L’impossible pape noir de Kolby…

Quelle étrange étiquette que celle-ci, cuvée « Le pape noir », Côtes du Rhône 1999 du domaine de Pierredon, mis en bouteilles par la coopérative « les vignerons d’Estezargues » [1].

Etrange car on ne comprend pas bien, au premier regard, le rapport entre l’illustration de l’étiquette et le vin. Le premier réflexe est de lire la contre-étiquette, mais son texte éclaire assez peu le consommateur français non polyglotte. On peut y lire, en V.O. :

« Etikettens motiv, arrangement i sort, hvitt og rødt handler om mulighetene for å nå frem i samfunnet uavhengig av hudfarge. Terje Ross Kolby (1970-) har symbolisert dette ved å male den til nå « umulige » hendelse : en farget pave »

La présence de å et de ø suggère du norvégien, ce que confirme un traducteur en ligne. En français, cela donne : « L’illustration de l’étiquette « arrangement en noir, blanc et rouge », évoque les possibilités de progresser dans la société quelle que soit la couleur de la peau. Terje Ross Kolby (1970-) l’a symbolisé en le décrivant comme un événement « impossible » : un pape de couleur. » (*)

On progresse. L’étiquette est la reproduction d’un tableau (huile sur toile de 140 x 120 cm) peint en 1998 par l’artiste norvégien Terje Ross KOLBY. Cet artiste engagé, né en 1970, est également acteur et écrivain [2].

Sur le site internet de l’artiste, le tableau est ainsi commenté (traduction de l’anglais) [3] :

« Le racisme est un problème structurel dans les sociétés du monde entier depuis que les conquérants européens ont envahi le « Nouveau Monde » d’Afrique et d’Amérique du Sud au XVIe siècle. Les peuples de ces continents ont été victimes de souffrances sans fin de la part de leurs envahisseurs blancs. En 1998, Kolby a voulu aborder ce sujet dérangeant et il a cherché un motif exprimant le racisme. Il a cherché « l’image impensable ». (…)

« Kolby n’a pas trouvé d’autre symbole qui puisse expliquer de manière aussi visuelle la pensée de l’égalité humaine que le portrait du premier pape de couleur de l’histoire moderne. L’artiste considère « Arrangement en noir, blanc et rouge » non seulement comme un tableau traitant de la papauté, mais comme un archétype de toutes les positions où la couleur d’une personne semblerait problématique.

Détail du tableau, partiellement coupé sur la reproduction de l’étiquette [3])

 Sur la lettre que tient ce futur pape, est écrit  » TERTIUM MILLENNIUM ADVENIENS » (L’avènement du 3e millénaire). (…)

La question est de savoir quand le Vatican et les Princes rouges de l’Église catholique seront prêts à élire un dirigeant d’un pays africain ou sud-américain ? Depuis 1998, l’image peinte par Kolby s’est répandue dans le monde entier dans divers médias, gagnant le nom de  » Le pape noir  » (…) ».

Après un rappel sur les évènements encourageants qu’ont été les élections de trois dirigeants noirs, Nelson Mandela à la présidence de l’Afrique du Sud en 1994, Kofi Annan comme secrétaire général de l’ONU en 1997 et Barack Obama à la présidence des Etats Unis d’Amérique en 2008, la notice du tableau se termine par ces mots :

« Le ministère des Affaires étrangères norvégien a exposé le tableau dans plusieurs ambassades en Europe. Pendant deux ans, le pape de Kolby est resté accroché dans l’ambassade norvégienne à Rome, devenant un sujet de discussion parmi les invités diplomatiques. Bien que ce soit le rêve de millions de personnes, l’Église catholique continuera-t-elle à hésiter à élire un pape d’un pays africain ou sud-américain ? Après 1 600 ans, quand viendra le temps d’élire un autre pape noir ? »

On peut effectivement se poser la question, lorsqu’on assiste dans toutes les régions de France métropolitaine à des offices catholiques célébrés par des prêtres venus d’Afrique sub-saharienne. En 2013, pour la première fois, c’est un pape venant d’Amérique du Sud qui a été élu ; décrit initialement comme « ouvert » (mais pas sur tous les sujets), critiqué par les plus conservateurs, mais toujours blanc, argentin d’ascendance piémontaise.

Tout cela n’expliquait pas la raison pour laquelle une cuvée de Côtes du Rhône méridionale a rendu hommage à ce tableau et à l’artiste norvégien. Contacté, l’artiste a indiqué que l’initiative lui a été proposée par des amis importateurs de vins et qu’il a été très heureux d’y participer.

Le choix du vin fait honneur à l’artiste. Le domaine viticole de Pierredon propose deux cuvées, toutes vinifiées en bio, un AOC Côtes du Rhône (vin décrit comme croquant aux tannins soyeux, issu d’un assemblage 60 % Syrah et 40 % Grenache, celui de la cuvée le Pape Noir) et un AOC Côtes du Rhône Villages Signargues. C’est un vin riche et complexe issu de Grenache et Mourvèdre à parts égales (excellent, j’ai goûté le 2009). L’appellation CDR Villages-Signargues est venue récompenser en 2005 un travail qualitatif remarquable. La SCA « Les vignerons d’Estézargues » qui commercialise les vins du domaine, est une petite et attachante coopérative gardoise (30390), soucieuse d’une haute qualité et du respect de la nature depuis sa fondation en 1965 (Label Terra Vitis [4], puis totalité de la production labellisée bio) [1]. Dans un article bien documenté, elle est qualifiée par un négociant importateur des USA ( Vintage59), comme « une coopérative française à part, l’une des meilleures – sinon la meilleure – du pays » [5].

Le domaine du Moulin de Pierredon, propriété familiale, est également un producteur renommé d’huile d’olive, multi primée [6].

Etiquette de 2009 du domaine de Pierredon, Côtes du Rhône Villages Signargues

* Détail amusant, une des traductions automatiques (par « Google traduction® » ) du titre du tableau écrit sans utiliser les caractères spéciaux norvégiens, était : « Arrangement en noir, blanc et désordre », car en Norvégien, rouge s’écrit « rød » ou « rødt » selon la déclinaison, et « rot », sans le O barré, signifie désordre ! Ce jeu de mot involontaire de l’intelligence artificielle était assez pertinent, compte tenu du caractère volontairement provocateur du tableau …

Ross Kolby devant son tableau en 2024 / Ross Kolby in front of his painting in 2024. © Photo Copyright : Ross Kolby.
Reproduit avec la permission de l’artiste / reproduced with permission of the artist

La suite…

Une occasion ratée ? Dessin de LB publié dans le magazine Marianne (numéro 1468 du 30 avril au 6 mai 2025), après la mort du pape François le 21 avril 2025 et avant la réunion en conclave des cardinaux le 7 mai…

© Marianne (dessin de LB)

Liens et références :

1. Site de la coopérative les vignerons d’Estezargues, groupe de vignerons de Signargues. https://www.signargues.com/chateaux-domaines/les-vignerons-destezargues/#

2. Site de l’artiste (Terje) Ross Kolby. https://www.rosskolby.com/

3. Commentaire du tableau « Arrangement en noir, blanc et rouge / Arrangement in black, white and red ». https://www.rosskolby.com/work/arrangement-in-black-white-and-red-the-black-pope

4. Pour des détails des certifications Terra Vitis et bio, voir notre article « Plus bio que bio… » https://histoiresdetiquettes.com/2023/05/25/plus-bio-que-bio/

5. Site du négociant importateur Vintage’59, article consacré au Domaine de Pierredon https://vintage59.com/our-portfolio-2/pierredon-rhone/

6. Site du Moulin de Pierredon.  https://www.moulin-pierredon.com/

© Texte posté le 01/01/2025, modifié le 05/06/2025.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur.

Vin et sang…

Les liens entre le vin et le sang sont multiples, tenant à la couleur, à la symbolique, aux valeurs spirituelles ou sacrées et aux interdits. Des représentations de ces rapports complexes se retrouvent sur les étiquettes de vin, même les plus banales.

La couleur …

 « Ta liqueur rose ô joli vin Semble faite de sang divin

(Gérard de Nerval)

Chez les vertébrés, le sang est de couleur rouge. Il reçoit sa couleur de l’hémoglobine, qui contient du fer auquel l’oxygène se lie. Chez la limule, il est d’un beau bleu dû à la présence d’hémocyanine à base de cuivre !

Le vin rouge, lui, tire sa couleur de pigments violet foncé, les anthocyanes. Comptant plus de 250 variétés, les anthocyanes sont responsables de la majorité des couleurs rouge, bleue et pourpre des fleurs et des fruits. Ils teintent la peau des raisins noirs, se retrouvent par la suite dans les moûts et les vins rouges, puis s’estompent au cours du vieillissement du vin.

Vins rouge sang

Plusieurs vins, souvent originaires du Sud, sont nommés « sang de … » par leurs producteurs. Il s’agit de vins de couleur rubis intense, brillants, ou bien rouge sombre, opaques, tanniques, puissants, issus des cépages grenache, syrah, ou carignan (mazuelo en Espagne). C’est le cas des célèbres « Sangre de Toro » ou « Gran Sangre de Toro » de Penedés en Espagne, du « Bikavér » de la région hongroise de l’Eger (Bikavér signifie « sang de taureau » en Hongrois)..

Dans le bestiaire, on trouve aussi des cuvées « Sang du sanglier » (du Chateau de Fayolles, Bergerac), « sang de corbeau » (Terra Alta en Espagne, détaillé plus loin) et même « Sang de gorille » (un Languedoc, région ou le gorille pullule, c’est bien connu). On trouve aussi un « Sang du Dragon », pinot noir alsacien, né d’une légende locale.

D’autres, à la sobriété presque inquiétante, n’indiquent que « Le Sang » (un Gaillac du Domaine de la Ramaye issu de vieilles vignes de cépages locaux peu connus, le braucol et le prunelard, illustration ci-contre)

Les œnographiles connaissent également les cuvées « Sang du Peuple », popularisées en 1989 lors du bicentenaire de la Révolution française, laquelle en adoptant la guillotine aux dépens du gibet, en a effectivement fait couler beaucoup.

« Le Sang du Peuple » est également le nom de la cave Jamet, installée à Courthézon dans le Vaucluse depuis 1975, et d’une partie de ses cuvées rouges.

Vins rosés de saignée

Les rosés dits « de saignée » sont obtenus par macération du moût avec les peaux des raisins rouges, avant fermentation. Des durées intermédiaires de macération permettent, par soutirage précoce d’un futur vin rouge (la saignée de la cuve), d’obtenir des vins d’une belle teinte soutenue, rose foncé, presque rubis et des vins charpentés, à l’exemple les vins de Tavel. C’est aussi la méthode utilisée pour les fameuses cuvées « œil de perdrix », de Suisse ou d’ailleurs, auxquelles nous avons consacré un article [1]. Les rosés de saignée français sont produits dans les Côtes du Rhône, en Languedoc, dans les pays de Loire, la Champagne. Malgré leur nom, ils n’ont pas de rapport direct avec le sang.

Le sacré…

27 Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour le pardon des péchés. 29 Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai de nouveau avec vous dans le royaume de mon Père

Matthieu 26, versets 26-29.

