Clos du Chapitre, vins de chanoines

Cette étiquette de « Clos du Chapitre de Gevrey Chambertin, ancienne propriété des Evêques-Ducs de Langres« , est une véritable machine à remonter le temps. Et source de quelques interrogations. Elle va nous faire voyager dans le passé, nous éloigner un peu du monde du vin et de ses étiquettes, mais on y reviendra à la fin..

Langres au Moyen Âge, son évêque, son chapitre

Transportons-nous à Langres à la fin du Moyen Age, disons aux XIIIe – XIVe siècles. Langres, actuelle sous-préfecture de Haute Marne, belle ville fortifiée dont les remparts médiévaux enserrent de nombreux et anciens bâtiments ecclésiastiques, avait à cette époque un rayonnement tout particulier.

Vue de Langres au XVIIe siècle. Au premier plan, la Marne. Gravure de Johan Peeters Delin (vers 1660)

Langres est présentée par les historiens du Moyen Âge comme un modèle de seigneurie ecclésiastique. La puissance de l’église est alors très importante. Celle de l’évêque de Langres encore plus. Langres est un tous premiers évêchés primitifs de la Gaule gallo-romaine, fondé au IIème siècle, position éminente héritée de l’ancienne capitale des Lingons : Andematunum. Et c’est l’un des plus vastes. Il s’étendait sur une partie de la Champagne, de la Franche Comté et de la Bourgogne, alors duché indépendant rallié au Saint Empire germanique. Dijon, pourtant capitale des ducs de Bourgogne et résidence des évêques de Langres pendant plusieurs siècles, a dû attendre 1731 pour avoir son propre évêché. Dans une bulle de l’année 1439, le concile de Bâle soulignait l’importance du diocèse de Langres, qualifié, qualifié « d’insigne et de fameuse parmi les autres églises du royaume de France » [1].

Les seigneurs-évêques de Langres avaient aussi un pouvoir temporel fort. Issus de la haute noblesse, ils étaient proches du pouvoir royal, avaient acquis les titres de pairs de France (1216) et de ducs (1354) [2], comme le rappelle fort justement notre étiquette. L’évêque de Langres participait au sacre du roi de France à Reims avec une fonction protocolaire élevée.

Cependant, malgré ce haut rang, les évêques de Langres (comme la plupart des autres évêques d’ailleurs) ont de tout temps été confrontés à un contre-pouvoir local presque aussi puissant que le leur : le chapitre de « leur » cathédrale. A Langres, le chapitre de la cathédrale Saint Mammès [3].

Pilier gravé de la cathédrale Saint Mammès de Langres (© histoiresdetiquettes.com)

Les chanoines et leur chapitre

De nos jours, on a un peu oublié ce qu’étaient les chanoines, leurs fonctions, leur pouvoir, cette catégorie de religieux ayant été supprimée par la Révolution française [4]. Les chanoines étaient des membres du clergé (clercs) voués à la vie séculière le plus souvent, ce qui les différenciaient des moines [5]. Ils étaient rattachés à une cathédrale ou à une collégiale. Réunis en chapitre, ils avaient pour mission première d’assurer la liturgie, les prières et les chants lors de tous les offices. Au siège d’un évêché, ils avaient aussi la charge de toute l’intendance de la cathédrale et du diocèse : réparations des bâtiments, gestion des biens de l’évêché, conservation des manuscrits. Ils étaient également responsables des écoles (la totalité de l’enseignement était religieux) et des soins aux malades et indigents. A Langres, c’est le chapitre de la cathédrale St Mammès qui a créé le premier hôpital de la ville en 1201.

Les bâtiments et biens qui leur étaient dédiés, souvent leur propriété [6], étaient dits canoniaux par opposition aux bien épiscopaux de l’évêque. A cette époque, les chanoines de Langres étaient souvent (mais pas toujours) ordonnés prêtres et avaient quasiment toujours des sacrements majeurs (diacres, archidiacres). Et ils étaient le plus souvent (mais pas toujours) issus de la noblesse.

Le pouvoir du chapitre de Langres et de ses chanoines était immense. Comme le résume Hubert Flammarion [7]: « Durant le haut Moyen Âge, la situation (de Langres) est celle d’une polarité religieuse double, avec la cathédrale Saint-Mammès à Langres, et l’évêque en résidence à Dijon. (…) Le pouvoir sur la ville est partagé en deux, c’est une « co-seigneurie ecclésiastique ». Mais l’influence canoniale est prépondérante (…). Le chapitre domine la cathédrale et la ville. »

Le chapitre cathédral de St Mammès était, selon le même auteur, « une institution nombreuse, riche et puissante ». Au XIIIe siècle, il se composait de 48 chanoines (à peu près autant qu’à Paris), parmi lesquels 9 dignitaires : le Doyen, leur chef, élu par ses pairs, un chantre (normal, vu leur fonction première), un trésorier, 6 archidiacres en charge des paroisses des 6 territoires du diocèse, et les chanoines ordinaires. Le chapitre de Langres jouissait de privilèges particuliers, par exemple l’exemption de la juridiction épiscopale, temporelle et spirituelle, ainsi que celui d’élire l’évêque de Langres ! Ce privilège autoproclamé, jamais confirmé par le Pape, acquis par l’usage et l’accord tacite du Roi, a fonctionné pendant deux siècles (jusqu’en 1516) [6], hormis quelques exceptions.

Langres, évêché frontière

Par sa localisation géographique à la frontière entre le royaume de France, le duché de Bourgogne et l’empire germanique, Langres était à cette époque une ville stratégique, un évêché-frontière [7, 8].

En 1200, le roi de France est Philippe Auguste. A son accession au trône de France, le royaume de France n’est presque rien en comparaison des possessions de ses voisins-ennemis anglais ou germaniques. A la fin de son règne, la France que nous connaissons commence à se dessiner. Les deux cartes d’après Léon Mirot l’illustrent parfaitement (le domaine royal est en bleu, les domaines plutôt favorables à la couronne en vert foncé).

Sur les deux cartes, les possessions ecclésiastiques sont en jaune. On voit que l’une des plus étendue après le Comtat Venaissin, possession papale, est le fief du duc-évêque de Langres (flèche rouge à droite), juste avant ceux de l’archevêque de Reims et des évêques de Chalons, Laon, et Beauvais. Bien que proche du pouvoir royal, le fief de l’évêque de Langres était continuellement menacé d’être grignoté par ses voisins de l’« intérieur », les comtes de Champagne au nord, les ducs de Bar à l’ouest, qui étaient pourtant, comme les ducs de Bourgogne au sud, en partie ses vassaux. 

Les chanoines de Langres ont, eux aussi, toujours témoigné un soutien indéfectible au Roi de France. Cela s’est traduit en retour par « les bonnes grâces royales », selon Michel Legrand [1]« Il est remarquable que tous les rois de France depuis Philippe le Bel jusqu’à Louis XII aient exprimés par des « lettres gardiennes » la sauvegarde spéciale en laquelle ils entendent maintenir les chanoines de Langres ». Le chapitre de Langres a toujours bénéficié d’un fort soutien du pape, avec qui il avait des liens directs, court-circuitant souvent la hiérarchie ecclésiastique (évêque, archevêque de Lyon), surtout pendant les graves conflits qui ont l’ont opposé le chapitre à « son » évêque.

Les conflits entre évêque et chapitre de Langres

Comme le souligne Michel Legrand, le chapitre de Langres « n’échappe pas non plus à cette loi commune qui veut que les évêques soient en conflit perpétuel avec les chapitres de leurs cathédrales ; mais à Langres, cette animosité a pris des proportions singulières, notamment au xive siècle, sous l’épiscopat de Louis de Poitiers. » [1]

Troisième d’une série d’évêques imposés par le pape, Louis de Poitiers devient évêque de Langres en 1318, sans l’accord du chapitre. Son passage à Langres est décrit comme apocalyptique par l’abbé Mathieu : « Cet homme turbulent et emporté, plus propre à commander une troupe de brigands qu’à régir un diocèse, se porte à des violences inouïes envers son chapitre qui lui avait refusé les clefs de ses caves et de ses greniers. Outré de ce refus, il en fait rompre les portes, s’empare de force des vins, du froment et des provisions des chanoines, dont deux, Jean de Talant et Jean de La Chaume, expirent par suite des mauvais traitements qu’ils éprouvent. (…) Par un attentat inouï, cet homme furibond fait briser les portes de la Basilique, et dans l’excès d’une rage impie et sacrilège, il la pollue lui-même, puis il fait sonner les cloches et célébrer les redoutables mystères par des prêtres étrangers et indignes, qu’il avait fait venir à cette fin, sans qu’elle eût été auparavant réconciliée. Il jette dans les prisons tous les chanoines que ses sbires peuvent trouver, ordonne d’abattre les cloîtres, et de leurs débris fait reconstruire les murailles de la ville, à l’orient. (…) Les chanoines consternés se réfugient à Dijon et ont recours au roi, qui envoie des commissaires pour les réintégrer dans leur église et arrêter le mal. ».

Il faut les interventions conjointes d’autres chapitres cathédraux appelés au secours, du roi de France, d’un jugement du parlement de Paris pour que Louis de Poitiers soit condamné à réparation, et enfin du pape Jean XXII pour que le chapitre soit mis sous la juridiction directe du Saint Siège et que l’évêque de Langres soit transféré à Metz en 1325.

Ambiance … On remarquera que le vin est en partie à l’origine du conflit, le chapitre refusant de donner accès à ses caves et greniers à l’évêque et ses hommes. Deux chanoines en meurent, les autres emprisonnés. Il faut dire que, toujours selon Michel Le Grand, depuis « la fin du XIIe siècle – en 1179 exactement- a lieu à Langres un partage des biens entre l’évêque et le chapitre, qui équivaut à une séparation définitive des menses épiscopales et canoniales et à la création d’un domaine capitulaire particulier. Dès lors le chapitre va avoir une vie propre » [6]. Les prétentions de l’évêque à se servir dans les caves et greniers des chanoines étaient totalement illégales.

Vins, clos et domaines viticoles ecclésiastiques

Le vin est essentiel aux sacrements de l’église catholique. La culture de la vigne, la production de vins de qualité étaient consubstantielles de toutes les organisations religieuses et étaient inscrites dans la règle de St Benoit.  Chaque partie du pouvoir ecclésiastique possédait des vignes, la haute hiérarchie (du pape à l’évêque), les chapitres qui avaient le pouvoir financier et assuraient la logistique des diocèses, et les monastères. La Bourgogne était particulièrement riche en ordres monastiques (Cluny, Cîteaux) qui ont essaimé en Europe puis dans le monde entier avec leur savoir-faire viticole. Langres était un foyer cistercien (de Cîteaux).

