout 2023)

© Texte posté le 31/08/2023.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des scanns d’étiquettes transmis par la mairie d’Allerey sur Saône.

Etonnants bourgognes mousseux…

Quoi ! du Pommard mousseux, de la Romanée, du Chambertin mousseux ?!  Mais aussi du Chablis, du Meursault, et même du Montrachet Mousseux ? Difficile d’imaginer aujourd’hui, vu les prix de ces crus prestigieux, de les vinifier en mousseux …. Et en rouge en plus !! Pourtant cela a existé et cette pratique a même été en vogue à la fin du XIXème et début du XXème siècle, comme en témoignent ces deux étiquettes et leurs petites sœurs qui illustrent l’article. Certes, à l’époque, les appellations d’origine n’étaient ni contrôlées ni protégées.

A la rubrique « Bourgogne mousseux » [1], le site du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne donne une explication claire et concise de cette curiosité:

« Au début du XIXème siècle, les producteurs de la région de Bourgogne s’intéressent à l’élaboration de vins mousseux selon les techniques mises au point en Champagne, plus particulièrement à Rully, en Saône-et- Loire, dès 1820, à Nuits-Saint-Georges, puis, en 1840, à Chablis. Le nouveau produit a du succès, en particulier auprès de clients d’Angleterre et des Etats-Unis, et la méthode se diffuse rapidement. Des vins mousseux sont élaborés au cœur des plus beaux territoires comme au Clos Vougeot, à « Chambertin », à Chablis, …

Les producteurs de vins mousseux se regroupent au sein d’un syndicat, dès 1939, et obtiennent, en 1943, la reconnaissance de l’appellation d’origine contrôlée «Bourgogne mousseux». Le décret réserve cette appellation d’origine contrôlée aux vins blancs, rouges et rosés produits par seconde fermentation en bouteille.

A partir des années 1960, des producteurs bourguignons souhaitent formaliser et protéger leur production de vins mousseux de qualité et mettent en place des règles rigoureuses de récolte et d’élaboration qui aboutissent à la reconnaissance de l’appellation d’origine contrôlée « Crémant de Bourgogne », par un décret de 1975, pour des vins blancs ou rosés. A partir de 1984, l’appellation d’origine contrôlée « Bourgogne mousseux » est alors réservée aux seuls vins rouges. »

Ce court texte cache en fait une vraie « guerre des bulles » qui a fait s’affronter depuis le XIXème siècle les représentants des vignerons champenois, tourangeaux, angevins, bourguignons, allemands, californiens, … et qui se poursuit toujours. En témoignent les procédures juridiques récentes en France pour limiter l’appellation « Crémant » [2, 3] ou bloquer le droit à l’indication géographique protégée (IGP) pour des vins effervescents de certaines régions (Provence, Ardèche, pays d’Oc) [4]. Mais aussi la tempête économico-médiatique provoquée à l’été 2021 par V. Poutine sur le « Champagne » russe [5], avant que sa folie hégémonique ne se porte plus dramatiquement sur l’Ukraine…

Médoc mousseux « Méthode Champenoise », dénomination interdite depuis 1970 au profit de « Méthode traditionnelle « , à la demande du comité des vins de Champagne

La notice Wikipédia « Crémant de Bourgogne » [6] nous apprend que dès le début du XIXème siècle, Rully dans la Côte chalonnaise, Tonnerre dans l’Yonne, mais aussi Nuits (plus tard Nuits-St-Georges) en Côte d’Or ont profité de l’engouement croissant pour les vins pétillants pour se lancer dans la fabrication et la commercialisation de vins mousseux. En important ou s’inspirant du savoir-faire champenois à Rully et Chalon sur Saône en 1822 (François Basile Hubert et les frères Petiot) et à Nuits dès 1819 (Joseph-Jules Lausseure). Mais on se doute qu’en commercialisant en 1826 du vin de Bourgogne mousseux  sous le nom de « Fleur de Champagne Qualité Supérieure » [7], le succès commercial serait immédiat, mais les ennuis judiciaires aussi.

Tarif de la Maison Jailloux-Merle, producteur de « Mousseux de Bourgogne » au Château de Rully au début du XXème siècle.

De nos jours, l’appellation contrôlée Bourgogne Mousseux existe toujours [8] mais reste confidentielle. Elle concerne exclusivement les vins mousseux élaborés à partir de raisins rouges (pinot noir et gamay en cépages principaux) auxquels une petite partie d’autres cépages secondaires peuvent être ajoutés, chardonnay, pinot blanc, pinot gris et césar.

Ce goût pour le vin rouge pétillant, maintenu en Italie avec le Lambrusco ou le Brachetto, va peut être revenir à la mode ?

Liens et références :

1. Bourgogne mousseux. Site du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB) .

2.  Pierre du Couëdic. Le Crémant vers une spécificité ou vers une dénomination commune. Rivista di diritto alimentare, 2010, année IV, numero 3

3. Frédérique Jourdaa. L’appellation crémant reste en sa terre. Ouest France, publié le 06/03/2015.

4. Le Figaro Vin. L’attribution du label IGP « Méditerranée » réjouit les producteurs de mousseux du Sud-est. Publié le 07/01/2017.