Depuis la nuit des temps, le sang a été intimement lié aux images de la mort et de la vie tandis que le vin était associé à la vie et à la divinité. Le sang a toujours joué un rôle primordial dans les représentations religieuses des humains. Il est l’élément principal lors des offrandes sacrificielles. Que la victime soit humaine ou animale, son sang répandu et offert aux Dieux est un sang pur et sacré. Pour les Chrétiens, le sang du Christ, immolé comme agneau de Dieu, devient le vin de la communion des fidèles. Dans les religions du Livre, le sang des martyrs est vénéré et réputé miraculeux. La circoncision, l’excision, les scarifications sont des blessures de sang en signe d’alliance, de purification ou de mortification. Les tabous alimentaires liés à la consommation du sang des animaux impliquent des rites d’abattage permettant de vider toute chair de son sang ; ce sang dans lequel, d’après la Bible et le Coran, réside l’âme.

Le vin est la boisson des dieux, de Dieu et parfois est Dieu lui-même. Selon le dogme catholique et orthodoxe de la transsubstantiation, le pain et le vin de l’eucharistie sont intégralement changés en la substance du corps et du sang du Christ. Dans les offices protestants, qui ne reconnaissent pas ce dogme, le pain et le vin restent pourtant présents, comme symboles et valeurs de partage.

Le vin et le pain se sont répandus en même temps que le christianisme. C’est le christianisme qui permet la diffusion de la vigne vers l’Europe du Nord, l’Amérique, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Boire du vin, c’est se rattacher à la Méditerranée, lieu de naissance du Christ. Le vin est longtemps resté la boisson par excellence de la culture de l’Europe occidentale.

Dans la religion catholique, la valeur symbolique du vin, substitut du sang sacré, est tellement forte qu’il n’y a même plus besoin d’en respecter la couleur. En effet, depuis 1478 et l’autorisation du pape Sixte IV, le vin de Messe des catholiques est devenu quasi universellement blanc. Et le plus souvent un blanc doux.

Vins de messe blanc, doux ou sec

Pourquoi (diable !) représenter le sang du Christ par du vin blanc ? La raison avancée est très simple et pragmatique :  les coulures de vin rouge étaient susceptibles de tacher l’habit ecclésiastique immaculé, ce que ne fait pas le vin blanc… Et pourquoi un blanc doux ? Parce qu’il voyage mieux, se conserve mieux, et serait plus agréable à consommer (même modérément) à toute heure. En effet, le risque est une mauvaise conservation du vin de messe, le prêtre n’en utilisant que très peu à chaque célébration. En 1993, de nombreux prêtres italiens se sont vivement plaints de leur vin de messe, produit en masse par une communauté religieuse et qui tournait vinaigre (le vin, pas la communauté). Une commission du Vatican assistée d’œnologues entreprit de goûter tous les vins de messe produits sur les différents continents. Ce fut un passito de Sicile, un muscat très liquoreux (14,5°), qui réunit la majorité des suffrages, essentiellement en raison de son excellente conservation sous tous les climats.

Le dimanche 15 août 2004 à Lourdes, à l’occasion de la messe de l’Assomption présidée par le pape Jean-Paul II, un vigneron de Madiran avait réussi à obtenir que ce soit un vin régional, plutôt que le Bordeaux initialement prévu, qui fasse office de sang du Christ. Mais il n’est pas certain que ce soit le très rouge Madiran qui ait été utilisé, car une alternative a été proposée : « je mettrai à leur disposition du Pacherenc sec et moelleux et deux rouges dont un vieilli en fût de chêne. J’espère que le Pape et tous les hommes d’église l’apprécieront » [2]. En 2023, à Marseille, c’est un vin de France grenache blanc 2021 produit par le bien nommé « domaine de la Bénisson-Dieu » (Côtes Roannaises), qui a été choisi comme vin de messe pour le Pape François. [3, 4]

Pour les orthodoxes, le vin de messe est resté rouge. Et pendant 8 siècles, c’était exclusivement du vin de Cahors. C’est ce que nous raconte cette cuvée de Cahors « Sanguis Christi »,

L’agnus dei représenté sur l’étiquette est un détail de L’Adoration de l’Agneau mystique ou Autel de Gand (Het Lam Gods), polyptyque peint sur bois par les frères Van Eyck, achevé en 1432 et exposé à la cathédrale de Gand

ainsi que le site « le dico du vin » [5] :« Les orthodoxes utilisent traditionnellement comme vin de messe un vin rouge, le Cahors. Depuis le moyen âge, il existait un accord commercial qui prévoyait l’approvisionnement de l’ensemble des églises orthodoxes de Russie en vin de Cahors (encore en usage aujourd’hui avec 1 million de bouteilles pour 18 000 églises russes, importées directement du Lot). En 1917, la révolution bolchevique avait mis un terme à toutes les importations. Les popes durent alors trouver un autre vin de messe. Ils suscitèrent la culture du kagor (une réplique du vin de Cahors) dans la région de Messara, près de Yalta. Vin qu’on trouve aujourd’hui non seulement en Crimée mais aussi en Géorgie et en Moldavie. ».

Les historiens sont plus prudents, faute d’étude approfondie sur les échanges commerciaux en vins entre la France et la Russie impériale ou, antérieurement, l’église orthodoxe [6].

Kagor de Crimée, alors ukrainienne, annexée par la Russie en 2014
Kagor de Moldavie, vin rouge doux pour usage liturgique

Le vin, sang du Christ ?

De la symbolique au mauvais gout, certains n’hésitent pas à franchir le pas, comme en témoigne cette cuvée de Merlot « Jesus Juice » des USA. Ce terme peut paraitre offensant, mais il désignerait en argot le vin de l’eucharistie…

La vie, la mort…

Le vin est médecin, il guérit les corps et les âmes. Jusqu’au XIXème siècle, une ration de vin rouge a fait partie de l’alimentation quotidienne de tout malade hospitalisé. Source de calories, de sucres, de fer, exempt de bactéries, le vin était considéré comme une boisson saine et utile. Louis Pasteur, natif du Jura, le proclamait encore en 1866 [7].

Pendant la guerre de 14-18, le pinard a été l’allié du poilu. A propos de l’étude de Charles Ridel « L’ivresse du soldat » [8], un chroniqueur du magazine l’Histoire souligne le lien métaphorique qui s’est créé entre le vin rouge, devenu le pinard de la victoire, et le sang versé des poilus : « psychotrope censé accroître l’excitation des soldats lors de l’assaut, il (le vin rouge) revêt une fonction alimentaire (apport calorique en hiver), sociale (distribution et partage de l’alcool) et identitaire. Le vin est vu comme une boisson démocratique. Face aux buveurs de bière et de vin blanc que sont les Allemands, le vin rouge, associé métaphoriquement au sang des soldats, est identifié à la France elle-même. » [9].

La cuvée « Sang de Corb », issue des vignes de Terra Alta en Catalogne, fait aussi référence au sang versé lors de la guerre civile espagnole. La notice explique : « Sang de Corb peut vouloir dire « sang de corbeau », mais aussi « sang de Corbera », le village dans la région de Tarragone où se trouve le domaine de Celler Frisach et où le souvenir de tout le sang qui a été versé pendant la guerre civile espagnole est encore très présent. Ce n’est pas pour rien que l’on peut lire sur son étiquette « lo vi fa sang », une expression très catalane qui fait référence à la résilience nécessaire pour surmonter l’adversité et continuer à se battre. »

La symbolique du vin sauveur, substitut de la force vitale du sang, se retrouve dans cette étiquette humoristique, qui illustre l’en-tête de cet article :

Hélas, le puritanisme actuel, qui assimile une consommation modérée de vin à une composante du fléau réel qu’est l’alcoolisme, ne permet plus depuis 2013 qu’une collation accompagnée d’un verre de bon vin local soit donnée aux donneurs de sang après prélèvement. Les ligues régionales de donneurs de sang de Bourgogne (Chagny en Saône et Loire [10]) ou de la région Centre Loire s’en sont émues , en vain. Les faits sont pourtant accablants : tandis que la consommation de vin diminue inexorablement en France, l’alcoolisme aigu continue à faire des ravages parmi les jeunes. A coup d’alcools forts consommés rapidement, en grande quantité, sans aucun plaisir gustatif, juste pour atteindre l’ivresse. Espérons des décideurs un peu plus de modération, à leur tour.

L’interdit…

Six, douze, treize, vint parlera la Dame. Laisné sera par femme corrompu, Dijon, Guyenne gresle, foudre l’entame. L’insatiable de sang & vin repu,

(Nostradamus)

Boire le vin pour ne plus boire le sang humain ? Dans de nombreuses civilisations européennes antiques, africaines, précolombiennes, boire du sang humain était courant. Le sang était parfois mêlé au vin. Hérodote raconte au sujet des Scythes : “Ils concluent des traités de la façon suivante : ils versent le vin dans un grand vase de terre, le mélangent avec du sang des contractants que ceux-ci donnent en se faisant une éraflure avec une alène ou avec un couteau, et trempent ensuite leur épée, leurs flèches, leur hache d’armes et leur javelot dans la coupe. Puis les contractants eux-mêmes, aussi bien que les plus nobles de leur suite, boivent”. [11]

De la transsubstantiation chrétienne à l’anthropophagie et au vampirisme, il y a un (grand) pas que certains esprits ont franchi, rapprochant le mythe des vampires aux racines de l’homme et aux rites chrétiens. Sans les suivre, il nous faut remarquer que le monde chrétien, s’il n’a pas créé le mythe des vampires, a certainement contribué à sa propagation : Ecoutons Voltaire en débattre, dans le chapitre « Vampires » de son dictionnaire philosophique (1765) [12]

« Quoi ! c’est dans notre xviiie siècle qu’il y a eu des vampires! c’est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins; c’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos, qu’on a cru aux vampires, et que le R. P. dom Augustin Calmet, prêtre bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénones, abbaye de cent mille livres de rentes, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’histoire des vampires avec l’approbation de la Sorbonne, signée Marcilli ! (…)

Qui croirait que la mode des vampires nous vint de la Grèce ? Ce n’est pas de la Grèce d’Alexandre, d’Aristote, de Platon, d’Épicure, de Démosthène, mais de la Grèce chrétienne, malheureusement schismatique. Depuis longtemps les chrétiens du rite grec s’imaginent que les corps des chrétiens du rite latin, enterrés en Grèce, ne pourrissent point, parce qu’ils sont excommuniés. (…)  Les Grecs sont persuadés que ces morts sont sorciers ; ils les appellent broucolacas ou vroucolacas, selon qu’ils prononcent la seconde lettre de l’alphabet. Ces morts grecs vont dans les maisons sucer le sang des petits enfants, manger le souper des pères et mères, boire leur vin, et casser tous les meubles. On ne peut les mettre à la raison qu’en les brûlant, quand on les attrape. Mais il faut avoir la précaution de ne les mettre au feu qu’après leur avoir arraché le cœur, que l’on brûle à part. (…) »

Quoi qu’il en soit, il était inévitable que, deux siècles plus tard, le mythe des vampires et l’analogie « boire le vin = boire le sang humain » fussent exploités à des fins purement commerciales par d’astucieux négociants en vins.

C’est ainsi qu’en 1992, à la faveur conjointe de la sortie du film « Dracula » de Francis Ford Coppola et de l’ouverture au monde des vins des ex-pays de l’Est, des bouteilles provenant de la Transylvanie roumaine se sont vendues fort cher dans les boutiques européennes ou nord-américaines sous des habillages accrocheurs tels que ce « Château Dracula » (avec cape de soie rouge autour de la bouteille !), ou cette cuvée « Vampire »  dont la contre étiquette  enfonce le clou (sans jeu de mot..) :

« le vin du Vampire / la légende vit / sucez le sang du vin » !