En Bourgogne, les vignobles qui sont devenus ensuite les climats les plus célèbres ont été l’œuvre des moines ou des moniales [9, 10].  L’actuel clos de Vougeot, cité pour la première fois en 1212, a été patiemment constitué par l’abbaye de Cîteaux. Le clos de Tart, à Morey, est issu de la vente en 1141 d’un domaine viticole par les hospitaliers de Brochon à la jeune abbaye Notre-Dame de Tart, première maison féminine de l’ordre cistercien. Le clos Saint Vivant (actuel grand cru Romanée-Saint-Vivant) doit son nom au prieuré clunisien de Saint-Vivant de Vergy, fondé entre 894 et 918 qui avait des vignes à Vosne. Le clos de Bèze, à Gevrey Chambertin, doit son nom à l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre de Bèze, fondée en 630 à 30 km au Nord-Est de Dijon.

La première mention d’un clos à Gevrey appartenant à l’abbaye de Bèze figure dans un acte de 1219 par lequel les moines en grande difficulté financière cèdent leur clos aux chanoines de la cathédrale de Langres. Le Pr Jean-Pierre Garcia, de l’Université de Bourgogne, complète : « Par quelques autres achats de terres contigües, ils (les chanoines) parviennent à se rendre propriétaires d’un clos homogène d’environ 50 journaux qu’ils mettent en fermage à différentes associations de vignerons de Gevrey. » [10]. Ainsi, le chapitre de la cathédrale Saint Mammès de Langres a été propriétaire de l’actuel Chambertin Clos de Bèze de 1219 jusqu’à sa vente à un particulier en 1626, que le chapitre a bien regretté par la suite.

Au moyen âge, à coté de ses célèbres monastères et abbayes, la Bourgogne comptait 3 diocèses : Autun, cité romaine majeure et autre évêché bourguignon très ancien et puissant [5], Langres et plus tard Chalon sur Saône. Chaque évêque et chapitre cathédral possédait des vignes dans les meilleurs climats bourguignons voisins. Leurs zones d’influence étaient héritées de celles des anciennes tribus gauloises. Citons Jacques Bazin, historien local [11] :

« Le pouvoir, la richesse se trouve à Autun et à Langres, métropoles des Eduens et des Lingons. Jusqu’à la Révolution, les diocèses, les circonscriptions administratives et politiques, les zones d’influence économiques maintiennent les vieilles frontières celtes, situées entre Eduens et Lingons, entre Nuits et Gevrey. ».

Ou encore Henri Magnien [11]

« Il faut préciser que la paroisse de Gevrey se trouvait la dernière en place du diocèse de Langres en tirant vers la Sud, au pied de la Côte surplombant les vignobles puis la plaine en direction de l’Est vers la Saône. Le village de Morey St-Denis situé à 4 km au Sud dépendait du diocèse d’Autun, jusqu’en 1731, date de création du diocèse de Dijon. Cette démarcation reprenait exactement les limites des anciennes tribus gauloises Eduens et Lingons. »   

La répartition des vignes était donc schématiquement : pour Autun, la côte de Beaune et le sud de l’actuelle côte de Nuits ; pour Langres, le nord de l’actuelle côte de Nuits en remontant jusqu’à Dijon, alors plus grand domaine viticole de Bourgogne ; pour Chalon, la côte Chalonnaise et une partie du Mâconais.

Mais il y avait bien entendu des exceptions. Par exemple, le Chapitre d’Autun possédait des vignes à Chenôve, tout près de Dijon [5]. Inversement, le domaine de Blagny, contigu à Meursault au cœur de la Côte de Beaune, était la propriété du chapitre cathédral de Langres, qui en a fait don à l’abbaye cistercienne de Maizières en 1184. Le site du domaine actuel nous précise que « La grange alors installée par l’abbaye deviendra au cours du XIIIe siècle une de ses plus importantes ressources en vin. » [12].  Gevrey (qui deviendra Gevrey-Chambertin en 1847) a été du XIIIe siècle jusqu’à la Révolution sous la double autorité des abbés de Cluny (abbaye bien plus éloignée que celle de Cîteaux), seigneurs du territoire de Gevrey, et de Langres (évêque et chapitre), la paroisse de Gevrey relevant du diocèse de Langres [11].

Le Clos des Langres (qui aurait pu s’appeler clos du chapitre de Langres), actuel monopole du Domaine d’Ardhuy, a été planté par les moines de Cluny mais tient son nom « de l’inscription de la propriété au chapitre de la Cathédrale de la ville de Langres à partir du Xe siècle » [13]. Cet excellent vin d’AOC/AOP Côtes de Nuits villages est situé à Corgolin, bien au sud de la frontière entre les diocèses de Langres et Autun, sur la zone d’influence d’un autre chapitre, celui de la collégiale de Saint Denis de Vergy. A côté des chapitres cathédraux, il y avait localement deux chapitres collégiaux importants, par exemple ceux de la collégiale de Beaune et de la collégiale Saint Denis de Vergy au diocèse d’Autun (voir carte ). Ces deux cartes issues des travaux de Jean-Pierre Garcia, Guillaume Grillon et Thomas Labbé [14], de l’université de Bourgogne, illustrent la complexité et l’intrication des possessions de clos et celliers ecclésiastiques en Bourgogne au Moyen Âge.

Source : JP Garcia, G Grillon, T Labbé. Terroirs, climats … ou le vin et le lieu en Bourgogne. Terroirs et climats [14]. Reproduit avec l’aimable autorisation de Jean-Pierre Garcia.

On connait assez bien les propriétés du chapitre cathédral d’Autun au Moyen Âge, car elles ont fait l’objet d’un recensement détaillé établi en 1219 par le doyen du chapitre, Clérembaud de Châteauneuf. Dans son histoire des chanoines du chapitre cathédral d’Autun du XIe à la fin du XIVe siècle [5], l’historien Jacques Madignier nous transmet de précieuses informations issues de ce recensement.

En ce qui concerne les vignes du chapitre, « On distinguait quatre grands foyers : le premier était centré sur Chenôve, au sud de Dijon ; le second était localisé au nord de Beaune, à Aloxe, Echevonne ; le troisième s’étalait au sud de Beaune, à Volnay, Monthélie, Meursault, Meloisey ; le dernier occupait les abords de la basse valée de la Dheune, à Perreuil, Sampigny, Dezize-lès-Maranges et au-delà à Saint-Aubin et Baubigny. » (carte ci-contre et [15]) . La surface estimée des vignes directement contrôlées par le chapitre était de « 700 ouvrées, soit une trentaine d’hectares », et la production annuelle de « sept cent cinquante à huit cents muids de vin, soit plus de 1800 hectolitres » (un muid de vin équivalait à 228 litres) [5]

Source : Pr Jacques Madignier. Les chanoines du chapitre cathédral d’Autun du XIe siècle à la fin du XIVe siècle. Editions Dominique Gueniot / Liralest. (reproduit avec autorisation)

Les clos du Chapitre actuels

Résumons : les chapitres et leurs chanoines étaient riches, localement puissants, ils avaient la haute main sur toutes les aspects matériels du diocèse, bâtiments, propriétés foncières, enseignement, soins hospitaliers, et avaient des liens étroits, en particulier financiers, avec les paroisses et les monastères du diocèse. A ce titre, ils exerçaient un contre-pouvoir à celui de l’évêque, avec qui les rapports étaient souvent tendus voire conflictuels. De plus, les biens de l’évêque et du chapitre étaient indépendants depuis le XIIe siècle.

Pour en revenir à notre étiquette de Gevrey-Chambertin, il parait difficile dans ce contexte d’imaginer qu’une vigne dénommée Clos du Chapitre eût été la propriété de l’évêque et non du chapitre lui-même. A moins qu’à une période antérieure à 1179, l’évêque ait donné des terres au Chapitre de sa cathédrale, ou encore que les biens ecclésiastiques aient été répartis entre le chapitre et l’évêque dans le cadre de la co-seigneurie, comme cela a été bien documenté dans le cas de Saint Malo [16]. Ventes, dons ou transferts divers (en particulier depuis la réforme grégorienne) de propriétés agricoles et donc de vignes entre seigneurs, évêques, chapitres, monastères, prieurés ont été continus durant plusieurs siècles.

Carte postale ancienne de l’église et du clos du chapitre de Gevrey-Chambertin

Le Clos du Chapitre de Gevrey-Chambertin est aujourd’hui classé en 1er cru. Etonnamment, ce clos n’est pas cité parmi les climats de Gevrey par le Dr Jules Lavalle dans son Histoire et statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or (1855) [17].

Il subsiste quelques autres Clos du Chapitre en Bourgogne et en Beaujolais, témoins d’anciennes possessions viticoles de chapitres cathédraux, collégiaux ou abbatiaux.

S’il ne cite pas celui de Gevrey, Jules Lavalle cite deux vignes à Chenôve-les-Dijon, Le Chapitre et le bas chapitre, visibles sur cette carte de 1891. Comme on l’a vu, ils ont été la propriété du chapitre de la cathédrale Saint Lazare d’Autun pendant plus de mille ans, entre 653 (donation de l’évêque d’Autun au chapitre) et 1789 (saisie comme bien national).

Carte de Chenôve de 1861, Le clos « Le chapitre » et les anciens bâtiments du chapitre sont bien identifiés, pas loin du Montrecul (merveilleux Bourguignons qui font voisiner un clos millénaire d’austères chanoines et une parcelle au nom rabelaisien, dont la pente ouvrait quelques perspectives intéressantes, mais ancienne propriété des ducs de Bourgogne quand même ! Voir aussi notre article sur la pucelle et la putain)

Une petite parcelle de 8 hectares a survécu à l’urbanisation de cette commune, dont le passé viticole a été important avant le XIXe siècle [18] et qui est maintenant « conurbée » avec Dijon. Le clos millénaire jouxte les HLM des années 1960.

Vendanges au clos du Chapitre de Chenôve, octobre 1978

Les vins sont commercialisés sous le nom de Bourgogne clos du chapitre ou Bourgogne Le chapitre, cette parcelle de Chenôve étant la seule, avec le célèbre Montrecul voisin, a pouvoir indiquer son nom à côté de l’appellation Bourgogne. Depuis 2019, les vins de Chenôve peuvent aussi être aussi vendus sous l’appellation Marsannay, on trouve donc du Marsannay Clos du Chapitre (ex. domaine Sylvain Pataille) issu de la même parcelle.

Le Clos du Chapitre d’Aloxe Corton, actuel 1er cru, a été une autre propriété viticole majeure du chapitre cathédral d’Autun, comme le rappelle sans ambiguïté cette étiquette de la maison Louis Latour. La date de 1550 reste énigmatique, les documents anciens attestent la donation au chapitre d’Autun d’un domaine viticole situé à Aloxe avant l’an 858 [5, 19].  

Pas d’ambiguïté non plus pour le Clos du Chapitre de Fixin, également 1er cru.  Si la Perrière était cistercienne, le Chapitre et les Arvelets appartenaient au chapitre de Langres [20, 21].