5. Paul Gogo. La Russie s’approprie l’appellation « champagne ». Le Monde, publié le 05/07/2021.

6. « Crémant de Bourgogne », site Wikipédia.

7. Jean-François Bazin. Le crémant de Bourgogne. Deux siècles d’effervescence. Dunod, 2015 ; 240 p.

8. Par exemple, Bourgogne Mousseux Vitteaut-Alberti ou Veuve Ambal , célèbre maison de Crémants de Bourgogne établie à Rully en 1898 et à Beaune depuis 2005

© Texte posté le 10/09/2022.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Consommez avec modération.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou de captures d’écran (sites ebay France, leboncoin, etc..).

La Valse des étiquettes

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« Drôlatiques, coquines ou romantiques, les étiquettes des bouteilles de vin offrent matière à raconter  une histoire… »                 

P. Vavasseur 

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Ne vous est-il jamais arrivé d’acheter une bouteille chez votre caviste de quartier ou au supermarché, uniquement parce que l’étiquette est amusante, le nom du vin original, en clin d’œil ou jeu de mots ?

J’avoue que cela m’arrive souvent… et je suis rarement déçu. Car l’exercice ne souffre pas la médiocrité. Les vignerons qui se prêtent à ce jeu sont en général dotés d’un souci de la qualité doublé d’un solide sens de l’humour voire de la provocation. Ils nomment de façon originale leurs cuvées un peu spéciales, faites de cépages anciens ou interdits dans l’AOP de leur région. Ou bien leurs vins plaisir, à partager entre amis sans se prendre la tête et sans se ruiner. Ils ciblent aussi une clientèle plus jeune, curieuse, moins préoccupée par les méandres et contraintes des appellations officielles. D’ailleurs, ces vins ont souvent l’appellation la plus simple « vin de France », tandis que d’autres arborent toutes les caractéristiques des exigeantes AOP.

Cela a été une joie de découvrir dans le supplément Week-End du journal Le Parisien du 19 juin 2020 [1] un article intitulé « LA VALSE DES ETIQUETTES » qui traite justement de ces (bons) vins achetés pour leur étiquette.

Son auteur, Pierre VAVASSEUR est journaliste, écrivain, grand reporter au Parisien, amoureux des livres et récent créateur d’un très beau blog, lumineux même, consacré à la littérature [2]

Visiblement épicurien, il a composé un poème à partir des vins qu’il aime offrir à ses amis et qu’il choisit, dit-il, en fonction du « petit nom du jaja ».

Je me suis amusé à retrouver les vins qui composent son ode…. Pour une fois, ce n’est pas une, mais près de 75 étiquettes qui nous racontent une histoire !

Voici le poème et son texte d’introduction, reproduits avec l’autorisation de l’auteur et du Parisien, que nous remercions :

« A chaque fois que je suis invité chez des amis, comme l’autre soir par exemple, j’apporte une bouteille choisie en fonction de l’étiquette. Sauf que ce ne sont ni le cru ni le cépage qui m’attirent, mais le petit nom du jaja. Il en existe des amusants, osés, lyriques… tout un poème, autrement dit. Il fallait bien en écrire un. »

Respiration !…..Parmi les 74 noms relevés, des vins de toute la France ou de l’étranger (2 citations), quelques noms de domaines et non de cuvées (la Chouette du Chai, Haut Marin, domaine de la Prose) et même celui d’une brasserie iséroise (la Marmotte masquée) !

Pierre VAVASSEUR, bourguignon de naissance, a très bon goût. En fait de «jaja», sa sélection ne comporte pas de vins bas de gamme, et si quelques-uns ont un prix modéré (entre 5 et 13 euros), la majorité coute quand même  20 à 50 euros et certains atteignent des petits sommets (60 euros les 37,5 cl pour la cuvée Sul Q, on l’est effectivement…). Presque tous sont des vins bio, voire élaborés en biodynamie. Certains vignerons sont très bien représentés, en particulier le domaine d’Anne et Jean-François Ganevat, vignerons réputés du Jura (14 produits). Les vins dont le nom correspond à plus de 3 domaines (ex: cuvées Les Terrasses, les Anges, Plénitude) n’ont pas été détaillés. 

Outre leur habillage, à découvrir dans le carrousel surmontant le poème, les voici par ordre de citation (à consommer avec modération) :

Liens et références :

1. Les mots de Pierre. La valse des étiquettes. © Le Parisien Week-End, supplément au Parisien N° 23376 du vendredi 19 juin 2020.

2. Des minutes de lumière en plus. Blog littéraire de Pierre Vavasseur  

© Texte posté le 10/05/2021

La Pucelle et la Putain

(Dimension des étiquettes originales :  120 x 70 mm et 120 x 100 mm)

Clos de la Pucelle, clos de la Putin. Ainsi se nomment deux parcelles distantes de quelques kilomètres, l’une à Rully, l’autre à Givry, dans la côte chalonnaise, en Bourgogne.