A consommer avec encore plus de modération, donc …

Vous reprendrez bien un peu de sang de Viking ?

Liens et références :

1. Œil de perdrix, un vrai blanc de rouge ! site Histoires d’étiquettes (wordpress)

2. Guillaume Atchouel. Du vin de madiran pour la messe du Pape. La Dépêche du Midi. Publié le 12/05/2004 https://www.ladepeche.fr/article/2004/05/12/170190-du-vin-de-madiran-pour-la-messe-du-pape.html

3. Béatrice Brasseur. Pourquoi le vin n’est plus en odeur de Sainteté. Les Echos. Publié le 10/12/2023 https://www.lesechos.fr/weekend/gastronomie-vins/pourquoi-le-vin-nest-plus-en-odeur-de-saintete-2040421

4. Site du Domaine de la Bénisson-Dieu. https://domaine-labenissondieu.fr/

5. François Collombet. Vin de messe (ou vin liturgique). Le dico du vin. https://dico-du-vin.com/vin-de-messe-ou-vin-liturgique/

6. François-Xavier Nérard. Du Cahors au kagor. Pistes pour une histoire du vin de Cahors en Russie. Revista Iberoamericana de Viticultura, Agroindustria y Ruralidad (Chile), vol. 3, n° 7, 2016 https://www.redalyc.org/journal/4695/469546448003/html/

7. Le Bras, Stéphane. « “Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons” : anatomie d’une légende (xixe-xxe siècles) ». Faux bruits, rumeurs et fake news, édité par Philippe Bourdin, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2021, https://doi.org/10.4000/books.cths.15460

8. Charles Ridel, L’Ivresse du soldat, Vendémiaire, 2016, 426 p.

9. Le vin et le sang. L’Histoire, n° 433, mars 2017. https://www.lhistoire.fr/livres/le-vin-et-le-sang

10. Emmanuelle Bouland. « Pas de vin avec la collation, pas de collecte ! » Des amicales de dons de sang comme à Chagny sont en colère après la décision d’interdire le « petit coup de vin » durant la collation. Journal de la Saône et Loire, publié le 11/01/2013. https://www.lejsl.com/saone-et-loire/2013/01/11/pas-de-vin-avec-les-oeufs-en-meurette-pas-de-collecte

11. Herodote. Histoire, Livre 4 – Melpomène. https://mediterranees.net/geographie/herodote/melpomene.html

12. Œuvres complètes de Voltaire.  Dictionnaire philosophique, 1765. http://www.voltaire-integral.com/html/20/vampires.htm

© Texte posté le 22/12/2024

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

Charles Spindler et la légende des 3 épis

L’Alsace étant étroitement liée à Sainte Odile, sa patronne, on pourrait croire que cette étiquette de René Neymeyer, propriétaire et négociant à Ingersheim en Alsace, lui rend hommage. En fait, c’est la Sainte Vierge qui est représentée à gauche de l’étiquette, et avec elle la légende alsacienne dite des trois épis.

Selon cette légende, le 3 mai 1491, sur la montagne du Habthal à Ammerschwir, la Sainte Vierge est apparue à un forgeron se rendant au marché voisin [1, 2]. Voilée de blanc, tenant dans sa main droite 3 épis de blé et dans la gauche un grêlon, elle dit au forgeron, prostré :

« Relève-toi, brave homme, et écoute. Vois ces épis. Ils sont le symbole de l’abondance des belles moissons qui viendront récompenser les êtres vertueux, généreux, et apporter le bien-être et le bonheur dans les foyers des fidèles chrétiens. Quant à ce glaçon, il signifie que la grêle, la gelée, l’inondation, la famine et tout son cortège de désolation et de malheurs viendront punir les mécréants dont la gravité des péchés a pu lasser la miséricorde divine. Va, bonhomme, descends dans les villages et annonce à tous les habitants le sens de ces prophéties »

Le forgeron, fortement impressionné, n’en parla à personne, acheta un sac de blé, mais il ne put le lever du sol ni le hisser sur sa mule. Ce n’est qu’après avoir transmis le message divin qu’il put emporter son sac de blé.

Eglise Notre Dame de l’Annonciation, au Trois Epis, édifiée en 1967, inaugurée en 1968

A l’endroit de l’apparition, a été construite une chapelle en bois puis en pierre (inscription de 1493) [3], ainsi qu’un monastère (rédemptoriste). L’église actuelle « Notre Dame de l’Annonciation » a été édifiée en 1967. Rebaptisé « Les trois épis », le lieu-dit de l’apparition est actuellement un hameau touristique [4] partagé entre trois communes du Haut Rhin, Ammerschwihr, Turckheim et Niedermorschwihr.

Les illustrations de cette étiquette sont l’œuvre de Charles Spindler (1865 -1938), célèbre peintre, ébéniste, écrivain, photographe et illustrateur alsacien. La vierge est bien représentée voilée de blanc et tenant les 3 épis, mais on ne voit pas le glaçon. La collerette de l’étiquette complète l’histoire, montrant le forgeron incapable de soulever son sac de blé et la mention de l’année 1490.

D’autres vignerons et maisons de vins d’Alsace ont fait appel à Charles Spindler pour illustrer leurs étiquettes. La bibliothèque Forney à Paris en conserve 3 exemplaires de l’imprimerie Camis (Paris) datant des années 1920 : celle de René Meymeyer, ancêtre de notre étiquette, une crée pour le Clos Sainte Odile du viticulteur Pierre Weissenburger d’Obernai et la dernière pour Victor Christophe, un propriétaire de Barr [5].

Etiquettes illustrée par Charles Spindler, © Bibliothèque Forney, Paris

Dans les années 1900, Emile Boeckel, patron d’une autre grande maison (Vins d’Alsace Boeckel, 67140 Mittelbergheim), avait également commandé à Charles Spindler une étiquette dont le modèle a été utilisé jusqu’au début des années 2010. Le site de la maison en présente un exemplaire datant de 1918 [6] et en voici un exemplaire des années 1980.

La Maison Spindler créée par Charles Spindler existe toujours. C’est une entreprise du patrimoine vivant spécialisée en marqueterie d’art. Elle est dirigée depuis 1975 par Jean-Charles Spindler, le petit-fils du fondateur. Sur le site, à la rubrique « Histoire/amitiés et collaborations artistiques », une publicité de Charles Spindler pour le Clos Sainte Odile (différente de l’étiquette) y est représentée [7].

Illustration publicitaire de Charles Spindler pour le Clos Sainte Odile, Pierre Weissenburger, Obernai. © Maison Spindler

Liens et références :

[1] Notre Dame des trois épis. http://ndtroisepis.fr/notre-dame-des-trois-epis/

[2] https://lalumierededieu.eklablog.com/trois-epis-p32586

[3] Philippe Boutry.  Dévotion et apparition : Le « modèle tridentin » dans les mariophanies en France à l’Époque moderne. Siècles, 2000, N°12, pages 115-131. doi.org/10.4000/11v0h. https://journals.openedition.org/siecles/11828

[4] Chambre d’hôtes « LES IRIS », Trois Epis. https://www.iris68.fr/fr/page/les-trois-epis

[5] Ville de Paris. Bibliothèques patrimoniales. Etiquettes commerciales vin d’Alsace. Bibliothèque Forney, Paris.  https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0001068050/0004/v0001.simple.selectedTab=record

[6] Etiquettes célèbres de la maison de vins d’Alsace Boeckel . https://www.boeckel-alsace.com/etiquettes-celebres-8.html

[7] Site de la maison SPINDLER, marqueterie d’art. https://www.spindler.tm.fr/fr/

https://www.spindler.tm.fr/fr/galerie/la-tradition-spindler/22-mobilier-objets-decoratifs/22-collaborations-artistiques

Pour en savoir plus, à lire également ….

[8] Roland Moser, « Les étiquettes anciennes du vin d’Alsace », Revue d’Alsace [En ligne], 137 | 2011, mis en ligne le 01 septembre 2014, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/alsace/1198  ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.1198

© Texte posté le 06/10/2024

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

Âmes thermosensibles, ne pas s’abstenir…

Banlieue de Londres, il y a plus de 20 ans. Une petite épicerie tenue par un indopakistanais. Au fond, une vitrine réfrigérée vrombissante, des charcuteries et fromages sous plastique, des laitages, des sodas. En bas, quelques bouteilles de vin blanc… et une étiquette qui attire l’œil du collectionneur.

« RUDE BOY Chardonnay », une étiquette affichant un tronc d’éphèbe uniquement habillé d’un mini slip rose, mais alors rose vif…. Je prends la bouteille, lis la contre étiquette : un chardonnay de Cape Town, en Afrique du Sud, avec une étiquette thermosensible ! Rose fluo quand le vin est très frais voire glacé (Chilled), comme dans ce frigo.

Mais alors, que devient l’étiquette à bonne température, puis à température ambiante, une fois la bouteille vidée de son chardonnay ? … Suspense insoutenable !

Aider à servir le vin à bonne température

L’utilisation pour les étiquettes de vin d’encres thermosensibles, ou plus exactement thermochromiques, qui changent de couleur selon la température, est relativement ancienne. Leur première utilité est d’aider le consommateur à servir le vin à la bonne température.

Une des premières est l’étiquette « La Sommelière® » fabriquée dans les années 1990 par la société EURACLI dans la Drôme. La formulation de l’encre était adaptée à chaque vin : la couleur verte indiquait la température idéale de dégustation, la couleur bleue une température trop élevée et la couleur brune une température trop basse. En voici un exemple de démonstration pour un vin rouge, à servir entre 16° et 18° (à gauche) :

Avec le temps, les pastilles thermochromiques de la Sommelière virent apparemment irrémédiablement au noir (contre-étiquette de droite), ma collection d’étiquettes étant conservée à température ambiante et non au frigo.

En Australie, une enquête de 2015 a montré que plus de 80% des consommateurs australiens buvaient leur vin rouge à la température ambiante, donc trop chaud. Ceci a conduit la maison de vin Taylors (Clare Valley, Australie du sud) a proposer aussi un indicateur de température coloré sur ses contre-étiquettes. Un nuancier permet de vérifier, par comparaison, que le vin n’est ni trop chaud ni trop froid. Le test existe aussi sur des bandes autocollantes que l’on peut coller à l’arrière de toute bouteille de vin rouge.

Ce procédé, tout simple et très utile, est toujours d’actualité.

Dans l’univers concurrentiel et haut de gamme du Champagne, les jeunes maisons essaient de se faire remarquer par des noms décalés, un habillage et des codes marketing branchés, parfois aguicheurs.

La marque de Champagne « Les Champagne EPC » (pour épicurien), adepte d’une traçabilité maximale, a adopté la petite pastille sur la contre-étiquette, qui devient bleu pastel lorsque la bouteille est à température idéale, entre 8 et 12°C.

La maison « Infinite Eight », a quant à elle, adopté un code couleur différent (gris/rose/rouge) sur le symbole de l’infini, comme l’explique le cofondateur de cette marque, monsieur Nicolas Le Tixerant :

« Nos vins ont depuis la naissance de notre maison une encre thermoréactive dans le signe de l’infini sur l’étiquette de façade. Elle réagit lorsque la bouteille est à bonne température pour être dégustée (environ 8°C) passant d’une couleur grise au rose puis au rouge« 

La Loire n’est pas en reste. Pastichant le film de Sergio Leone « Le bon, la brute et le truand », les trois « Bandits de Loire » proposent dans une ambiance Far-West trois excellents chenins d’Anjou : « le brut, le doux, le sec » ! Les étiquettes sont munies d’un un petit thermomètre, en bas à droite, qui devient bleu lorsque le vin est à bonne température de service. Sympathique….