Pas de chanoines en revanche pour ce Clos du Chapitre de l’appellation Viré-Clessé dans le Mâconnais, dont l’étiquette nous apprend qu’il était propriété des moines de Cluny.  A côté de Cîteaux, dont les vignobles s’étendaient plutôt dans l’actuelle cote de Nuits, Cluny était l’autre pôle monastique majeur du Xe au XIIIe siècle. Son vignoble s’étendait du beaujolais à la côte de Beaune (mais comme on l’a déjà vu, à la suite de donations, l’abbé de Cluny était devenu seigneur de Gevrey [11, 22], rien n’est simple en Bourgogne…). Ce Clos du Chapitre n’appartenait pas à un collectif de chanoines cathédraux comme les précédents, mais à un monastère. Ceux-ci avaient aussi leurs chapitres, qui désignaient dans ce cas les « assemblées générales » que les moines organisaient périodiquement au sein de leur communauté. Ainsi, le chapitre général de Cîteaux réunissait annuellement plusieurs centaines d’abbés venant de toute l’Europe (l’ordre comptait environ 600 abbayes au début du XIIIème siècle), ce qui n’était pas sans créer des difficultés logistiques d’acheminement et d’hébergement, ainsi que financières [23]. Les moines réservaient peut-être leur meilleure production ou parcelles pour célébrer ces importants chapitres ?

On trouve d’autres Clos du Chapitre pour les appellations Mercurey et Rully en côte chalonnaise et Saint Amour en Beaujolais (ancienne propriété du chapitre de la cathédrale Saint Vincent de Mâcon) .

Une mention spéciale pour Mercurey qui perpétue le souvenir de la dualité évêque/chapitre cathédral en accueillant à la fois un Clos l’Evêque, ancienne propriété de l’évêque de Chalon (au XVIe siècle) et un Clos du Chapitre, probablement une ancienne propriété des chanoines de la cathédrale Saint Vincent de Chalon sur Saône.

Notes, liens et références :

  1. Michel Le Grand. Le chapitre cathédral de Langres de la fin du XIIe siècle au concordat de 1516. Revue d’histoire de l’Église de France, année 1930, 73 pp. 502-532 https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1930_num_16_73_2558
  2. Parcours Langres et son pays. https://langres.fr/wp-content/uploads/2023/06/PARCOURS-LANGRES-BD.pdf
  3. Mammès était un martyr grec dont les reliques ont été déposées dans la cathédrale de Langres au VIIIe siècle
  4. De nos jours, le titre de chanoine est honorifique, conféré par l’évêque à titre de retraite ou de récompense à des prêtres au parcours particulièrement méritant. Un des plus connus est le chanoine Felix Kir (1876-1968), prêtre bourguignon, ancien résistant, homme politique, ancien député et maire de Dijon, qui a popularisé le blanc-cassis qui porte son nom. Un autre titre de chanoine laïc, moins connu bien que traditionnel, est dévolu au président de la République française, « premier et unique chanoine d’honneur » de la Basilique de Saint Jean de Latran, dans la continuité des rois de France depuis Henri IV.
  5. Jacques Madignier. Les chanoines du chapitre cathédral d’Autun du XIe siècle à la fin du XIVe siècle. Éditions Dominique Guéniot, Langres, 2011. Et https://journals.openedition.org/cem/1500 (résumé).
  6. Michel Le Grand. Le chapitre cathédral de Langres. Son organisation et son fonctionnement, de la fin du XIIe siècle au concordat de 1516. Revue d’histoire de l’Église de France. Année 1929, 69, pp. 431-488. https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1929_num_15_69_2522
  7. Hubert Flammarion. Les chanoines, l’évêque, la ville : l’exemple de langres du XIe au XIIIe siècle.https://crulh.univ-lorraine.fr/sites/default/files/users/user921/Flammarion.pdf
  8. Aux origines d’une seigneurie ecclésiastique. Langres et ses évêques VIIIe-XIe siècles ». Société historique et archéologique de Langres. Actes du colloque Langres-Ellwangen, Langres, 28 juin 1985.
  9. Jean-Pierre Garcia. Climats des vignobles de bourgogne comme patrimoine mondial de l’humanité. Édition Presses Universitaires de Dijon, Dijon 2011.
  10. Guillaume Grillon, Jean-Pierre Garcia, avec contribution de Charlotte L’Hermitte. La construction historique du site des Climats. Les parcours thématiques des climats, Parcours historique Nord Sud. Site des vins de Bourgogne. https://www.vins-bourgogne.fr/visites-en-bourgogne/les-incontournables/les-parcours-thematiques-des-climats/gallery_files/site/2962/2963/41223.pdf
  11. Gilles Martin. Histoire de Gevrey en ‘parcelles’ Site Monocépages. https://monocepage.com/histoire-de-gevrey-en-parcelles/ . Les citations de Jacques Bazin, Histoire de Gevrey-Chambertin (1961) et d’Henri Magnien (1926-2016) en sont extraites.
  12. Site du Domaine Chapelle de Blagny, Hameau de Blagny, 21190 Puligny-Montrachet. https://www.chapelledeblagny.vin/fr/notre-domaine.html
  13. Site du domaine d’Ardhuy, 21700 Corgoloin. Clos des Langres monopole. https://www.ardhuy.com/vins/le-clos-des-langres-monopole-rouge
  14. Jean-Pierre Garcia, Guillaume Grillon, Thomas Labbé. Terroirs, climats … ou le vin et le lieu en Bourgogne. Terroirs et climats, pp.42-48, 2017, halshs-01574896. Association Pontus de Tyard et HAL-SHS (Archive Ouverte du CNRS des sciences humaines et sociales). https://shs.hal.science/halshs-01574896v1
  15. Jacques Madignier, Sampigny-lès-Maranges, Histoire millénaire d’un village viticole bourguignon,édition Société d’Histoire et d’Archéologie de Chalon-sur-Saône, 2026
  16. Henri G. Gaignard. Connaître Saint Malo. Editions Fernand Lanore, Paris 1973. Citation : « Les revenus seigneuriaux étaient répartis entre le chapitre et l’évêque, ainsi qu’en avait décidé Jean de Châtillon lorsqu’en 1152 il avait institué la Co-seigneurie ou Seigneurie commune, en même temps que l’Insigne Chapitre. »
  17. Jules Lavalle, Joseph Garnier, Emile Delarue. Histoire et statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or. Dusacq, Paris, 1855.
  18. Henri Marc. Histoire de Chenôve près Dijon. Darantière, Dijon, 1893. Réédition Laffitte reprints, Marseille, 1980. Chenôve abrite toujours les pressoirs des ducs de Bourgogne, deux anciens pressoirs construits en 1236, les plus grands et les plus anciens « treulx » de la région avec ceux du Clos Vougeot. https://chenove.fr/les-pressoirs-des-ducs-de-bourgogne
  19. « Le premier acte signalant la présence des chanoines autunois à Aloxe date de 858, dans une donation de l’évêque Jonas au profit de l’Église d’Autun, plus précisément au profit des chanoines et clercs de la cathédrale Saint-Nazaire. L’acte de donation concernait le legs des biens et droits de la villa de Sampigny, ainsi que des biens à Marcheseuil aux marges de l’Auxois. Le même acte confirmait la donation effectuée antérieurement à Aloxe. (Voir A. de Charmasse, Cartulaire de l’Eglise d’Autun, vol. 1, pp. 32-34.). Le second document date de 1289. Il est extrait de la vaste enquête entreprise par le doyen du chapitre cathédral Clérembaud de Châteauneuf concernant tous les biens et redevances que le chapitre possédait à cette date (AD21, G 748). Plusieurs feuillets sont consacrés au domaine capitulaire d’Aloxe » (Communication personnelle du Pr Jacques Madignier)
  20. Site de l’INAO. https://www.inao.gouv.fr/node/33921/printable/print
  21. Site du domaine Pierre Gelin, 21220 Fixin. https://www.domaine-pierregelin.fr/vin-fixin-gevrey-chambertin/vin-fixin-terroir.html
  22. Site de la ville de Gevrey-Chambertin. Histoire du château de Gevrey. https://ville-gevrey-chambertin.fr/un-peu-dhistoire/#:~:text=Le%20Ch%C3%A2teau%20de%20Gevrey%2DChambertin&text=En%201257%2C%20l’abb%C3%A9%20de,se%20poursuivra%20jusqu’en%201275.
  23. François Poillotte. Garnier II de Rochefort, évêque de Langres : Société archéologique et historique du Châtillonnais – Archéologie et histoire à Chatillon sur Seine. http://sahc21.org/garnier-ii-de-rochefort-eveque-de-langres/

© Texte posté le 23/11/2025

Pour Yves et Isabelle Naizot, très affectueusement

Remerciements au Pr Jean-Pierre Garcia et au Pr Jacques Madignier, de l’université de Bourgogne, pour les informations complémentaires et l’accord pour reproduction de leurs cartes.

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou de copies d’écran des sites internet consultés. Article écrit sans le recours une application d’intelligence artificielle générative.

L’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

L’autre petit chaperon rouge

Deux étiquettes contemporaines pour un même vin, un « Deutscher Sekt » ou mousseux allemand, qui porte le même nom : Rotkäppchen, « petit chaperon rouge » en français. Mais deux sociétés et deux villes d’Allemagne différentes, Freyburg sur Unstrut d’un côté, Rüdeshelim sur Rhin de l’autre.

Deux étiquettes des années 1950-60, qu’un mur séparait….

Le petit chaperon rouge au XIXe siècle

Tout commence en 1856, dans la ville de Freybourg sur Unstrut, en Saxe-Anhalt, dans l’est de l’Allemagne. Deux frères, Moritz et Julius Kloss et un ami, Carl Foerster, s’associent pour créer la cave Kloss & Foerster et une fabrique de « champagne », dont la production augmente rapidement. Leur logo, une bouteille ailée de vin pétillant, avec la date de fondation, 1856. En 1861, ils présentent leur production de vin mousseux à l’Exposition commerciale de Thuringe à Weimar sous les noms de « Monopol », « Crémant Rosé », « Lemartin Frères » et même « Sillery Grand Mousseux » ! Les appellations d’origine protégée n’existaient pas encore.

Etiquette de 1866 (source : https://www.rotkaeppchen.de/marke/geschichte/)

C’est en 1895 qu’est déposée la marque Rotkäppchen, à la suite d’un procès gagné par la maison de Champagne Heidsieck & C° de Reims, propriétaire de la marque Heidsieck-Monopole qui interdit à Kloss & Foerster d’utiliser le nom de marque « Monopol ». 

Le choix de du nom  Rotkäppchen / petit chaperon rouge est lié à la couleur rouge vif de la coiffe et de la collerette des bouteilles, donnant une identité visuelle très réussie aux bouteilles de Sekt de la maison. Une des premières images publicitaires fait également le lien avec le personnage du conte de Charles Perrault (1628 – 1703), repris par les frères Grimm au XIXe siècle.

Estampe publicitaire de 1895, année de dépôt de la marque Rotkäppchen. Source : https://www.rotkaeppchen.de/marke/geschichte/

Pendant les première et seconde guerres mondiales, la société Koss & Foerster est confrontée à de grandes difficultés, mais elle survit.