La pucelle est à l’opposé de la putain, dont putin est une variante. Pourquoi les anciens propriétaires de ces vignes (au moyen âge ?) ont-ils choisi des noms de signification aussi éloignée pour des vignobles d’exception ? Peut-être parce que, contrairement aux apparences, pucelle et putain ne sont pas si différentes….

Le site du domaine de Belleville, également propriétaire dans le 1er cru La Pucelle à Rully [1], nous dit  que « L’origine du nom remonte au Moyen Age. L’histoire raconte que le Seigneur de Rully a partagé ses terres et donna à sa fille la plus jeune, la meilleure de ses parcelles. La Pucelle vient de l’adjectif latin « Pulcella » qui se traduit par ‘ Jolie, belle, charmante’. »

En effet, les dictionnaires de latin indiquent que pulcella est le féminin de pulcellus, qui se traduit par « mignon, charmant, joli ». Les dictionnaires étymologiques ou historiques ne sont pas tous d’accord pour affirmer que pucelle provient de pulcella. Mais ils nous confirment que, si le nom de pucelle a désigné dès l’origine « une femme qui n’a pas connu d’homme », il a également été utilisé pour désigner de façon générale une jeune fille, et celui de « pucelette » une fillette. Selon Anatole France, « Dans le langage familier, une pucelle était une fille d’humble condition, gagnant sa vie à travailler de ses mains, et particulièrement une servante. Aussi nommait-on pucelles les fontaines de plomb dont on se servait dans les cuisines. Le terme était vulgaire sans doute; mais il ne se prenait pas en mauvaise part. » (Anatole France, Vie de Jeanne d’Arc, Calmann-Lévy, 1908).

Le plus célèbre des clos de la Pucelle (ou des Pucelles ou Pucelles) est situé à Puligny-Montrachet, dans la côte de Beaune. C’est une des meilleures parcelles (ou climat) de Puligny, classée en 1er cru, et située tout près des plus grands, Montrachet et Chevalier-Montrachet, et contiguë des deux autres grands crus de la commune, Bâtard-Montrachet et Bienvenue-Bâtard-Montrachet. 

La tradition locale rapporte une histoire très voisine de celle de Rully pour expliquer les noms de ces prestigieux climats : le partage, au moyen âge, des terres du seigneur de Puligny entre ses enfants : le fils aîné ou « chevalier », les filles ou « pucelles » et le « bâtard ». Dans les deux cas, la pucelle serait donc simplement la fille de l’ancien propriétaire.

Mais la putain, alors ?

L’étiquette, ainsi que le site de Michel Sarrazin et fils [2], propriétaires du Clos de la Putin à Givry, nous indique que « L’origine du Clos de la Putin remonte au XVIème siècle. Il doit son nom aux qualificatif donné aux très belles filles de l’époque. ». Surprise !

Putain, parfois orthographié putin (citation de D’Aubigné dans le Littré : « Il fit part de son espouvantement aux assiegeans par un homme hors d’haleine et si estonné qu’à son rapport tout joua à fils de putin le dernier, et chacun quittant ses armes se laissa guider à la peur », Histoire universelle, 1620), est en fait une variante de « pute », comme « nonnain » l’est pour « nonne ».

Pute/putin/putain vient du latin puta qui se traduit par « fille », forme féminine de puer (enfant). Pas de connotation honteuse ou sexuelle, donc, dans cette filiation initiale….

Il semble que l’autre étymologie souvent invoquée pour putain, de l’adjectif put (« sale »), du verbe latin putere (« puer ») ou de putidus (« fétide, puant » et dont viendrait le nom du putois), n’est pas exacte ….

En tout cas, rien de nauséabond, bien au contraire, dans cette belle cuvée de Givry, d’une grande finesse et concentration, un vin équilibré et harmonieux.

Pucelle(s) ou put(a)in, ces cuvées sont « bonnes filles », et procureront à l’amateur ou l’amatrice de vin un immense plaisir !

Dans les livres aussi…

L’opposition de la pucelle et de la putain est un ressort littéraire utilisé dans au moins deux romans. Le premier, La pucelle et la putain d’Ana Planelles [3], raconte dans le Marseille d’après première guerre mondiale l’histoire d’une jeune orpheline recueillie par une vieille prostituée au grand cœur. L’autre,  La pucelle et le démon de Benedict Taffin [4], met en scène Sidoine de Valzan, un officier missionné pour escorter « LA » pucelle, celle d’Orléans, afin qu’elle rejoigne au plus vite le roi de France. Mais Jeanne d’Arc trépasse prématurément et le soldat, qui doit absolument la ramener au Roi, ne trouve comme solution que de remplacer Jehanne par Oriane, une putain de rencontre, qui s’en sort plutôt bien dans son nouveau rôle….

Liens et références :

1. Domaine de Belleville, 71150 Rully. Clos de la Pucelle 1er cru.

2. Domaine de Michel Sarrazin et fils, Charnailles 71640 Jambles

3. Ana Planelles. La pucelle et la putain. © 2007, France Europe Editions. 

4. Benedict Taffin. La pucelle et le démon.  © 2012, ASGARD éditions.

© Texte posté le 30/05/2021, En hommage à Evelyne et Jacques V., grâce à qui j’ai découvert le Givry Clos de la Putin