La cuvée « Flor de Vetus », vin blanc espagnol de cépage Verdejo et d’AOP Rueda, propose une version plus poétique du même principe. C’est un papillon bleu qui apparait à côté de la fleur sur l’étiquette lorsque que le vin est à la température idéale (création IPE Industria Gráfica S.L., Terrassa, Barcelone)

Thématique papillon également, mais en musique, pour la cuvée 2008 du Champagne « Butterfly Lovers » de la maison Infinite Eight, déjà citée.

Pour la partie thermochromique, c’est l’ensemble du manchon thermocollé habillant la bouteille qui s’orne d’un ruissellement de notes de musique roses, une fois le Champagne prêt à être dégusté (création Franck Leroux, réalisation Distripac, 59490 Somain). Le comble du romantisme (et de la séduction ?) est atteint lorsqu’on active un QR code caché au revers des ailes du papillon accroché au goulot. Ce QR code donne accès à la musique « The Legend of butterfly lovers », interprétée par la violoniste canadienne Yi-Jia Susanne Hou, afin d’accompagner la dégustation qui devient selon ses concepteurs « une expérience multi sensorielle » !

A l’origine, « Butterfly lovers » est un concerto pour violon très célèbre en Chine, composé en 1959 par deux musiciens de Shangai sur la base d’une légende racontant un amour impossible. Il n’est pas précisé si le « The legend fo butterfly lovers » activé par le QR est un hommage au concerto ou bien le concerto lui même. Si c’est l’original, il faut aimer la gamme pentatonique…. Dans tous les cas, il ne fait pas de doute que les 3000 bouteilles de cette cuvée ont du faire un tabac auprès de la clientèle chinoise fortunée.

Les étiquettes thermosensibles à messages

Les propriétés des encres thermochromiques ont également permis de véhiculer des messages, souvent amusants, sur les étiquettes. En 2016 les Vignerons du Brulhois (82340 Donzac) ont présenté pour la Saint-Valentin une édition spéciale de leur vin doux rosé à base de Muscat de Hambourg baptisé « Grain d’Amour ». L’étiquette en forme de cœur dévoilait, uniquement en dessous de 8°, soit 15 minutes dans un seau à glace, un doux message : « Avec toi, je vois la vie en rose ». La cuvée Grain d’amour existe toujours, avec une jolie présentation renouvelée chaque année, mais sans le message thermo-révélé, semble-t-il.

Toujours en février 2016, le Cellier des Princes, première et unique coopérative de Châteauneuf-du-Pape (84350 Courthézon), avait lancé un duo de vins plus légers censés attirer une clientèle plus jeune, branchée, internationale : « La Princesse » et « Le Prince« .

La princesse était un rosé dit « décalé » (?) d’IGP Vaucluse et le Prince un rouge léger d’IGP vin de la Principauté d’Orange. Seule la princesse a eu le droit à une étiquette thermochromique. Lorsque la bouteille était à la température conseillée de 12°C, des dessins et textes apparaissaient : selon le service marketing : « La Princesse sourit, les joues rosissent, le verre se remplit et « tchin-tchin » apparaît, traduit dans sept langues ». Mignon….

Etiquette de « Princesse » à température ambiante (à gauche) et à 12° (en haut à droite)



La plus marrante des étiquettes thermosensibles : la cuvée KANZEBUZEPUSOIF !

La palme de l’inventivité revient, pour moi, à la coopérative de Gignac (34150) dans l’Hérault et à sa cuvée KANZEBUZEPUSOIF (prononcer « quand z’ai bu z’ai pu soif »).

Proposée en mai 2016, déclinée en blanc, rosé, ou rouge, cette cuvée arborait une superbe étiquette thermosensible montrant un Zébu stylisé avec deux lignes d’un court texte : KANZEBUZEPUSOIF. Quand la bouteille était pleine, les mots visibles étaient « ZÉ SOIF », quand la bouteille était à moitié vide, le seul mot apparent était « ZÉBU », et quand elle était vide, à température ambiante, apparaissait la mention évidente « A PU ».  Magistral, non ? On doit cette idée à Chloé Alquier, alors déléguée commerciale à la cave de Gignac, devenue cave Tours et Terroirs après la fusion avec deux autres coopératives locales. La réalisation technique de cette merveille est due à l’imprimerie XXX de Montpellier.

< 10°C
10 à 20°C
25°C et plus

Les étiquettes thermosensibles « suspense »

Revenons à notre étiquette « RUDE BOY ». Lors de son achat, je pensais naïvement que le RUDE BOY signifiait « rude garçon » et que la cuvée ainsi étiquetée en rose vif était destinée à une clientèle plutôt homosexuelle masculine…. D’où ma perplexité de l’avoir dénichée chez un austère pakistanais barbu au regard charbonneux.

En fait, après recherches, la mention RUDE BOY, que l’on peut traduire par « mauvais garçon », vient de l’argot jamaïquain et désignait des jeunes des ghettos de Kinston vivant dans la rue, violents et délinquants. Transposé à l’Angleterre de la fin des années 1970, ce terme désignait les fans des groupes de musique ska, comme Madness ou The Specials, qui reprenaient des morceaux jamaïquains des années 1960. Pas de lien évident avec ce qu’on appellerait plus tard la mouvance LGBT puis LGBTQIA+, etc…

Quelle était l’intention des « winemakers » sud-africains, auteurs de cet étiquetage très particulier ? Et quelle révélation allait procurer cette étiquette, une fois revenue à une température plus « hot » ?

Lorsque la bouteille de chardonnay RUDE BOY fut rapportée en France, sortie du frigo, et vidée, que croyez-vous qu’il apparut sous le joli slip rose ? Eh bien, grosse déception : RIEN. Le malheureux calbute de l’éphèbe était simplement devenu blanc, toujours opaque ! Et, phénomènes étranges, l’éphèbe avait perdu ses cuisses, réduit à un homme-tronc, tandis que la typographie de l’étiquette avait gagné en netteté…

Bien qu’en rouge et encadrée sur la contre étiquette, la mention :

(qu’on peut traduire par « Une fois cette bouteille de vin glacée, Rude Boy révélera tout ! ») était donc une tromperie visuelle. Peut-être parlaient-ils uniquement des qualités du vin….

Parité oblige, il existait aussi une étiquette de « RUDE GIRL », dont l’effet visuel était beaucoup plus réussi, bien que restant assez sage. Elle habillait un vin rouge de cépage Shiraz, et montrait une jeune femme de dos, appuyée sur une luxueuse rambarde face à ce qu’on peut imaginer être la mer. A bonne température, la robe de la dame disparaissait, laissant voir … une petite culotte blanche ! Cette étiquette est consultable de façon dynamique sur le joli site de Peter F. MAY « Unusual Wines. Diversity in Wine » , qui présente des vins inhabituels, soit par leur nature, leur provenance, ou leur étiquetage (et que je remercie ici).

Liens et références :

1. Site de la maison de vins australienne TAYLORS (https://www.taylorswines.com.au/blogs/wine-blog/a-guide-to-the-perfect-wine-temperature?srsltid=AfmBOopwpEJGUzIP_9p8_GESlzq074awgSueVWuCZw4gnOLKjWT7zLFn)

2. Champagne EPC (https://epc-champagne.com)

3. Champagne Infinite Eight (https://www.shop-champagneinfinite8.fr )

4. Les bandits de Loire (https://www.banditsdeloire.fr/)

5. Site de la bodegas Vetus (https://www.bodegasvetus.com/ )

6. Vignerons du Brulhois, cuvée Grain d’amour (https://vigneronsdubrulhois.com/produit/grain-d-amour-vin-rose-75cl/)

7. Cellier des Princes ( https://www.cellierdesprinces.fr/)

8. Thiphaine Comby. La cave coopérative de Gignac présente « le Zébu ». ©Midi Libre, publié le 19/05/2016. https://www.midilibre.fr/2016/05/19/la-cave-cooperative-de-gignac-presente-le-zebu,1334537.php

9. Peter F. MAY site internet/website « Unusual Wines. Diversity in Wine » (https://www.winelabels.org/labels14.htm )

© Texte posté le 11/09/2024

Pour fêter ses 75 ans, la maison CK MONDAVI and family a proposé en 2021 cette série d’étiquettes thermochromiques dont le fond se colore à la bonne température. Pas évident en orange pour le chardonnay, très réussi en turquoise pour le muscat.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

Gino Bartali …

Aujourd’hui, 29/06/2024, c’est le départ depuis Florence en Toscane du tour de France cycliste 2024. Cette première étape rend hommage à Gino Bartali, immense champion cycliste italien des années 1930-50. Né et décédé près de Florence, Bartali a gagné trois tours d’Italie dans les années 1930 et deux tours de France à dix ans d’intervalle, le premier un peu avant-guerre en 1938 et le second un peu après en 1948. Nul doute que sans la guerre de 39-45, il en aurait gagné d’autres.

Cette étiquette est historiquement une des premières de ma collection. C’est une étiquette de Chianti de 1952 rendant hommage à Gino Bartali qui ornait une fiasque paillée, classique à l’époque pour les Chianti. Très jeune collectionneur, je l’avais trouvée dans les années 1970 dans la cave de mon grand-père à Biesles, un des villages de la coutellerie Nogentaise en Haute Marne. J’ignore comment cette bouteille à l’effigie de Bartali était arrivée là, mais il avait conservé cette jolie fiasque pour embouteiller les vins de fruits rouges qu’il produisait (groseilles, fraise, framboise), ce qui explique la mention « liqueur de framboise » écrite de sa main.

Cette étiquette est donc un double souvenir et hommage.

Souvenir et hommage à mon grand-père Victor G, ouvrier coutelier, meilleur ouvrier de France, devenu coutellier-orfèvre dans la prestigieuse maison de son lointain cousin Louis Eloi Pernet [1], qui infatigablement après le travail, allait faire son jardin et produisait ses vins ou liqueurs de fruits dont je garde une certaine nostalgie.

Et puis bien sûr, souvenir et hommage à Gino Bartali, qui n’a pas été qu’un grand champion cycliste. Cette première journée du Tour de France 2024 a été l’occasion de rappeler que Gino a aussi été un opposant au fascisme, un résistant qui, sous couvert d’entrainement, transportait des messages et des faux papiers cachés dans son vélo de course. Au sein de son réseau, il a ainsi permis de sauver plusieurs centaines de Juifs. Le tout, dans une discrétion absolue, car il n’a que rarement évoqué ses actions héroïques, se contentant d’un sobre  «  On fait le bien, mais on n’en parle pas. » [2]

Gino Bartali a été reconnu comme « Juste parmi les nations » en septembre 2013 et son nom figure au mémorial de Yad Vashem.