Carte postale publicitaire du Rotkäppchen de Koss & Foerster postée le 23 septembre 1915

Le Rotkäppchen en RDA communisteet en RFA

Après la seconde guerre mondiale, la société Kloss & Foerster de Freyburg est mise sous tutelle de l’administration militaire soviétique, puis nationalisée sous le nom de « VEB Rotkäppchen-Sektkellerei Freyburg/Unstrut ». C’est à partir de là que le petit chaperon rouge a désigné à la fois le produit phare de la société, le vin mousseux coiffé de rouge, et la société productrice elle-même.

Mais simultanément, Gunther Kloss, un petit fils des fondateurs, se réfugie en Allemagne de l’ouest où il recrée en 1952 une nouvelle société Kloss & Foerster à Rüdesheim am Rhein. Il y produit naturellement aussi du Rotkäppchen. On peut donc trouver du sekt Rotkäppchen des deux côtés du mur. C’est ce dont témoignent nos deux étiquettes : celle de l’Allemagne de l’est à gauche, au site d’origine à Freyburg, arborant toutes les médailles obtenues dans divers salons vinicoles du bloc soviétique ; et celle de l’Allemagne de l’ouest à droite, expatriée à Rüdesheim / Rhein mais qui a gardé le logo de la maison d’origine et des droits sur la marque.

La période communiste a été favorable au Rotkäppchen. « C’était le seul sekt disponible en RDA », précise l’ancien directeur du centre de documentation sur la culture quotidienne de la RDA (à Eisenhüttenstadt) : « On n’en trouvait pas partout, mais les gens le buvaient pour les occasions comme les anniversaires ou mariages. Les Allemands de l’Est faisaient la queue devant les magasins lorsqu’un stock était mis en vente. Et les dirigeants est-allemands trinquaient à l’amitié entre les peuples avec du Rotkäppchen. » [1, 2].

L’état a développé une politique coordonnée d’amélioration de la production et, en 1975, le département de recherche et développement de la VEB Rotkäppchen-Sektkellerei a été désigné comme le centre de recherche central de l’industrie du vin et des vins mousseux en RDA. Un témoignage insolite des innovations proposées à l’époque : un mousseux pour diabétiques (diabetikersekt), vinifié en sec, dans lequel le saccharose aurait été remplacé par du fructose [3], mais aussi par du sorbitol, comme l’indique cette étiquette.

Vin mousseux sec pour diabétiques produit en demi-bouteille en RDA dans les années 1970.
Les mentions de l’étiquette précisent le nombre de KiloJoules et de sorbitol contenues dans 100 ml, les précautions médicales d’une consommation quotidienne de plus de 30 g de sorbitol. KHE est une unité de contenance glucidique des aliments correspondant à 10 g de glucides. Le terme Zyklomat est plus obscur s’agissant de diabète, il s’agit actuellement d’une marque de filtres industriels !…

Le Rotkäppchen après la réunification de l’Allemagne

A la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, l’entreprise est leader du marché en RDA. Mais après la réunification allemande, les ventes s’effondrent, passant de 15 à moins de 2 millions de bouteilles en 1991. Transformée par l’agence du trésor de l’Etat en société à responsabilité limitée (GmBH), les effectifs sont réduits de 350 à 60 salariés, un contrat est signé avec Michael Kloss pour la ré-acquisition de la marque en 1991.

Mais ce qui sauve la Rotkäppchen Sektkellerei GmbH , c’est son rachat en 1993 par 5 cadres de l’entreprise, qui vont lui donner un second souffle, aidés d’un investisseur ouest-allemand.

Et, surprise, les « Wessi », Allemands de l’ouest souvent méprisants à l’égard des produits de l’ex-RDA, découvrent, apprécient et adoptent rapidement ce « champagne communiste » tout habillé de rouge. Il faut dire que Rotkäppchen a aussi la bonne idée de proposer tous ses mousseux, doux ou secs, blancs ou rosés, à un prix unique (moins de 5 euros la bouteille). Simple, pas cher, soutenu par un marketing et une promotion efficaces [4], il devient à la mode et les ventes explosent.

La gamme des Rotkäppchen mousseux en 2021. Le rouge vermillon de la coiffe vire au carmin.

Donnée pour morte, la Rotkäppchen Sektkellerei renait et connait une croissance exponentielle. En 2002, à la suite du rachat à Seagram des marques Mumm (sauf le Champagne), MM Extra et Jules Mumm (voir notre article  « Un Mumm pour une diva » ), la société devient Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien. La politique d’acquisitions se poursuit (mousseux Geldermann en 2003, marques allemandes et internationales de vins tranquilles). La marque propose actuellement des produits très diversifiés, des vins mousseux ou tranquilles, des cocktails variés et des vins sans alcool.

Etiquette de mousseux allemand de la maison Deutz-Geldermann, dont les fondateurs ont également créé la maison de champagne Deutz à Reims en 1838.

Un article très complet de Frédéric Therin pour Les Echos sur l’évolution récente de la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien fournit des chiffres impressionnants : « En 2013, Rotkäppchen a vendu 168,5 millions de bouteilles de vin pétillant, 43,9 millions bouteilles de spiritueux et 21,6 millions de bouteilles de vin tranquille ». Le directeur marketing du groupe ajoute : « Avec une part de marché national de 52%, nous sommes le plus important producteur de Sekt. Le nombre d’employés est passé de 60 à 575 depuis 1991. » [5]

Ainsi, le Rotkäppchen est l’un des rares produits de RDA à avoir conquis l’ensemble de l’Allemagne et sa société productrice une des rares de l’ex-RDA à devenir un des leaders mondiaux de son secteur, celui des vins pétillants.

La revanche du petit chaperon rouge sur les grands méchants loups du monde globalisé des vins mousseux, diront certains. Revanche également économique pour la région de Saxe-Anhalt, l’une des plus sinistrées de l’ex-RDA.

Cependant, le Rotkäppchen, bien que produit dans une jolie petite ville entourée de collines et de vignes, n’a plus rien d’un vin Allemand local. L’article des Echos, déjà cité [5], nous apprend que la seconde fermentation, qui produit l’effervescence, ne s’opère pas en bouteilles comme pour le champagne ou d’autres vins effervescents, mais « dans de gigantesques cuves de douze mètres de haut contenant 160 000 litres chacune. A Freyburg, les hangars de Rotkäppchen abritent 330 immenses réservoirs dans lesquels la levure est brassée par des hélices. Une bouteille contient en moyenne une trentaine de vins différents récoltés en Italie, en Espagne, en Autriche, en Allemagne et en France. A 3,99 euros (en 2015) la bouteille, on peut difficilement s’attendre à boire un cru exceptionnel… »

Pour « boucler la boucle » signalons qu’à côté du maintenant célèbre Rotkäppchen, un Sekt est à nouveau commercialisé dans la même gamme de prix par la Rotkäppchen Sektkellerei  de Freyburb sous le nom de « Kloss & Foerster », comme au début de l’histoire. Pas de coiffe rouge, ni logo d’origine, mais l’étiquette mentionne tout de même l’ancienneté de la maison « Tradition du mousseux depuis 1856 »

Prosit !

Etiquette de Rotkäppchen demi-doux de la période Allemagne de l’est, « cuvée spéciale 1856 » , qui célébrait peut-être le centenaire de la maison ?

Liens et références :

  1. Rotkäppchen Sektkellerei. Site Wikipedia en Allemand. https://de.wikipedia.org/wiki/Rotk%C3%A4ppchen_Sektkellerei
  2. Rédaction de la rdvf.com. La belle histoire de « Petit chaperon rouge », le vin mousseux qui a séduit l’Allemagne. La revue du vin de France. https://www.larvf.com/,vin-mousseux-rotkappchen-petit-chaperon-rouge-rda-sekt-freybourg-champagne,10341,4025027.asp
  3. Site de la société Rotkäppchen . Historique de la marque. https://www.rotkaeppchen.de/marke/geschichte/
  4. Charles Gautier. Vins pétillants : Rotkäppchen, l’allemand leader mondial. Le Figaro. Publié le 9 janvier 2012. https://avis-vin.lefigaro.fr/magazine-vin/o26293-vins-petillants-rotkappchen-l-allemand-leader-mondial
  5. Frédéric Therin. L’histoire pétillante du « petit chaperon rouge » de l’ex-RDA. Les Echos, publié le 5 mars 2015. https://www.lesechos.fr/2015/03/lhistoire-petillante-du-petit-chaperon-rouge-de-lex-rda-245572

© Texte posté le 25/09/2025

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou de copies d’écran des sites internet consultés.

L’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

Même la plaque de muselet du Rotkäppchen est rouge !

Une étiquette des origines …

Ce modeste rectangle de papier de très petites dimensions ( 53 x 33 mm) est une des plus anciennes étiquettes de vin qui soient arrivées jusqu’à nous.

Le papier chiffon vergé est identique à celui des assignats ou autres documents de la fin du XVIIIe siècle. Le nom du vin « Sillery » (en Champagne), a été tracé à la plume d’une belle écriture cursive inclinée. Et, ce qui est rarissime pour une étiquette aussi ancienne, quelques indications complémentaires ont été imprimées : « LABOUR, Négociant. Hotel des Americains, Rue St Honoré près l’Oratoire ».

Ce n’est pas une mais plusieurs histoires, que raconte cette étiquette. Elle renvoie aux origines de l’étiquette de vin et nous plonge dans le Paris de la Révolution française….

Isolée d’un bloc de quatre

Pour commencer, cette étiquette n’est pas une inconnue. Elle a fait partie de la collection du regretté Georges Renoy.  Historien, homme de lettre auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, scénariste et producteur de télévision belge, c’était aussi un œnographile passionné. Il a été parmi les premiers à collectionner les documents anciens consacrés au monde du vin, en particulier les étiquettes, et en a produit de magnifiques livres d’art qui font référence : « Les étiquettes de vin » (1981), « Le livre de l’étiquette de vin » (1995), « l’étiquette de Champagne » (1996), « les mémoires du Champagne » (1983), « les mémoires du Bordeaux » (1984), ce dernier récompensé par le grand prix littéraire de l’académie du vin de Bordeaux.

G. Renoy. Le livre de l’étiquette de vin. © Editions Vilo, Paris (reproduit sous réserve d’autorisation de l’éditeur)

Notre étiquette faisait initialement partie d’un bloc de quatre étiquettes « passe partout », trois d’entre elles portant la mention manuscrite « Sillery » (la nôtre est celle du haut à gauche), la quatrième la mention « Malvoisie ». Ce bloc est reproduit dans Le livre de l’étiquette de vin  [1], page 7, avec le commentaire suivant :

« Autre chose est ce carré de quatre petites étiquettes à découper, imprimées pour le compte du sieur Labour, négociant à Paris, rue Saint-Honoré. Trois portent la mention manuscrite « Sillery » l’autre « Malvoisie ». Il s’agit bien de vin, cette fois, et le style de cette pièce rarissime ne laisse place qu’à peu d’hésitation. Nous voici sous Louis XVI ou sous la Terreur ou sous le Consulat. Hélas, aucun millésime ne vient étayer ma séduisante quasi-certitude. ».