Un livre « Un vélo contre la barbarie nazie » de l’écrivain italien Alberto Toscano est consacré à cet aspect méconnu de la vie du grand Gino Bartali. Il commence par ces mots « Il y a des moments où le sport fait l’Histoire et il y a des athlètes qui gagnent bien plus que des médailles ». [3]

Tour de Suisse winner 1948: Gino Bartali (Photo by RDB/ullstein bild via Getty Images)

Liens et références :

[1] Eloi Pernet coutelier orfèvre depuis 1920. Site Coutellerie et couteaux. https://www.lecouteau.info/couteliers-marquages/couteliers-fabricants/nogent/

[2] Owen Gourdin pour Ouest-France. « Tour de France 2024. L’héroïsme
discret » de Gino Bartali, à qui la première étape rend hommage ». Article
mis en ligne le 29/06/2024. https://www.ouest-france.fr/tour-de-france/tour-de-france-2024-lheroisme-discret-de-gino-bartali-a-qui-la-premiere-etape-rend-hommage-8ec3744e-3489-11ef-bc20-1002f59f2c2c

[3] Alberto Toscano, Un vélo contre la barbarie nazie – L’incroyable destin du champion Gino Bartali. Editions Dunod, 2019. Disponible entre autres sur : https://www.fnac.com/a13559896/Alberto-Toscano-Un-velo-contre-la-barbarie-nazie-L-incroyable-destin-du-champion-Gino-Bartali

Autre clin d’oeil au Tour de France

© Texte posté le 29/06/2024

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur

Œil de perdrix, un vrai blanc de rouge !

Cette belle étiquette de Champagne « œil de perdrix » de la maison Lecureux et Lefournier, à Avize, date probablement de la seconde moitié du XIXe siècle. Selon le colonel F. Bonal et son encyclopédique « histoire du Champagne » [1], cette maison de négoce champenoise a été créée en 1834.

Œil de Perdrix, une couleur, un vin…

Que signifie « œil de perdrix » ? Absent des 7 premières éditions du dictionnaire de l’académie française (1694 à 1878), ce nom apparait dans la 8ème édition de 1935 pour ne désigner que la variété interdigitale de cor au pied (une tuméfaction rouge au centre noir, évoquant l’œil de la perdrix) !

Dans la 9ème et actuelle édition, « œil de perdrix » peut désigner une variété de figue depuis le XVIIe siècle (Olivier de Serres), un motif de tissage losangique, un point de broderie, l’aspect noueux du bois en menuiserie, ou un motif de céramique… Mais rien en rapport avec un vin ou sa couleur…. Tout au plus, œil de perdrix désigne de façon générale un « Motif de petite taille, évoquant l’œil de la perdrix par la forme, la taille ou la disposition des couleurs »

Les couleurs, on approche… Car pour le vin, œil de perdrix désigne tout d’abord une couleur. Un couleur indéfinissable autrement, tant foisonnent les qualificatifs utilisés par les vignerons pour décrire leurs vins ou cuvées œil de perdrix : « rouge clair transparent », « clairet entre rouge et rosé », « rosé », « rosé pâle », « jaune-orangé pale », « rose saumoné » », saumon soutenu tirant vers le rouge-orangé », « rosé-gris », « ambré », « pelure d’oignon » …

C’est le site « dico du vin » [2] qui en donne la définition actuelle la plus attrayante : « Œil-de-perdrix est cette nuance mythique pour désigner un rosé pas tout à fait rosé, plutôt un gris rosé ou blanc taché à reflets rosés ou encore rosé pelure d’oignon. Les gris se qualifient d’œil de perdrix : voir les rosés d’Auvergne, de Lorraine, de Moselle, de Champagne, de Touraine (Noble-Joué), de l’Orléanais, du vendômois (pour ces derniers, issus du pineau d’Aunis, on parle d’œil de gardon), etc. etc. (…) »

Ainsi, dans la plupart des cas, œil de perdrix qualifie la teinte d’un vin très clair, entre blanc et rosé, obtenu à partir d’un cépage rouge à pulpe blanche, comme le pinot noir, par une macération très courte des peaux ou même par pressurage direct (pinot noir pressé en blanc).

Ce serait à l’origine la couleur que prend le blanc de l’œil de la perdrix (et non son iris) quand elle agonise… Si on n’a jamais vu de perdrix vivante ni fraichement tuée, c’est mon cas, il faut faire confiance aux chasseurs qui ont dû proposer cette délicate analogie

L’Œil de Perdrix de Suisse et de Neuchâtel

Pour les Neuchâtellois, l’Œil-de-perdrix (avec majuscules) n’est pas une couleur, c’est un vin.  LE vin emblématique de Neuchâtel et sa région. Il s’agit d’un rosé issu exclusivement de pinot noir peu cuvé.

L’ancienneté et la qualité des vins rouges de la région de Neuchâtel sont attestées par une lettre adressée par l’homme de lettre (et comte) François d’Escherny (1733-1815) à son ami Jean-Jacques Rousseau : « Les vins de Cortaillod, dans les bonnes années sont aussi bons que les meilleurs vins de Bourgogne ». Patrice Allanfranchini, historien et conservateur du Musée de la Vigne et du Vin du Château de Boudry situé près de Neuchâtel, explique : « Au 18e siècle, cette assertion était tout à fait plausible. Il faut comprendre que pendant des siècles, la vinification en rouge faisait peur, car les cuvaisons trop longues pouvaient engendrer des problèmes de piqure acétique. Les rouges profonds ont commencé à apparaître à la fin du 18e, lorsque les vignerons ont commencé à maîtriser le chapeau flottant. Avant pour avoir du rouge, on rajoutait des raisins teinturiers dans le moût » [3].

La tradition de la production de vins « œil de perdrix » issu de pinot noir semble avoir perduré à Neuchâtel plus qu’ailleurs. Le musée du Château de Boudry [4] possède la plus ancienne étiquette connue d’œil de perdrix de Neuchâtel, portant le millésime 1861.

Etiquette d’Œil de Perdrix de Neuchâtel 1861 de Louis Bovet, propriétaire-encaveur à Areuse (collection du Musée du Château de Boudry, reproduite avec l’aimable autorisation de M Patrice Allanfranchini, conservateur)
Deux étiquettes d’Oeil de Perdrix des cantons du Valais et de Genève

Faute de protection initiale de l’appellation, le terme Œil de perdrix a ensuite pu désigner tout vin suisse issu du même procédé de fabrication, essentiellement pour des AOC des cantons de Genève et du Valais. Selon la réglementation suisse, l’Œil de Perdrix est maintenant un « rosé de Pinot noir suisse peu cuvé »..

La notice francophone de Wikipédia consacrée à l’œil de perdrix de Neuchâtel (consultée en décembre 2023 [5]), s’avance un peu lorsqu’elle dit que « La découverte de cette vinification particulière remonte probablement au milieu du XIXe siècle ». On va voir pourquoi.

Œil de perdrix et vins « clerets » aux XVe et XVIe siècles

Le moyen âge a été une période de grande appétence pour le vin, dans toutes le couches de la société. En plus de leur provenance, et les vins doux et cuits mis à part, on catégorisait les « bons vins » par leur âge et leur couleur. Il avait les vins jeunes, à boire avant le printemps suivant, équivalents de nos primeurs actuels, et les vins vieux, de qualité moindre, qui permettaient de tenir jusqu’à la vendange suivante. Il était interdit de mêler le vin nouveau avec du vin vieux, afin de ne pas le gâter. Les vins de garde n’étaient prisés qu’en Bourgogne et dans la vallée du Rhône.

Pour l’aspect, la couleur, on opposait souvent le vin subtil, aqueux, blanc ou clair, et le vin terrestre et épais. A propos des vins de Guyenne, Charles Estienne, médecin puis imprimeur, écrit en 1564 : « ceux qui sont rouges, ou noir sombre, ou vermeils, nourrissent assez abondamment ; mais parce qu’ils provoquent des obstructions et augmentent les humeurs mélancoliques, ils ne doivent pas être consommés, sauf si on mène une vie de travail et de labeur. Ceux qui sont d’une consistance ténue et subtile, c’est-à-dire blancs, clairets ou fauvelets, sont prisés et très demandés à la table des grands seigneurs, d’autant qu’ils ont un goût fort agréable, qu’ils se digèrent facilement et sont rapidement assimilés »  [6].

Les différences entre vins clairs, clairet ou « cleret » et « œil de perdrix » ne sont pas évidentes à cette période. Le collectif d’historiens auteurs du « voyage aux pays du vin » [7] l’aborde ainsi : « En matière de couleur, c’est la limpidité, la clarté, voire la transparence, qui sont exigés pour le blanc. Le terme de « clarté » est aussi appliqué au Clairet, mais c’est pour mieux le différencier du rouge. On l’apprécie pour unir le blanc et le rouge, sans en avoir les défauts. Pour autant, sa couleur était sans doute plus accusée que celle de nos rosés actuels et pouvait même atteindre un rouge soutenu, la distinction d’avec les vins vermeils reposant sur des questions de saveur ou de parfum. »

L’ambiguïté pour désigner la couleur un vin « œil de perdrix » se retrouve dans l’ouvrage d’Olivier de Serres  « Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs » publié en 1600. La couleur « œil de perdrix » est citée comme l’une des « deux couleurs les plus remarquables des vins clerets » mais se voit attribuer une nuance « rubi-oriétal », qui l’oppose à la teinte « hyacinte tendante à l’orenge » des autres clerets (voir l’extrait ci-dessous, début du 2ème chapitre). Pas simple de s’y retrouver …

Le Théâtre d’agriculture… d’Oliver de Serres (1600). Extrait

Le même ouvrage détaille les durées de cuvaisons nécessaires à l’obtention des vin clerets, ou de couleur plus soutenue : « Il y a des vins clerets et quelquefois des plus exquis, qui en moins de vingt-quatre heures de sejour dans la cuve atteignent le poinct qu’on desire : pour parvenir laquelle couleur, d’autres y employent huict ou dix jours. Même s’en trouve de si tardifs, que jamais ne peuvent venir rouges ni couverts, quoy qu’on les tienne un mois dans la cuve. Mais pour ne se décevoir, il est nécessaire de tirer souvent du vin de la cuve par la guille ou espine, pour en tâtant d’heure à autre prendre avis du terme de le viner. » Malheureusement, la durée de cuvaison des vins œil de perdrix n’est pas écrite. Elle devait dépendre du cépage.

Œil de perdrix en Bourgogne

Longtemps limitée aux vins d’Auxerre (et de Chablis) majoritairement blancs, l’appellation « vin de Bourgogne » n’a été étendue au « païs de Beaunois » qu’en 1416 par une ordonnance de Charles VI. Il est connu que certains vins rouges de la côte de Beaune, à Comblanchien, Volnay, Pommard, ont été produit en « œil de perdrix » dès le début du XVIIIe siècle, peut-être même avant. Mais à cette période, cette production répondait à un mode de vinification très différent, avec mélange de cépages pinot noir et blanc.

Dans son « Histoire et statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or » [8], Le Dr MJ Lavalle s’interroge en 1855 sur l’évolution de la vinification des vins rouges de la côte de Nuits : « (…) si la vinification n’a pas varié dans ses points fondamentaux, il n’en a pas été de même dans les détails. Suivant le goût de chacun et surtout le goût du siècle, la fabrication a varié. On se ferait une bien fausse idée si on croyait qu’on a toujours recherché dans nos vins de Bourgogne des qualités absolument identiques à celles que nous apprécions maintenant. Aujourd’hui, on arrache partout le pinot blanc et le pinot gris, et on ne conserve dans presque tous les premiers crus que le franc pinot. On obtient ainsi des vins plus colorés et plus fermes ; mais n’est-ce pas aux dépens de la finesse et du bouquet, et peut-être de la conservation ? »

A l’appui, Lavalle cite un auteur bourguignon méconnu, Pigerolle de Montjeu, qui fait remonter l’œil de perdrix bourguignon au début du XVIIIe siècle : « Il y a un siècle et demi à peine, les vins de Pommard et de Volnay ne devaient avoir qu’une teinte très-légère, qu’on nommait : œil de perdrix. A cet effet, il y avait dans toutes les vignes une partie plantée en pinots blancs, et on mettait alternativement sur la met du pressoir un lit de paille et un lit de raisin, dans la crainte que le vin ne fût encore trop rouge. »

Œil de perdrix en Champagne

Quelques étiquettes nous prouvent que la tradition des cuvées œil de perdrix est au moins aussi ancienne en Champagne qu’à Neuchâtel, et qu’elle persiste également de nos jours, bien que confidentielle. L’ancienneté, antérieure à 1850, est attestée par cette étiquette d’œil de perdrix 1834 de la maison Renaudin Bollinger à Aÿ (actuelle maison de Champagne Bollinger).

La plus ancienne étiquette d’œil de perdrix ?

Actuellement, selon les vignerons, les cuvées « œil de perdrix » de Champagne peuvent être produites par pressurage direct de pinot noir (les rosés de presse), par macération courte comme l’œil de perdrix de Neuchâtel (ce sont les rosés dits de saignée), mais aussi par mélange de cépages, pratique autorisée uniquement en Champagne pour l’élaboration de vins rosés d’appellation d’origine contrôlée ou protégée.

Les premiers sont les Champagne « blancs de noir ». Sans être nommées « œil de perdrix », certaines cuvées de Champagne blanc de noir notent une teinte ambrée, par simple coloration du moût lors du pressurage. Ceci peut être renforcé lorsque les pinots noir sont surmaturés. C’est le cas des cuvées Œil de Perdrix des maisons de Champagne Jean Vesselle à Bouzy ou Devaux, à Bar sur Seine, dans l’Aube, comme l’explique la contre-étiquette.

Deux producteurs (Doyard à Vertus et Joel Michel à Brasles dans l’Aisne) décrivent un peu différemment le même principe, dans leur notice commune : « Cette cuvée tire ses origines et son nom des temps anciens. L’impossibilité de décolorer artificiellement les jus des raisins noirs engendrait l’élaboration d’un Champagne à la robe entachée d’un « Œil ». Celui-ci désignait un Champagne légèrement teinté de rose, tel un Œil de Perdrix ». Il s’agit dans tous les cas de rosés de pressée.

Plus rarement, le Champagne œil de perdrix provient d’un mélange de cépages. C’est le cas de la cuvée œil de perdrix de la maison Dehours, à Cerseuil dans la vallée de la Marne, qui est « élaborée en assemblant Pinot Meunier (83%) et Chardonnay (17%). Un mariage qui donne une belle couleur Œil de Perdrix. »

On remarque que la maison Joel Michel utilise pour sa cuvée œil de perdrix une reproduction à l’identique de l’ancienne étiquette de Lecureux et Lefournier.

Une réussite !

L’œil de perdrix de Lecureux et Lefournier, un vrai « blanc de rouge » !

Revenons à notre étiquette initiale. C’est donc en 1834 qu’Augustin Jean-Baptiste Lecureux, né en 1812 au Luxembourg, a créé à 22 ans sa maison de négoce Lecureux et Cie à Avize [1]. Il s’est ensuite orienté vers l’action publique et la politique, a été nommé commissaire du gouvernement, puis préfet de la Marne lors de la deuxième République. Son mandat a été court, du 1er mars au 30 novembre 1848. Candidat aux élections législatives de 1849 dans la Marne à la tête d’une liste républicaine et socialiste, il ne fut pas élu. Rejoignant les nombreux exilés français ou européens de cette période post révolutionnaire, obscurs ou célèbres comme Louis Blanc, A. Ledru Rollin, Eugène Sue, Victor Hugo, Victor Schoelcher, Karl Marx…, Lecureux fut proscrit le 2 décembre 1849 et se réfugia en Belgique, où il est mort en 1855 à 42 ans.

Ernest Lefournier était son gendre. Resté proche des milieux révolutionnaires, « il demeurait à Avize et plaçait du vin de Champagne en faisant de la propagande républicaine et socialiste » selon le site Maitron [9]. La maison Lecureux et Lefournier existait encore sous ce nom jusqu’aux années 1870, on la trouve citée dans le Catalogue général de l’exposition Universelle de 1867 à Paris. La maison Lefournier Jeune lui a succédé dans les années 1890.

Par sa méthode de vinification et l’orientation politique de ses créateurs, on peut donc conclure que le joli Champagne rosé très clair, dont notre étiquette garde la trace, méritait doublement son origine de « blanc de rouge » !

Une autre magnifique étiquette du XIXe siècle de Champagne Œil de Perdrix de la maison Bouché Fils et C° à Mareuil sur Aÿ (Collection du Musée du Château de Boudry, transmise par M Patrice Allanfranchini, conservateur du musée, et reproduite avec son aimable autorisation )

Liens et références :

1. Colonel François Bonal. Histoire du Champagne. Site de l’Union des Maisons de Champagne (https://maisons-champagne.com/fr/encyclopedies/histoire-du-champagne/premiere-partie-histoire-du-champagne/chapitre-4-le-xixe-siecle/article/les-negociants)

2. François Collombet. Oeil de perdrix (vin rosé ou gris). Dico du vin. https://dico-du-vin.com/oeil-de-perdrix-vin-rose-ou-gris/

3. Œil-de-Perdrix: l’ambassadeur de Neuchâtel . Article paru dans le dossier Oeil-de-Perdrix du hors-série Neuchâtel 2017 , consultable en ligne sur le site Romand du vin. (http://www.romanduvin.ch/oeil-de-perdrix-lambassadeur-de-neuchatel/)

4. Musée de la vigne et du vin, Château de Boudry, ambassade du vignoble neuchâtellois. https://chateaudeboudry.ch/le-musee/publications-et-graphiques/publications/

5. Site Wikipedia en Français « Oeil de perdrix, vin suisse » (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C5%92il-de-perdrix)

6. Charles Estienne et Jean Liebault. Agriculture et maison rustique (1594). Cité dans [7]

7. Collectif, sous la direction de Françoise Argod- Dutard, Pascal Charvet et Sandrine Lavaud. Voyage au pays du vin. Histoire, anthologie, dictionnaire. Laffont, coll. Bouquins, Paris 2007.

8. Docteur MJ Lavalle. Histoire et statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or. 1885. Réédition par les Edition ECHE, 1982. Disponible aussi sur le site https://ia904709.us.archive.org/17/items/histoireetstat00unse/histoireetstat00unse.pdf

9. Le Maitron. Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier, mouvement social. Notice Lefournier Ernest, dit Lefournier fils. https://maitron.fr/spip.php?article33688

© Texte posté le 01/01/2024, mis à jour le 08/01/2024

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur, du musée du Château de Boudry (Neuchâtel) ou des sites internet consultés.

Vin de bienfaisance …

Contrairement à ce que pourrait faire penser cette étiquette de vin de Beaune de la première moitié du XXème siècle, Allerey (Allerey-sur-Saône depuis 1974), commune de Côte d’Or située à moins de 20 km de Beaune, n’a pas de vigne sur son territoire.

L’histoire d’Allerey est cependant étroitement liée au commerce du vin de Beaune. Au hameau de Chauvort, qu’elle englobe, était situé un port fluvial important qui a constitué jusqu’au XVIIIème siècle le port du pays beaunois et de ses vins. 

Cette activité a fait la fortune de familles de négociants et transporteurs fluviaux, parmi lesquelles les familles Lebault et Leblanc. A son décès en 1868, Pierre Frédéric Leblanc, notable local, a légué tous ses biens  au « bureau des pauvres » de la commune d’Allerey, les destinant au « secours pour l’Indigent, et l’Ecole pour l’Enfant » . Parmi les biens légués, 68 hectares de terres à Allerey et un domaine viticole d’environ 5 hectares en 1er cru à Beaune et Savigny les Beaune ! [1]

Les bureaux de bienfaisance

Le terme utilisé par le donateur « bureau des pauvres » est le témoin d’une période de transition entre les organisations, religieuses puis laïques, d’aide aux pauvres qui se sont succédées dans de nombreuses communes ou paroisses de France. Faisant suite aux bureaux de charité institués dès le XVIe siècle puis développés par Turgot et Necker au XVIIIe siècle, les bureaux de bienfaisance ont été créés sous le directoire par la  loi du 7 frimaire an V (27 novembre 1796), avec pour mission de secourir les indigents et nécessiteux qui ne pouvaient ni bénéficier d’une loi d’assistance obligatoire ni être admis dans les hospices.

Comme l’explique l’historien Jean-Claude Thierry [2]: « De façon générale, jusqu’à la révolution, l’Eglise catholique prenait en charge l’action en faveur des plus démunis, par l’intermédiaire du clergé et des ordres religieux. Même dans les campagnes les plus reculées on trouve encore trace des «comptes de la charité». A la Révolution, sous l’influence des philosophes des lumières, apparaît l’idée selon laquelle l’assistance est un devoir de l’Etat et un droit pour le citoyen. En 1796, le gouvernement du Directoire crée les premiers établissements publics de secours : « les bureaux de bienfaisance » ; ce sont des services communaux placés sous l’autorité préfectorale. Au départ, la portée de cette loi reste limitée. La création des bureaux est facultative et quand ils existent, ils cohabitent souvent avec la charité privée. »

Dans son essai sur les mendiants et vagabonds en Bretagne au XIXème siècle [3], Guy Haudebourg précise un des objectifs de la loi : « Les secours à domicile sont nettement préférés aux secours hospitaliers. Afin de maintenir les indigents le plus possible chez eux, sous la Révolution française, ont été créés les bureaux de bienfaisance, bureaux qui remplacent les anciennes associations de charité de l’Ancien Régime. Ils fournissent des secours à domicile aux indigents (loi du 7 frimaire an V – 27 novembre 1796) mais n’ont pas le droit d’entretenir des pauvres dans les hospices selon l’avis du conseil d’État du 14 octobre 1833. De nombreux décrets, lois, ordonnances rappellent au cours du XIXe siècle qu’il doit être établi un bureau de bienfaisance dans chaque commune mais ils ne sont pas appliqués avec la même célérité par toutes les communes de France. »

Allerey en 1909

Le bureau de bienfaisance d’Alleray, héritier de la confrérie des pauvres… et ancêtre du CCAS

A Allerey, il existait depuis le début du XVIIIème siècle une confrérie des pauvres, dont le nom exact était « confrérie du Saint Esprit érigée en faveur des pauvres de l’église d’Allerey ». Le legs de Pierre Frédéric Leblanc atteste qu’un bureau de bienfaisance existait en 1868. L’affectation des fonds a été conforme aux volontés du défunt et à la mission du bureau de bienfaisance : « le bureau de bienfaisance construisit une école religieuse tenue par les frères des Écoles Chrétiennes, l’institut Leblanc, transformée plus tard en garderie-cantine puis en logements sociaux » [1]. On remarque que le don au bureau de bienfaisance, structure d’inspiration laïque, a gardé pour le légataire un « fléchage » totalement religieux. Mais la révolution, le directoire étaient loin, la France après un 1er empire, une restauration, une 2ème  république, vivait un second empire.