Après le décès de Georges Renoy en 2001, ses ayant droits ont vendu les 4 étiquettes de ce bloc séparément, à la découpe si on peut dire, via un site célèbre d’enchères sur internet.

 L’Hôtel des Américains et son magasin de comestibles

Si l’étiquette a déjà été publiée et commentée [2], personne à notre connaissance n’a publié de recherche sur ce Labour, négociant à l’hôtel des Américains, rue Saint-Honoré à Paris. L’hôtel des Américains, situé au numéro 400, puis 170, puis 147-147 bis de la rue Saint Honoré à Paris (correspondant approximativement au numéro 143 actuel, [3]), aurait pris ce nom en 1765 selon Charles Lefeuve et son Histoire de Paris, rue par rue, maison par maison [4] :

« Il y avait plus bas encore, dans notre rue, deux ou trois magasins de comestibles ; un seul a survécu, c’est l’hôtel des Américains, dénomination prise en 1765 ». Cette date est confirmée par une publicité bien plus récente, parue dans un journal de 1891 « Hôtel des Américains, 139 rue Saint-Honoré, Paris. Maison fondée en 1765 par Menier » [5], mais pas par la liste des propriétaires établie entre 1766 et 1700 dans le Papier terrier du Roy de la ville de Paris pour le n° 400 de la rue Saint Honoré ou les bâtiments voisins [6] (voir plan ci-dessous ; l’emplacement de l’Hôtel des Américains est entouré de rouge, entre la rue des Poulies et la rue bordant l’église des pères de l’Oratoire, future rue de l’Oratoire nommée à cette période « rue du cul de sac de l’Autruche » !

Papier terrier du Roy de la ville de Paris et la rue Saint Honoré, vers 1700. L’emplacement de l’Hôtel des Américains est cerclé de rouge

 L’hôtel des Américains a hébergé en 1772 une fabrique de savon (du sieur Dardelié) et vers 1782 un restaurateur (le sieur Huré), mais aussi et surtout, depuis au moins 1776, un commerce de comestibles tenu par le sieur Delavoyepierre. Selon l’Almanach du comestible, nécessaire aux personnes de bon goût et de bon appétit du 1er janvier 1776, on trouve au « dépôt de Provence, Hôtel des Américains, rue St Honoré » du « thon mariné et des huitres marinées », des « fromages de Nangis en Brie » et des « fruits d’hiver & pour le carême ».

Le 26 octobre 1776, un avis publié dans La Gazette du Commerce nous informe que : « Le sieur Delavoiepierre, Négociant, rue Saint-Honoré, à l’Hôtel des Américains, entre l’Oratoire & la rue des Poulies, vient d’établir un magasin sous le nom de dépôt de Provence, ou il tient le dépôt de l’huile vierge de Provence du sieur Sieuve, extraite de la seule chair des olives, séparée du noyau ». En 1777, en plus de son huile de Provence « infiniment supérieure à toutes celles que l’on connoisse ; c’est le jugement qu’en a rendu l’Académie dans un de ses mémoires au mois de février 1769 », le magasin se diversifie et expédie dans toute la France : « Il envoie de l’huile fine de Provence des autres fabriques à 26 sols la livre ; de l’huile fine d’Oneille à 22 sols ; de l’huile ordinaire à 20 sols & toutes sortes d’épiceries de la meilleure qualité. Il a réuni à son magasin le dépôt général des porcelaines de Limoges, très connues pour leur beauté, & de la propriété qu’elles ont de soutenir le feu ; un assortiment complet de porcelaines de Chantilli, & de Fayance anglaise. Il se chargera de toutes sortes d’envois, toujours par la voie la plus économique & sans aucune rétribution. » [7].

Les Tablettes royales indiquent que Delavoyepierre (ou Delavoiepierre, ou de Lavoyepierre, on trouve au moins 5 orthographes différentes…) en était encore propriétaire en 1786 : « Lavoyepierre (de), rue St. Honoré, à l’hôtel des Américains, tient un des magasins le mieux assorti en comestibles rares & délicats. » [8].

Jean-Baptiste Labour et l’Hôtel des Américains

En 1788 ou 1789, le magasin de comestibles de l’Hôtel des Américains a été repris par Jean-Baptiste Labour, dont le contrat mariage de 1779 indique qu’il était déjà « marchand épicier » à Paris à cette époque.  

Les Tablettes royales de l’année 1789 [9] notent : « Labour, successeur de M. Delavoiepierre, hôtel des Américains, rue S. Honoré, près l’Oratoire, tient la plus grande collection de toutes sortes de comestibles les plus rares & les plus estimés de tous les pays, les gibiers rares, les poissons, les pâtés, les fruits, les vins & liqueurs des pays étrangers, & généralement tout ce qu’il y a de plus rare & de plus recherché. »

Une annonce parue dans l’édition d’Affiches, annonces et avis divers du 1er juillet 1789, soit deux semaines avant la prise de la Bastille, confirme que : « Le sieur Labour, successeur du sieur de la Voyepierre, rue S. Honoré, hôtel des Américains, près de l’Oratoire, a reçu des HARENGS SECS nouveaux, & des FROMAGES de Roquefort. Il reçoit 2 fois la semaine, des Sardines fraîches, légèrement imprégnées de Sel & il attend incessamment des sardines marinées à l’huile vierge. » [10]. Le contenu de l’annonce peut paraître décalé par rapport à la situation de pénurie de blé et de famine de la population parisienne lors de la Révolution …

Sous la direction de Jean-Baptiste Labour, secondé par son frère Laurent puis par ses neveux, le magasin de comestible de l’hôtel des Américains est resté un des meilleurs et des plus renommés de Paris. Voici ce qu’on pouvait y trouver en 1798 :

« Hôtel des Américains rue Saint – Honoré, près l’oratoire. On vient d’y recevoir des saucissons nouveaux de Bologne, d’Arles & Lyon, aussi des fromages vrais Gruyères, on y a toujours des dindes et poulardes aux truffes, pâtés aux truffes de Périgueux et de Nérac ; pieds de cochon et cervelets aux truffes, truffes fraîches du Périgord, hures & langues fourrées de Troyes, jambonneaux et fromages de cochon de Reims, huîtres, thon et anchois marinés, olives fraîches et farcies, fruits secs et confis de Tours et de Provence, pâte d’abricots, pommes et coings d’Auvergne, confitures et sirops de toutes espèces, marrons de Lyon et du Luc, chocolat de santé et à la vanille , biscottes pour les déjeuners liquides, vins de Bourgogne, Champagne, Bordeaux, du Rhin, d’Espagne, et de toutes sortes de vins français & étrangers, tablettes de bouillon incorruptibles, pâtés de Chartres, Rouen, Amiens, et Pithiviers, vinaigre préparé & simple, falot, fagou, kieife, gruau, et autres farineux, morues d’Hollande. » (Journal de Paris, 14 janvier 1798).

Au départ à la retraite de Jean-Baptiste Labour, le magasin est repris par ses neveux (Labour neveu et Mielle), qui participaient déjà activement à son activité et sa renommée. Dans l’Almanach du commerce de Paris, Jean-Baptiste Labour est noté comme propriétaire du magasin jusqu’en 1808. A partir de 1810, il est remplacé, à la rubrique « Marchands de comestibles », par « La Bour et Mielle, r. S.-Honoré, 147. »,

Dans son Manuel des amphitryons, publié en 1808 [11], le grand critique gastronomique Grimod de la Reynière fait de l’Hôtel des Américains le premier des magasins de comestibles de Paris voire d’Europe et rend un hommage vibrant à ses propriétaires successifs :

 « C’est un service à rendre aux Amphytrions, que de leur répéter sans cesse que l’Hôtel des Américains est le premier magasin de comestibles, non seulement de Paris, mais de l’Europe. Des correspondances sûres, très-étendues, très multipliées et très bien servies, dans toutes les parties de l’Univers gourmand, permettent à MM Labour, neveux (devenus par la retraite de leur oncle, seuls propriétaires de cette illustre maison, qu’ils gouvernoient déjà depuis long-temps avec une activité sans pareille,) d’avoir les comestibles les meilleurs de tous les pays ; et en raison de l’immense débit qu’ils en font, de les donner à des prix raisonnables. Aussi, du matin jusqu’au soir, la foule abonde dans cette boutique, que de vastes magasins alimentent et renouvellent sans cesse. C’est vraiment un spectacle aussi curieux, qu’il est intéressant et apéritif. Depuis dix heures du matin jusqu’à onze heures du soir, c’est une procession continuelle de piétons et de voitures, et personne ne s’en retourne à vide. (Rue Saint-Honoré, N°. 147) » .

Ce texte, probablement écrit en 1807, suggère que Jean-Baptiste Labour avait déjà passé la main à ses neveux à cette période.

De ce rapide historique, on peut conclure que notre étiquette et le bloc initial de 4 ont été très probablement édités entre 1789 et 1807-1808).

Emplacement de l’Hôtel des Américains, au 147 et 147bis de la rue St Honoré en 1806. Plan : Cadastre de Paris par îlot (1810-1836), rue Saint-Honoré, ilot 12. Archives de Paris https://archives.paris.fr/f/planspacellaires/tableau/?&crit1=12&v_12_1=Saint-Honor%E9+%28rue+%29

Aux origines des étiquettes de vin

Toute sa vie, Georges Renoy a traqué les étiquettes les plus anciennes, voire la plus ancienne. Il était arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas d’étiquette de vin connue éditée avant 1800. Il fait la démonstration que les étiquettes que l’on peut admirer en Allemagne, au musée de Beaune, ou dans la collection de Moët et Chandon, si elles arborent des millésimes antérieurs à 1800, sont de facture plus récente. 1800 était pour lui une date butoir et il avait proposé de nommer « incunable » toute étiquette de vin éditée avec certitude avant 1800.

Certaines sources [12, 13] voudraient que les étiquettes de vins telles que nous les connaissons actuellement soient nées avec la lithographie. La lithographie, rappelons le, a été inventée en 1793, brevetée en 1796, réellement opérationnelle pour une production commerciale à partir de 1810 [14], et utilisée dans la production d’étiquettes de vin à partir de 1830, d’abord en Allemagne, en Champagne et à Bordeaux avant de se généraliser à la fin du XIXe siècle.