Plus tard, les « bureaux d’assistance » ont été mis en place par la circulaire du 19 janvier 1903 dans les communes dépourvues de bureau de bienfaisance. Nos actuels centres communaux d’action sociale (CCAS) en sont les héritiers. A Allerey, le legs a été géré par le bureau de bienfaisance, puis le bureau d’aide sociale et le CCAS de la commune. En 2014, à la faveur des regroupements en communautés de communes ou d’agglomérations, Allerey-sur-Saône a rejoint le « Grand Chalon » qui a pris la compétence de CCAS. Depuis, le legs a une ligne de trésorerie dédiée dans le budget communal.

Les vins du  Legs Leblanc

L’exploitation du domaine viticole d’Allerey, situé à Beaune et Savigny les Beaune, a été confiée à plusieurs vignerons successifs : Chanoine (années 1950-60), Raymond Milliard  (1970-1990) [4], Gossot (1990-2014).

Depuis 2014, l’exploitation est assurée par Philippe Germain, exploitant du Domaine Germain avec son épouse Isabelle et son neveu Maxime Champaud [5]

Jusqu’en 1983, les vins issus du legs Leblanc ont été vendus aux enchères au profit de la commune, et ces ventes étaient annoncées puis commentées dans la presse locale, comme en témoignent ces deux articles du Bien Public de 1977 et 1979 transmis par M Pierre Rageot, actuel maire d’Allerey-sur-Saône, que nous remercions.

Les étiquetages mentionnaient le nom du négociant acheteur/éleveur, comme c’est le cas actuellement pour les vins des Hospices de Beaune (ci-dessous, étiquetage pour la maison A. Bichot datant des années 1970).

Comme le notent les articles, la vente se déroulait à Beaune, 4 rue Rousseau-Deslandes, dans l’ancienne cuverie du domaine de la commune. C’est la façade de cette belle maison, munie d’une tourelle, qui est représentée sur la partie gauche de l’étiquette ancienne. La maison a depuis été vendue.

La tourelle de l’ancien chai de la commune d’Allerey, rue Rousseau-Deslandes à Beaune

 Aujourd’hui, les vins sont vendus directement par l’exploitant avec un étiquetage au nom du CCAS de la commune. Le projet de nouvelle étiquette de 2023, au design plus moderne, a supprimé la mention du bureau de bienfaisance, mais indiquera toujours : « vin issu du vignoble légué à la commune d’Allerey sur Saône par Monsieur Frédéric Leblanc ».

Respectueux des conditions du legs de Frédéric Leblanc, les bénéfice de la vente des vins d’Allerey-sur Saône continuent à financer les activités scolaires et du CCAS de la commune, par exemple la rénovation de logements à loyer modéré, les écoles  maternelle et primaire et leurs cantines, une garderie, un centre d’accueil de vacances [1] .

Remerciements : nous remercions monsieur Pierre Rageot, maire d’Allerey sur Saône, pour les renseignements et les documents d’archives qu’il a bien voulu nous transmettre.

Liens et références :

[1] Site de la commune d’Allerey sur Saône : https://www.allerey-sur-saone.fr/legs-frederic-leblanc

[2] Jean-Claude Thierry. Bureau de Bienfaisance de Chauny. Publication sur le site du centre de recherche et d’étude de la boulangerie et de ses compagnonnages. https://levainbio.com/cb/crebesc/bureau-de-bienfaisance-de-chauny/

[3] Guy Haudebourg. Mendiants et vagabonds en Bretagne au XIXe siècle.   Presses Universitaires de Rennes, 1998. https://books.openedition.org/pur/17741?lang=fr

[4] Notice nécrologique de Raymond Milliard. Le bien Public, 24/02/2014. https://www.bienpublic.com/edition-de-beaune/2014/02/24/raymond-milliard

[5] Domaine Philippe Germain. https://www.philippegermain.com/

[6] Les irréductibles vignerons du grand Chalon. Kaleidoscope.fr., publié le 15 octobre 2016. http://kaleidoscope.fr/2016/10/15/les-irreductibles-vignerons-du-grand-chalon/ (site redirigé, article consulté en 2022, non accessible en ligne en aout 2023)

© Texte posté le 31/08/2023.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des scanns d’étiquettes transmis par la mairie d’Allerey sur Saône.

Plus bio que bio …

Les vins bio ont la cote. Une enquête Milésime Bio/IPSOS de 2021 [1] indiquait une progression de plus de 50% de la consommation de vins bio en 6 ans. Plus de la moitié des français (54%) déclaraient consommer du vin bio, surtout les citadins, les jeunes, de catégories socioprofessionnelles élevées. En France, les surfaces de vignes  cultivées en bio ont augmenté de 22% entre 2020 et 2019 et représentaient 17% du vignoble en 2020.

Cet engouement s’est traduit par l’arrivée de nombreux étiquetages « nature », avec d’inhabituelles lettres  de couleur verte sur l’étiquette, des coccinelles, des papillons … (Etiquette 1 , ci-contre)

et d’un nombre croissant de labels, logos, acronymes dans lesquels on se perd toujours un peu : AB, feuille étoilée européenne, Ecocert, HVE, Terra Vitis, Biodynamie, Demeter, Biodvvin, etc…

Etiquette 1 : vin bio de la coopérative des vignerons de l’ile de Ré. Nom de cuvée en référence aux espèces de papillons « azuré »

Schématiquement en termes d’exigences bio (c’est-à-dire pas d’utilisation de produits de synthèse pour les sols, les vignes et le vin), on a du moins au plus : les domaines à haute valeur environnementale (HVE, qui ne sont pas bio), les vins issus de vignes en conversion vers l’agriculture biologique (CAB, Etiquette 2), puis les vins bio.

Etiquette 2. Un exemple assez rare d’étiquetage mentionnant la conversion vers l’agriculture biologique.

La règlementation de 2010 a supprimé les « vins issus de raisins cultivés en agriculture biologique » et les a remplacés par des « vins biologiques » qui doivent obligatoirement, pour mériter cette mention, suivre à la fois le règlement relatif à la culture du raisin et celui relatif à la vinification (Label européen, label AB en France).

Au-delà du bio, des contraintes éthiques, philosophiques, ésotériques

Mais cela ne suffit pas ! Précédés ou lancés par la vague bio, certains producteurs ont voulu aller plus loin et ont ajouté aux critères « bio » d’autres exigences ou contraintes éthiques, philosophiques, voire ésotériques….

C’était déjà le cas de la de la biodynamie, dont les fondements sont anciens (R. Steiner 1861-1925) et reposent sur des théories ésotériques qui font plutôt sourire… ou pas, d’ailleurs ! [2]. Mais qui ont depuis le début respecté une charte de vins bio, bien avant la mode actuelle et les labels officiels. Même si on est sceptique sur le bien-fondé des théories de l’inventeur, on en accepte volontiers le résultat : les vins biodynamiques sont garantis 100% bio et en général excellents, produits par des passionnés respectueux de la qualité et de la nature (Étiquette 3).

Etiquette 3. Larmandier Bernier est une maison familiale de Vertus qui élabore des Champagnes raffinés, délicats et expressifs, en biodynamie depuis plus de 20 ans, ce qui est  rare en Champagne [3].

C’est également le cas du label Terra Vitis (Étiquette 4), créé en 1998, qui engage les vignerons adhérents à respecter l’environnement, le sol, la vigne mais aussi les hommes qui la travaillent, sans toutefois répondre totalement aux critères bio [4].

Etiquette 4. Un domaine bourguignon labellisé Terra Vitis et HVE, mais pas (encore ?) bio

Les vins « naturels »

Élaborés sans levures, collage, filtration et sans soufre ajouté (dioxyde de soufre ou SO²), ils relèvent aussi d’un concept philosophique du retour à un produit totalement naturel, exempt de chimie. Les normes bio tolèrent l’adjonction de soufre (SO²) à la dose maximale réduite de moitié par rapport aux normes européennes (label AB). Se passer de soufre, aux propriétés antibactériennes et anti-oxydantes, peut compromettre la stabilité du vin et produire sans soufre est toujours un pari risqué pour le vigneron. Les courageux qui élaborent des cuvées sans soufre adoptent souvent un étiquetage engagé, combattant, voire rebelle (Étiquettes 5). Les vins dits « naturels » ou sans soufre sont en général tous bio.

Etiquettes 5. Résistants, combattants, contestataires, rasta ? Etiquetage de vins naturels sans sulfites…

Les vins « vegan »

Certaines considérations éthiques ont fait apparaître des vins labellisés véganes ou vegan!  (Étiquettes 6). J’avoue qu’au début je ne voyais pas où était la part animale (encore moins sa souffrance) dans la production de vin… Peut-être était-ce le labour à cheval ? Quelques  domaines d’élite y sont revenus. Souvent en bio, comme une des première coopératives bio de France, les vignerons de Correns (Var) pour leur merveilleuse cuvée « l’Or des Fées »… Ou en biodynamie, à l’exemple de Nicolas Jolly pour la Coulée de Serrant qu’il justifie par les pentes abruptes de ses vignes surplombant la Loire. Non,  ce qui fait un vin vegan, c’est qu’il n’est pas collé au blanc d’œuf ni à la colle de poisson, à supposer que cette dernière technique soit encore utilisée…. On frise le ridicule, mais admettons… si le vin est bon !

Etiquettes 6 : Deux étiquettes de Mâcon-Villages  et Mâcon-Chardonnay vegan.

Vin durable, bilan carbone

Quel rapport me direz-vous entre le vin et le bilan carbone ? Aucun a priori… Eh bien détrompez-vous. Même si le vin est bio, biodynamique, Terra Vitis ou autre, sa production peut avoir un bilan carbone peu favorable à la durabilité de notre planète.

L’explication, un peu alambiquée, se trouve dans les sites dédiés [5]. J’ai cru comprendre, par exemple, que labourer les parcelles mobilisait du dioxyde de carbone (CO2) stocké dans la terre et participait lentement mais durablement au réchauffement climatique, qui est lui-même à risque pour nos merveilleux cépages de climat tempéré. Pour d’autres, il s’agirait d’un affichage abusif : « être neutre en carbone à l’échelle d’un produit alimentaire ne veut strictement rien dire. Un pays peut l’être, en compensant ses émissions résiduelles par des puits de carbone, mais pas un produit » [6]. Quoi qu’il en soit, des domaines pas nécessairement bio affichent leur neutralité carbone, en voici un exemple (Étiquette 7).

Etiquette 7 : Domaine Montrose, IGP Côtes de Thongue, pas bio mais carbone neutre !

Plus bio que bio : l’emballage éco-responsable

Mais cela ne suffit toujours pas ! Si le vin est exemplaire pour respecter la nature, la planète et sa durabilité, l’emballage doit aussi devenir écolo, ou plus exactement éco-responsable. C’est ainsi qu’on voit apparaître des étiquettes ou contre-étiquettes amusantes.

Comme celle de ce Chinon Pierre Chanau (verlan d’ « Auchan », dont c’est une marque !). La contre étiquette de ce vin labellisé HVE est un véritable rébus, que j’ai compris comme « tout de cette bouteille vide doit se recycler, le bouchon et la coiffe en plastique/alu doivent aller dans le bac de recyclage, la bouteille vide dans le container à verre » ! (Étiquette 8).

Etiquette 8 : Le rébus « recyclage » sur la contre étiquette du Chinon HVE de marque Auchan

Ou mieux comme cette série de (très bons) vins de marque Monoprix d’AOP variées en rouge, rosé, ou blanc (Bergerac blanc sec reproduite en en-tête de cet article et à nouveau ici, Étiquette 9), qui se revendiquent « éco-conçus » avec un nouveau label dédié.

Etiquette 9. Monoprix, le bon élève : des vins éco-conçus qui cochent toutes les cases du politiquement-vert-correct !