Cette étiquette, comme plusieurs autres, tend à prouver qu’il n’en est rien. Les toutes premières étiquettes pour bouteilles de vin existaient lors de la seconde moitié du XVIIIe siècle, bien avant l’invention de la lithographie. Elles étaient imprimées sur des presses classiques. Quelle que soit l’origine géographique du vin, leur modèle était assez stéréotypé, impression en noir limitée au nom du vin encadré par une frise. Roland Moser les décrit ainsi : « Le format en est modeste, rectangulaire, parfois carré pour les liqueurs. Le seul élément imprimé est un cadre, décor de feuillages ou de guirlandes, un motif décoratif répété sur les quatre bords de l’étiquette, le cadre pouvant être doublé ou triplé… Des mentions peuvent y être imprimées mais le plus souvent l’espace central est libéré pour qu’on puisse y inscrire à la main une origine géographique ou un millésime ou le genre du breuvage contenu, liqueur ou vin. ».

Exemples d’étiquettes de vin de la fin du XVIIIe début du XIXe siècles non lithographiées

En voici quelques exemples de la période fin XVIIIe-début XIXe siècle, sans plus de précision. L’étiquette de vin du jura millésimé (Salins 1827) indique que ce type d’impression a continué à être utilisé au début du XIXe siècle. A l’opposé, l’étiquette du Vin de la Solitude (actuellement un Châteauneuf du Pape) daterait des années 1780 [15], ce qui en ferait la plus ancienne étiquette de vin actuellement connue.

La période d’activité de Jean-Baptiste Labour à l’hôtel des Américains (1789-1808) ne nous permet pas d’affirmer que notre étiquette est du XVIIIe siècle, hélas…. En revanche, elle nous permet de rêver un peu….

La rue Saint-Honoré en 1789. Nouveau plan routier de la Ville et Faubourgs de Paris, avec ses Principaux Edifices et Nouvelles barrières / par M. Pichon, Ingénieur Geographe ; Gravé par Glot ; E. Voysard sc. (1789). BnF Gallica. http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb406255146

La rue Saint Honoré au cœur de la Révolution française

En effet, il est certain que, compte tenu de la période d’activité de Jean-Baptiste Labour, notre étiquette a connu la Révolution française, la Terreur, ou le consulat, Georges Renoy avait vu juste. Et la rue Saint Honoré a été au centre de nombreux évènements liés à la Révolution [16]. Plus longue rue de Paris à l’époque, seule à assurer la circulation vers l’ouest (la rue de Rivoli, l’avenue de l’Opéra, l’avenue des Champs Elysées n’existaient pas), elle était proche du Palais Royal, des Tuileries, de la salle du manège des Tuileries où ont siégé les assemblées parlementaires. Le club des Jacobins (dont Laurent Labour, frère de Jean-Baptiste était membre) y tenait ses réunions au n° 308. Barère, l’abbé Seyiès, Marat et plus de 100 parlementaires ont logé dans les nombreux hôtels meublés de la rue « à proximité des Feuillants et des Tuileries » [16]. Maximilien Robespierre y résidait également, hébergé chez le menuisier Duplay au n° 366.

Tous les convois des condamnés à la guillotine sont passés par la rue Saint Honoré et devant l’Hôtel des Américains pour aller de la Conciergerie ou du palais de justice à la Place de la Révolution (actuelle place de la Concorde) où les exécutions ont eu lieu entre 1793 et 1794.

Aussi, on peut se laisser à rêver que notre étiquette a vu (ou entendu) passer les charrettes emportant des célébrités à l’échafaud. Par exemple celle de Danton le 5 avril 1794 (16 germinal an II) qui, lorsqu’il est passé devant la maison de Robespierre au n° 366, s’écria « Robespierre, tu me suis ! Ta maison sera rasée ! On y sèmera du sel ! ». Ou celle de Robespierre lui-même quelques mois plus tard, le 28 juillet 1794 (10 Thermidor), dont le convoi fut arrêté un instant devant sa maison et la façade barbouillée de sang de boucher [16, 17].

« Robespierre va à la Guillotine, insulté par ceux qui l’acclamaient la veille« 

Peinture d’Alfred Mouillard.

Reproduction photographique : Paris Musées, Musée Carnavalet

Liens et références :

  1. Georges Renoy. Le livre de l’étiquette de vin. Bruxelles, Racine, et Paris, Vilo, 1995
  2. Roland Moser. Les étiquettes anciennes du vin d’Alsace. Revue d’Alsace, septembre 2011 ; n° 137, pages 109-134. Consultable via le lien https://www.researchgate.net/publication/269537990_Les_etiquettes_anciennes_du_vin_d’Alsace
  3. La numérotation des rues parisiennes a changé à plusieurs reprises. La parcelle sur la quelle était l’Hôtel des Américains a eu les numéros successifs suivants :  n° 400 (système Terrier avant 1780), n°609 (systéme Royal 1780-1791), n° 170 (Section des Gardes Françaises 1791-1805), n°147-147 bis (système Empire après 1806), ce qui correspond au N° 143 de la numérotation actuelle. Source wikigeohistoricaldata : Rue Saint-Honoré – Parcelle n°147 (Empire) https://wiki.geohistoricaldata.org/Rue_Saint-Honor%C3%A9_-_Parcelle_n%C2%B0147_(Empire)
  4. Charles Lefeuve. Histoire de Paris, rue par rue, maison par maison. Paris, C. Reinwald, Leipzig, A. Twietmeyer, 1875. Consultable sur le site Gallica (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k202791k.image )
  5. Publicité parue dans le journal Le Fin de siècle du 4 avr. 1891, p. 4/4. L’Hôtel des Américains à son emplacement d’origine a été démoli au début du XIXe siècle, le magasin a été déplacé au 139 de la rue St Honoré.
  6. Papier du Terrier du Roi pour la ville de Paris, 1700. Index des rues du Quartier de la Ville (tome I) [AN Q1-1099-3/] – (Paris, France) – Terriers, compoix et cadastre 1666 – 1700
  7. Affiches des Trois-Évêchés, feuille hebdomadaire, édition du 20 mars 1777, page 47. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82691909/f3.image.r=(prOx:%20%22Hotel%22%202%20%22am%C3%A9ricains%22)?rk=42918;4
  8. Mathurin Roze de Chantoiseau. Tablettes royales de correspondance et d’indication générale des principales fabriques, manufactures et maisons de commerce d’épicerie-droguerie, cirerie, couleurs et vernis, grains, vins, fruits… et autres comestibles de Paris et autres villes du royaume et des pays étrangers pour l’année 1786. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5821581z/f25
  9. Mathurin Roze de Chantoiseau. Tablettes royales …. pour l’année 1789. Pages 24-25, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k42307h/f24.item
  10. Affiches, annonces et avis divers du 1er juillet 1789. Pages 1729-30.
  11.  Alexandre Grimod de La Reynière. Manuel des amphitryons…, par l’auteur de l' »Almanach des gourmands. Paris, Capelle et Renand,1808. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511814r/f228.item.r=(prOx:%20%22Hotel%22%202%20%22am%C3%A9ricains%22
  12. La petite histoire de l’étiquette de vin. Site de la maison Chamvermeil. https://www.chamvermeil.com/fr-fr/blog/autour-de-la-vigne-et-du-vin/petite-histoire-de-l-etiquette-de-vin.htm
  13. Pierre Citerne. Histoire des étiquettes de vin : un désir et un besoin. La Revue du vin de France, https://www.larvf.com/,vin-histoire-etiquette-bouteilles-de-contre-etiquette-lithographie-vins,4425392.asp
  14. Charles Lorilleux. Traité de lithographie : histoire, théorie, pratique / publié par la maison Ch. Lorilleux et Cie, Paris, 1889. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5743370d.texteImage
  15. Robert Bailly. Histoire Du Vin En Vaucluse Domaines Vinicoles Historiques, Avignon, Orta, 1972.
  16. Robert Hénard. La rue Saint-Honoré, des origines à la Révolution. Paris, 1909
  17. Wkipedia France. Exécution de Maximilien de Robespierre. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ex%C3%A9cution_de_Maximilien_de_Robespierre#:~:text=Aussit%C3%B4t%20apr%C3%A8s%20sa%20chute%2C%20le,10%20thermidor%20(%2028%20juillet%20).

© Texte posté le 13/08/2025

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des copies d’écran des sites internet des producteurs ou distributeurs. L’alcool est dangereux pour la santé, A consommer avec modération.

Un Mumm pour une diva…

Cette étiquette ancienne de « Champagne Patti » met en lumière plusieurs personnalités de la France de la seconde moitié du XIXe siècle, bien oubliées de nos jours : Jules Mumm, acteur éphémère de l’histoire mouvementée de la maison de Champagne Mumm, Adelina Patti, cantatrice célèbre à l’époque, mais aussi un des premiers photographes de stars et un graveur historique parisiens .

Le Champagne Jules Mumm

Le Champagne Mumm et sa cuvée Cordon Rouge, tout le monde connait.

La maison Mumm a été fondée à Reims en 1827 par 5 Allemands, trois frères Mumm originaires de Francfort, Gottlieb (1782-1852), Jacobus (1779-1835) et Philipp (1782-1842), associées à Friedrich Giesler, originaire de Rhénanie, et G. Heuser dont on sait moins de choses sinon qu’il possédait déjà une maison de négoce de vin à Reims et était marié à une épouse champenoise. La société s’est appelée initialement P. A. Mumm, Giesler & C°, la mention P. A. faisant référence à Peter-Arnold Mumm (1733-1797), père des trois frères Mumm, ancien banquier devenu en 1761 un important négociant exportateur en vins de Rhénanie, qui les a probablement financés.

Délicate étiquette lithographiée bleu et argent sur fond blanc des origines de la maison Mumm. ( P.A. Mumm & C°)  et l’un des premiers millésimes,1846.

Très rapidement, la maison Mumm P.A. et C° exporte près de 70 000 bouteilles par an sans posséder de vignes ou presque, grâce à une politique d’achat de raisin ou de vin de haute qualité et un réseau de revente étendu. Les acquisitions importantes de vignes par Mumm sont postérieures à 1880.

Heuser quitte la société en 1830, Giesler fonde sa propre maison de Champagne à Avize en 1837.

A la mort en 1852 du dernier des 3 frères fondateurs, Gottlieb, les associés se séparent et constituent deux sociétés indépendantes qui restent toutefois étroitement liées à la « maison mère » Peter Arnold Mumm en Allemagne :

  • G. H. Mumm & Co par Georges Hermann Mumm (1816-1887), fils de Gottlieb, associé à un Français, Guillaume de Bary.
  • Jules Mumm & Co par Jules Mumm (1809-1863), fils de Jacobus.

C’est Jules Mumm et C° et « les aînés et les plus anciens associés » qui conservent le siège social de la maison mère, comme  l’explique ce document publicitaire du Champagne Jules Mumm, un marque page /tarif  datant de 1893 et illustré par Maurice Réalier-Dumas.

Marque page publicitaire des Champagne Jules Mumm et C°, vers 1893 (113 x 32 mm)
Verso du marque-page publicitaire servant de tarif pour les Champagne Jules Mumm et C°

La scission est relativement courte. En difficulté financière à partir de 1903, la maison Jules Mumm & C° est dissoute en 1910 et partiellement rachetée par G. H. Mumm et C° (y compris la marque déposée « Jules Mumm »).

C’est ensuite l’ascension phénoménale de la maison G. H. Mumm & C° jusqu’à la première guerre mondiale ; sa confiscation par la France en 1914 (Georges Hermann Mumm étant resté allemand, bien qu’il ait déposé en 1876 l’habillage au fameux cordon rouge en hommage à la légion d’honneur française) ; la vente aux enchères en 1920 à la Société Vinicole de Champagne ; la reprise par le fils de Georges Hermann au nom du 3ème Reich de 1940 à 1945 ; puis une nouvelle « francisation » de la société, qui s’est appelée à partir de 1946 « G. H. Mumm & C°, Société Vinicole de Champagne, Successeurs », nom que l’on peut voir sur les étiquettes de l’époque jusqu’au rachat par Seagram en 1985 ; puis les reventes successives à d’autres groupes internationaux de vins et spiritueux [1, 2].

Etiquettes du Cordon Rouge G.H.  Mumm & C° millésimes 1913 et 1921 : ajout de la mention « Société Vinicole de Champagne successeurs », d’abord par un tampon apposé sur les étiquettes antérieures à 1920, puis imprimée dans la nouvelle étiquette à partir de 1920.

Le renouveau du Sekt Jules Mumm

Rebondissement récent, des bouteilles de vin pétillant « Jules Mumm » sont réapparues sur le marché. Les vins sont produits en sec, demi-sec et rosé par la société Rotkäppchen-Mumm Sektkellereien GmbH à Freyburg en Allemagne (région viticole du Rheingau). L’explication : l’historique maison de vins mousseux Rotkäppchen a ajouté le nom de Mumm, car elle a racheté en 2000 les marques « Mumm », « Jules Mumm » et « MM Extra » à Seagram, à l’exception du champagne Mumm, qui a été racheté par Pernod Ricard. L’histoire n’est pas terminée car, à son tour selon la rumeur courant en 2025, Pernod Ricard chercherait à revendre la maison de Champagne Mumm …

En ce qui concerne le sekt Jules Mumm, un site de vente sur internet prend un certain risque juridique dans sa notice, qui se veut alléchante malgré une version française approximative : « Le Medium Dry de Jules Mumm séduit par sa perlage vivante et ses arômes fruités de physalis, papaye et mangue.  (…). Fabriqué dans le renommé Rheingau, ce champagne promet un morceau de tradition viticole allemande dans chaque gorgée » [3].

Champagne ? Vous avez bien lu : champagne de tradition viticole allemande ?

Adelina Patti

 Entre les années 1870 et 1890, la maison de Champagne Jules Mumm alors en plein essor, a dédié une cuvée spéciale à la diva Adelina Patti.

Adela Juana María Patti (1843-1919), dite Adelina Patti, était une chanteuse lyrique espagnole célèbre de la fin du XIXe siècle. Issue d’une famille de musiciens, formée aux USA, précoce (début de carrière à 9 ans), dotée, comme la Malibran un peu avant elle, d’une tessiture étendue (soprano colorature) et d’une qualité de chant remarquable, elle a triomphé sur toutes les scènes du monde, joué et chanté de nombreux rôles avec une prédilection pour l’opéra italien et français. La longévité de sa carrière (plus de 50 ans) a été exceptionnelle. Elle s’est mariée avec un marquis de Caux, puis remariée deux fois après divorce en gardant le titre de marquise. « La marquise de Caux sera chez elle samedi soir ; la Patti chantera » écrivait-elle sur ses invitations.

Considérée comme la dernière des grandes divas du XIXe siècle, « La Patti » est enterrée au Père Lachaise [4]. On peut encore entendre sa voix, enregistrée en 1905 ou 1906 sur disques 78 tours [5, 6].

Charles Reutlinger et Moïse Stern…

Le portrait gravé d’Adelina Patti reproduit sur l’étiquette (Stern, graveur à Paris) a été réalisée à partir d’une photographie de Charles Reutlinger. Ce photographe d’origine allemande, fondateur en 1850 de l’un des plus importants studios de photographie parisiens, s’était spécialisé dans les portraits de personnalités célèbres [7]. La photographie originale est conservée au musée Carnavalet de Paris.

Adelina Patti. Photographie de Charles Reutlinger

C’est probablement la même photographie qui a inspiré Gustave Doré, auteur d’une gravure en couleur du portrait d’Adelina Patti, qui reprend avec quelques nuances le profil gauche avec pendant d’oreille et fleur blanche dans la coiffure.

Adelina Patti. Gravure de Gustave Doré

L’étiquette de « Champagne Patti » a été produite par le célèbre atelier-boutique de gravure Stern, ouvert à Paris en 1834 par Anselme Aumoitte et Moise Stern. Il réalisait tous les travaux d’imprimerie et de gravure, en particulier des cartons d’invitation, des menus, des cartes de visite pour une clientèle prestigieuse, noblesse et haute bourgeoisie, ambassades, grandes sociétés, l’Elysée [8]. Stern a fusionné en 2018 avec Boisnard, un autre imprimeur graveur parisien, et l’activité existe toujours en 2025 au sein du groupe des établissements Lavrut [9].

La boutique-atelier historique, classée et aujourd’hui occupée par le Caffè Stern [10], est toujours visible à Paris, au 47 passage des Panoramas à Paris.

Liens et références :

  1. Pour en savoir plus sur l’histoire mouvementée de la maison de Champagne Mumm, on peut lire les chapitres consacrés à cette grande maison dans l’encyclopédie  « l’histoire du Champagne » du Colonnel François Bonal, une référence … https://maisons-champagne.com/fr/encyclopedies/histoire-du-champagne ,
  2. Mais aussi en consultant le site « Champagner.com » de M. Karl Schnürch (basé au Seychelles !), très documenté :  https://champagner.com/fr/glossaire-2/mumm/
  3. Site de vente Vinello. https://www.vinello.fr/medium-dry-jules-mumm
  4. Site des amis du Cimetière du Père Lachaise. Monument funéraire d’Adelina Patti : Division 4, avenue principale, 1ère ligne. https://www.appl-lachaise.net/patti-adelina-baronne-cederstrom-1843-1919/
  5. L’air des bijoux. Faust de Gounot, enregistré en décembre 1905 au domicile d’Adelina Patti, à Craig-y-Nos (Pays de Galles). Piano : by Landon Ronald. Disque 78 tours His Master’s voicie. The Gramophone  Co. https://www.youtube.com/watch?v=fB6BEQ-9TDg
  6. Site Gallica de la Bibliothèque nationale de France. La sonnambula. Ah ! non Credea mirarti / Bellini, compositeur. ; Adelina Patti, Soprano ; Alfredo Barili, piano. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1284249
  7. Charles Reutlinger (1816-1880), photographe. Site de la Comédie Française https://comedie-francaise.bibli.fr/index.php?lvl=author_see&id=12496 ; ou National Portrait Gallery https://www.npg.org.uk/collections/search/person/mp82485/charles-reutlinger
  8. Stern Graveur. Notice Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Graveur_Stern#:~:text=Graveur%20Stern%20ou%20Stern%20Graveur,galerie%20des%20Vari%C3%A9t%C3%A9s%20(Paris).
  9. https://www.ets-lavrut.com/les-marques/boisnard-stern
  10. Site du restaurant CAFFÈ STERN, Paris. https://alajmo.it/fr/pages/homepage-caffe-stern

© Texte posté le 22/05/2025

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur. Les boissons alcoolisées peuvent être dangereuses pour la santé et sont à consommer avec modération.

Charles Spindler et la légende des 3 épis

L’Alsace étant étroitement liée à Sainte Odile, sa patronne, on pourrait croire que cette étiquette de René Neymeyer, propriétaire et négociant à Ingersheim en Alsace, lui rend hommage. En fait, c’est la Sainte Vierge qui est représentée à gauche de l’étiquette, et avec elle la légende alsacienne dite des trois épis.

Selon cette légende, le 3 mai 1491, sur la montagne du Habthal à Ammerschwir, la Sainte Vierge est apparue à un forgeron se rendant au marché voisin [1, 2]. Voilée de blanc, tenant dans sa main droite 3 épis de blé et dans la gauche un grêlon, elle dit au forgeron, prostré :

« Relève-toi, brave homme, et écoute. Vois ces épis. Ils sont le symbole de l’abondance des belles moissons qui viendront récompenser les êtres vertueux, généreux, et apporter le bien-être et le bonheur dans les foyers des fidèles chrétiens. Quant à ce glaçon, il signifie que la grêle, la gelée, l’inondation, la famine et tout son cortège de désolation et de malheurs viendront punir les mécréants dont la gravité des péchés a pu lasser la miséricorde divine. Va, bonhomme, descends dans les villages et annonce à tous les habitants le sens de ces prophéties »

Le forgeron, fortement impressionné, n’en parla à personne, acheta un sac de blé, mais il ne put le lever du sol ni le hisser sur sa mule. Ce n’est qu’après avoir transmis le message divin qu’il put emporter son sac de blé.

Eglise Notre Dame de l’Annonciation, au Trois Epis, édifiée en 1967, inaugurée en 1968

A l’endroit de l’apparition, a été construite une chapelle en bois puis en pierre (inscription de 1493) [3], ainsi qu’un monastère (rédemptoriste). L’église actuelle « Notre Dame de l’Annonciation » a été édifiée en 1967. Rebaptisé « Les trois épis », le lieu-dit de l’apparition est actuellement un hameau touristique [4] partagé entre trois communes du Haut Rhin, Ammerschwihr, Turckheim et Niedermorschwihr.

Les illustrations de cette étiquette sont l’œuvre de Charles Spindler (1865 -1938), célèbre peintre, ébéniste, écrivain, photographe et illustrateur alsacien. La vierge est bien représentée voilée de blanc et tenant les 3 épis, mais on ne voit pas le glaçon. La collerette de l’étiquette complète l’histoire, montrant le forgeron incapable de soulever son sac de blé et la mention de l’année 1490.

D’autres vignerons et maisons de vins d’Alsace ont fait appel à Charles Spindler pour illustrer leurs étiquettes. La bibliothèque Forney à Paris en conserve 3 exemplaires de l’imprimerie Camis (Paris) datant des années 1920 : celle de René Meymeyer, ancêtre de notre étiquette, une crée pour le Clos Sainte Odile du viticulteur Pierre Weissenburger d’Obernai et la dernière pour Victor Christophe, un propriétaire de Barr [5].

Etiquettes illustrée par Charles Spindler, © Bibliothèque Forney, Paris

Dans les années 1900, Emile Boeckel, patron d’une autre grande maison (Vins d’Alsace Boeckel, 67140 Mittelbergheim), avait également commandé à Charles Spindler une étiquette dont le modèle a été utilisé jusqu’au début des années 2010. Le site de la maison en présente un exemplaire datant de 1918 [6] et en voici un exemplaire des années 1980.