Eco-conçu signifie, outre un contenu bio bien sûr, une bouteille allégée en verre, un bouchon recyclable issu de forêts de chênes- lièges durables, une étiquette en fibre de canne à sucre, une colle sans solvant et sans vernis. Seules les encres non polluantes sans solvants toxiques n’ont pas été mentionnées, un oubli sans doute…

Comme l’ironisait en 1980 un grand penseur et poète du pinard obligatoire [7] : « Jusqu’où s’arrêteront-ils » ?!

© dessin Boursier

Liens et références :

1. Observatoire européen de la consommation de bin biologique. Evolution de la consommation de vin bio en Europe. Enquête Millésime Bio/IPSOS, octobre 2021. https://www.millesime-bio.com/app/millesime/files-module/local/documents/Sudvinbio_DP%20Etude%202021%20FINAL.pdf

2. Marine Jeannin. La biodynamie : respect de la terre ou dérive sectaire ? Géo environnement, publié le 14/04/2022. https://www.geo.fr/environnement/biodynamie-definition-principes-et-domaines-dapplication-193785

3. Site du Champagne Larmandier Bernier

4. Site de l’association TERRA VITIS. https://www.terravitis.com/notre-certification/

5. Site « Les vins durables ». https://www.vinsdurables.fr/quel-vin-en-2050-sur-la-route-de-la-neutralite-carbone /

6. Mathieu Saujot, de l’Institut du développement durable et des relations internationales, cité dans l’article de Géraldine Meignan : Les fausses promesses des aliments « neutres en carbone », Marianne, N° 1367, 25-31/05/2023.

7. Coluche. La revue de presse. 1980. Dessin de Sylvain Boursier, reproduit avec son aimable autorisation : http://www.dessinboursier.com/

© Texte posté le 25/05/2023.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur.

Une perle nordique …

Cette étiquette « Perle de Lovisa », de Champagne Théophile Roederer et Cie, n’a pas de lien avec la marque australienne de bijouterie fantaisie et de piercing du même nom, bien qu’elle aussi propose des perles [1]. La marque de bijouterie a été créée en 2010 et notre étiquette, une chromolithographie glacée ou « paraffinée », est typique de la fin du XIXème siècle.

Le nom de « Lovisa » et les 3 drapeaux en bas de l’étiquette orientent vers la Scandinavie.

Lovisa, c’est Louise en Suédois. Le haut de l’étiquette arbore une couronne royale. L’étiquette est un hommage à Louise de Suède (1851-1926), fille du roi de Suède. Et très probablement à son mariage en 1869 avec le futur roi du Danemark.

Louise est née à Stockholm en 1851, à une période où les royaumes de Suède et de Norvège étaient unis [2]. C’est ce que traduisent les modèles particuliers des drapeaux norvégien en bas à gauche et suédois en bas à droite de l’étiquette, qui comportent tous les deux dans leur quadrant supérieur gauche, vers la hampe, un autre petit drapeau, carré pour la Norvège, rectangulaire pour la Suède (soyons précis !). Celui-là :

Cette « marque »  commune avait pour but de symboliser l’égalité des deux royaumes unis. Elle servait d’ailleurs de pavillon aux navires de commerce et de drapeau commun aux représentations diplomatiques des deux pays [3].

Drapeaux civils et militaires de la Suède et de la Norvège en 1899. Plaquette publiée par le ministère des affaires étrangères de Suède-Norvège pour annoncer le changement récent (Souce : Wikipedia [3])

Mais tout à une fin. L’union avec la Suède devint très impopulaire en Norvège et en 1899, l’assemblée nationale de Norvège décida d’abolir l’utilisation de l’emblème commun dans les drapeaux nationaux et marchands. Emblème qui resta par contre présent sur les drapeaux suédois jusqu’en 1905, date de la séparation définitive des deux pays et de l’indépendance de la Norvège.

Le drapeau central sur l’étiquette de Champagne est celui du Danemark qui, lui, n’a jamais varié depuis… 1214 !

Pourquoi penser que cette étiquette date de 1869 et commémore le mariage de Lovisa avec Frédéric, futur roi du Danemark, et leur installation à Copenhague en 1869 ? Simple déduction. L’étiquette est postérieure à 1864, date de la création de la marque Théophile Roederer et Cie [4], et antérieure à 1899, puisque cette date correspond à l’abandon de la marque d’union Suède-Norvège sur le drapeau norvégien. Elle ne peut pas avoir commémoré la naissance de Lovisa (1851), ni son accession au titre de reine du Danemark (1906).

Deux autres étiquettes de « Perles » de la fin du XIXème siècle, « Les Perles de la Champagne », véritable Champagne de la maison Renaudin Bollinger, et « Perle des Rheins », habile évocation champenoise pour un Sekt de Mayence !

Liens et références :

1. La page « Perles » ou « Pretty in perls » du site du bijoutier Lovisa (https://www.lovisajewellery.eu/collections/pretty-in-pearl )

2. Site Wikipedia en Français « Drapeau de la Norvège » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Drapeau_de_la_Norv%C3%A8ge)

3. Site Wikipedia en Anglais « Flag of Sweden » (https://en.wikipedia.org/wiki/Flag_of_Sweden)

4. Théophile Roederer et Cie,  maison de négoce fondée à Reims en 1864 est à la fois indépendante et liée à l’historique maison Louis Roederer. Cette dernière est beaucoup plus ancienne, créée à Reims en 1776. Louis Roederer est célèbre à la fin du XIXème siècle pour ses succès à l’export en particulier vers la Russie et pour la fameuse cuvée Cristal créée pour le Tsar Alexandre II (voir notre article sur les vins du Tsar). La société Théophile Roederer et Cie, probablement crée par opportunisme commercial à la limite de la contrefaçon (mais jugée légale), a finalement été rachetée par les champagne Louis Roederer en 1904.

© Texte posté le 30/09/2022.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur.

Etonnants bourgognes mousseux…

Quoi ! du Pommard mousseux, de la Romanée, du Chambertin mousseux ?!  Mais aussi du Chablis, du Meursault, et même du Montrachet Mousseux ? Difficile d’imaginer aujourd’hui, vu les prix de ces crus prestigieux, de les vinifier en mousseux …. Et en rouge en plus !! Pourtant cela a existé et cette pratique a même été en vogue à la fin du XIXème et début du XXème siècle, comme en témoignent ces deux étiquettes et leurs petites sœurs qui illustrent l’article. Certes, à l’époque, les appellations d’origine n’étaient ni contrôlées ni protégées.

A la rubrique « Bourgogne mousseux » [1], le site du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne donne une explication claire et concise de cette curiosité:

« Au début du XIXème siècle, les producteurs de la région de Bourgogne s’intéressent à l’élaboration de vins mousseux selon les techniques mises au point en Champagne, plus particulièrement à Rully, en Saône-et- Loire, dès 1820, à Nuits-Saint-Georges, puis, en 1840, à Chablis. Le nouveau produit a du succès, en particulier auprès de clients d’Angleterre et des Etats-Unis, et la méthode se diffuse rapidement. Des vins mousseux sont élaborés au cœur des plus beaux territoires comme au Clos Vougeot, à « Chambertin », à Chablis, …

Les producteurs de vins mousseux se regroupent au sein d’un syndicat, dès 1939, et obtiennent, en 1943, la reconnaissance de l’appellation d’origine contrôlée «Bourgogne mousseux». Le décret réserve cette appellation d’origine contrôlée aux vins blancs, rouges et rosés produits par seconde fermentation en bouteille.

A partir des années 1960, des producteurs bourguignons souhaitent formaliser et protéger leur production de vins mousseux de qualité et mettent en place des règles rigoureuses de récolte et d’élaboration qui aboutissent à la reconnaissance de l’appellation d’origine contrôlée « Crémant de Bourgogne », par un décret de 1975, pour des vins blancs ou rosés. A partir de 1984, l’appellation d’origine contrôlée « Bourgogne mousseux » est alors réservée aux seuls vins rouges. »

Ce court texte cache en fait une vraie « guerre des bulles » qui a fait s’affronter depuis le XIXème siècle les représentants des vignerons champenois, tourangeaux, angevins, bourguignons, allemands, californiens, … et qui se poursuit toujours. En témoignent les procédures juridiques récentes en France pour limiter l’appellation « Crémant » [2, 3] ou bloquer le droit à l’indication géographique protégée (IGP) pour des vins effervescents de certaines régions (Provence, Ardèche, pays d’Oc) [4]. Mais aussi la tempête économico-médiatique provoquée à l’été 2021 par V. Poutine sur le « Champagne » russe [5], avant que sa folie hégémonique ne se porte plus dramatiquement sur l’Ukraine…

Médoc mousseux « Méthode Champenoise », dénomination interdite depuis 1970 au profit de « Méthode traditionnelle « , à la demande du comité des vins de Champagne

La notice Wikipédia « Crémant de Bourgogne » [6] nous apprend que dès le début du XIXème siècle, Rully dans la Côte chalonnaise, Tonnerre dans l’Yonne, mais aussi Nuits (plus tard Nuits-St-Georges) en Côte d’Or ont profité de l’engouement croissant pour les vins pétillants pour se lancer dans la fabrication et la commercialisation de vins mousseux. En important ou s’inspirant du savoir-faire champenois à Rully et Chalon sur Saône en 1822 (François Basile Hubert et les frères Petiot) et à Nuits dès 1819 (Joseph-Jules Lausseure). Mais on se doute qu’en commercialisant en 1826 du vin de Bourgogne mousseux  sous le nom de « Fleur de Champagne Qualité Supérieure » [7], le succès commercial serait immédiat, mais les ennuis judiciaires aussi.

Tarif de la Maison Jailloux-Merle, producteur de « Mousseux de Bourgogne » au Château de Rully au début du XXème siècle.

De nos jours, l’appellation contrôlée Bourgogne Mousseux existe toujours [8] mais reste confidentielle. Elle concerne exclusivement les vins mousseux élaborés à partir de raisins rouges (pinot noir et gamay en cépages principaux) auxquels une petite partie d’autres cépages secondaires peuvent être ajoutés, chardonnay, pinot blanc, pinot gris et césar.

Ce goût pour le vin rouge pétillant, maintenu en Italie avec le Lambrusco ou le Brachetto, va peut être revenir à la mode ?

Liens et références :

1. Bourgogne mousseux. Site du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB) .

2.  Pierre du Couëdic. Le Crémant vers une spécificité ou vers une dénomination commune. Rivista di diritto alimentare, 2010, année IV, numero 3

3. Frédérique Jourdaa. L’appellation crémant reste en sa terre. Ouest France, publié le 06/03/2015.

4. Le Figaro Vin. L’attribution du label IGP « Méditerranée » réjouit les producteurs de mousseux du Sud-est. Publié le 07/01/2017.

5. Paul Gogo. La Russie s’approprie l’appellation « champagne ». Le Monde, publié le 05/07/2021.

6. « Crémant de Bourgogne », site Wikipédia.

7. Jean-François Bazin. Le crémant de Bourgogne. Deux siècles d’effervescence. Dunod, 2015 ; 240 p.

8. Par exemple, Bourgogne Mousseux Vitteaut-Alberti ou Veuve Ambal , célèbre maison de Crémants de Bourgogne établie à Rully en 1898 et à Beaune depuis 2005

© Texte posté le 10/09/2022.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Consommez avec modération.

Les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou de captures d’écran (sites ebay France, leboncoin, etc..).