La Maison Spindler créée par Charles Spindler existe toujours. C’est une entreprise du patrimoine vivant spécialisée en marqueterie d’art. Elle est dirigée depuis 1975 par Jean-Charles Spindler, le petit-fils du fondateur. Sur le site, à la rubrique « Histoire/amitiés et collaborations artistiques », une publicité de Charles Spindler pour le Clos Sainte Odile (différente de l’étiquette) y est représentée [7].

Illustration publicitaire de Charles Spindler pour le Clos Sainte Odile, Pierre Weissenburger, Obernai. © Maison Spindler

Liens et références :

[1] Notre Dame des trois épis. http://ndtroisepis.fr/notre-dame-des-trois-epis/

[2] https://lalumierededieu.eklablog.com/trois-epis-p32586

[3] Philippe Boutry.  Dévotion et apparition : Le « modèle tridentin » dans les mariophanies en France à l’Époque moderne. Siècles, 2000, N°12, pages 115-131. doi.org/10.4000/11v0h. https://journals.openedition.org/siecles/11828

[4] Chambre d’hôtes « LES IRIS », Trois Epis. https://www.iris68.fr/fr/page/les-trois-epis

[5] Ville de Paris. Bibliothèques patrimoniales. Etiquettes commerciales vin d’Alsace. Bibliothèque Forney, Paris.  https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0001068050/0004/v0001.simple.selectedTab=record

[6] Etiquettes célèbres de la maison de vins d’Alsace Boeckel . https://www.boeckel-alsace.com/etiquettes-celebres-8.html

[7] Site de la maison SPINDLER, marqueterie d’art. https://www.spindler.tm.fr/fr/

https://www.spindler.tm.fr/fr/galerie/la-tradition-spindler/22-mobilier-objets-decoratifs/22-collaborations-artistiques

Pour en savoir plus, à lire également ….

[8] Roland Moser, « Les étiquettes anciennes du vin d’Alsace », Revue d’Alsace [En ligne], 137 | 2011, mis en ligne le 01 septembre 2014, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/alsace/1198  ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.1198

© Texte posté le 06/10/2024

Les étiquettes de vin illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur ou des sites internet consultés.

Etiquettes et blasons

Comme toute collectionneuse ou tout collectionneur,  l’œnographile amasse des étiquettes de vin (ou d’alcool), les trie, les classe, et commence en général par une approche régionale, le plus souvent par appellation. Puis, immanquablement, arrive une très belle étiquette décorée, un tableau moderne, la commémoration d’un personnage célèbre, d’un évènement sportif, musical, culturel ou historique, un hommage au travail de la vigne …

Alors,  le besoin se fait sentir de constituer des thématiques, dont quelques-unes auront sa préférence et seront approfondies. Parmi elles, l’héraldique, les blasons et armoiries, constituent une thématique de choix. Il faut reconnaître que les étiquettes de cette thématique sont impressionnantes, parfois énigmatiques, toujours richement décorées et colorées, comme le confirmeront quelques spécimens reproduits dans cette page.

Même si les armoiries n’étaient pas réservées aux nobles et au clergé, l’héraldique renvoie à la chevalerie et la noblesse, et l’étiquette armoriée confère, à juste titre ou non, des valeurs d’ancienneté, de sérieux et d’excellence au domaine ou au vin qu’elle représente.

Cette étiquette de Sauternes Château ROCARD 1922 devrait intéresser les amateurs de cette thématique. Non qu’elle affiche des armoiries flamboyantes… Mais par le texte du petit bandeau vert qui souligne le modeste blason.

Il rappelle et célèbre un édit royal de du 22 novembre 1696 dont j’ignorais tout. Cet édit de Louis XIV « porte création d’une Grande Maîtrise, établissement d’un Armorial général à Paris, et création de plusieurs maitrises particulières dans les provinces » [1].

Le but avoué dans le préambule du texte de l’édit royal était de recenser toutes les armoiries existantes en France et d’en réglementer le port, afin d’éviter les usurpations, plagiats, appropriations abusives et les conflits qui s’ensuivaient.

Mais l’autre objectif, inavoué et malin, était de faire rentrer de l’argent dans les caisses du royaume, vidées par les précédentes guerres. En effet, l’inscription des armoiries dans l’Armorial général était payante : 20 livres pour les particuliers, 40 livres pour les comtés et marquisats, 50 pour les duchés et pairies, 50 livres aussi pour les évêchés, les cathédrales et les abbayes, 100 pour les grandes villes ou les archevêchés, et jusqu’à 300 livres pour les provinces, pays d’Etat et grands gouvernements. Une amende était prévue pour l’usage d’un blason non enregistré !

Malgré cela, l’initiative n’eut aucun succès. Les particuliers furent totalement réfractaires à l’enregistrement obligatoire, les charges de commissaires créées pour l’occasion afin de sillonner les provinces ne trouvèrent peu ou pas de candidats. Des mesures d’incitation puis de coercition n’évitèrent pas l’échec de l’entreprise et son abandon 4 ans plus tard.

Cet édit nous laisse quand même, outre un enregistrement même incomplet des principales armoiries de l’époque [2], quelques enseignements :

Le premier, assez peu connu, est que le système des armoiries était totalement libre, non réglementé et non réservé à la noblesse, comme l’explique l’avocat Pierre-Jean Ciaudo [3] : « Bien que leurs racines soient guerrières, et  donc nobiliaires, elles (les armoiries) se généralisent à l’ensemble de la société dès le XIIIème siècle où l’on connaît des bourgeois, puis au XIVème des paysans, qui les utilisent pour sceller leurs contrats. D’abord signe de reconnaissance dans les combats, puis expression sigillaire pour l ‘authentification des actes juridiques, leur extension est telle qu’elles deviennent même des marques de fabrique pour les artisans ».

Le second est que cet édit est la première (et a priori la dernière) tentative de l’état français à s’immiscer dans une quelconque régulation ou contrôle des armoiries.

Le troisième, mais là ce n’est pas une surprise, est que l’inventivité des gouvernants est sans limite pour essayer de remplir les caisses de l’état, et ce de tout temps !

Extrait de l’Armorial de France de Charles D’Hozier, généralité de Chalons

Liens et références :

1. Édit… portant création d’une grande maistrise générale et souveraine, et établissement d’un armorial général à Paris, ou dépost public des armes et blasons du Royaume ; et création de plusieurs maistrises particulières dans les provinces… Registré en la Chambre des Comptes Louis XIV (1638-1715; roi de France). https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86019266.image

2. Charles D’Hozier. Armorial général de France. BNF. Accessible via le site du centre de recherches du Château de Versailles. https://www.chateauversailles-recherche.fr/francais/ressources-documentaires/corpus-electroniques/sources-manuscrites/armorial-general-de-france-par.html

3. Pierre-Jean Ciaudo. L’application de l’édit de novembre 1696 dans la région grassoise. Cahiers de la Méditerranée  Année 1977  15  pp. 49-73. https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_1977_num_15_1_1441

© Texte posté le 30/11/2021

A part la première, les étiquettes illustrant cet article sont issues de la collection de l’auteur. Choix a été fait de ne sélectionner que des blasons et armoiries comportant du bleu, pardon d’Azur… et des étiquettes décollées qui ont vécu et en gardent quelques traces. Parce que la couleur bleue est assez rare sur les étiquettes et qu’elle ressort particulièrement bien. Et puis aussi parce que ce texte a été débuté avec l’épopée écourtée des bleus lors de l’euro de football et terminé le jour de la victoire historique d’autres valeureux bleus face à l’équipe de Nouvelle Zélande!

Le vin de la comète

(Dimensions de l’étiquette originale :  95 x 55 mm)

Voici une étiquette lithographiée de Champagne (Sillery Mousseux) du XIXème siècle, destinée à l’export aux Etats Unis d’Amérique et célébrant, comme son nom COMET l’indique, une comète.

De quelle comète s’agit-il, la comète qui a donné son nom au « vin de la comète » ou une autre comète ?

1. La grande comète du « vin de la comète » 

Le vin de la comète, surtout le vin de Champagne, a été longtemps célébré tant par les vignerons que les poètes [1]:

Le soir, déjà ; son traîneau glisse,

Si vite qu’il effraie les gens ;

Le givre luit sur sa pelisse

Et tremble en poussière d’argent.

Il file chez Talon; il dîne

En compagnie de Kavérine.

Il entre — un jet mousseux d’Aÿ

De la comète qui jaillit (…)

(Pouchkine, Eugène Onéguine, 1823-1831)

La comète du « vin de la comète » est la grande comète de 1811, appelée aussi Comète de Napoléon. Personne ne se souvient de son vrai nom (C/1811 F1) ni de celui de son découvreur (Honoré Flaugergues, astronome amateur français). Personne n’attend son retour car sa périodicité est de plus de 3000 ans et elle ne repassera pas à proximité de la terre avant l’année l’an 4906 du calendrier occidental !

La grande comète de 1811 a marqué les esprits et les vignerons pour deux raisons principales : son caractère spectaculaire, avec une très longue queue, visible pendant 9 mois consécutifs (entre mars 1811 et le début de 1812 et particulièrement pendant les vendanges de 1811), et l’association à des conditions climatiques optimales qui ont conduit à un millésime exceptionnel pour le vin, tant en qualité qu’en quantité. Surtout en Champagne. Pour les maisons champenoises, cette année salvatrice a fait suite à plusieurs années catastrophiques et un marché international, en particulier russe, sinistré par les guerres napoléoniennes. Ce que décrit très bien Roger Pourteau dans un article publié dans le Figaro le 19/03/2011 [2] :

« C’est en 1814 que le millésime de la comète révéla toutes ses qualités. Après trois années détestables (1805, 1808 et 1809), la vendange 1811, commencée en septembre (un gage de réussite), a mis un terme à une série noire qui menaçait plus d’une maison. Pour la Veuve (Cliquot), le salut vint de Russie où étaient parvenus des échos flatteurs du « vin de la comète ». Commandes massives donc assorties d’une exigence : que les bouteilles soient identifiées par une vignette portant la mention «Vin 1811 de la comète». Réalisées à la main, elles furent les toutes premières étiquettes de la Champagne, l’usage n’en sera généralisé que quarante ans plus tard. »

Je ne connais pas d’exemplaires originaux d’étiquettes de vin de la comète. Comme le précise l’article du Figaro [2], les étiquettes du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin commandé en Russie étaient manuscrites, et il n’y en a aucune trace connue (peut-être y en a-t-il dans des archives russes non encore publiées ?).

Par contre, je dispose d’une série de fac-similés d’étiquettes des origines de la maison Moët et Chandon éditée dans les années 1960. Les reproductions concernent des étiquettes du début du XIXème siècle et de la fin du XVIIIème. Parmi elles, une étiquette de Jean Rémy Moët (1758-1841, petit-fils de Claude Moët fondateur de la marque) porte la mention, également manuscrite à l’origine, de « vin d’Aÿ blanc crémant de 1811 ».

L’étiquette a la forme en écu de l’étiquette de la cuvée Dom Pérignon et arbore comme elle, en bas, une étoile à 5 branches, rappel stylisé de la comète de 1811. Etoile qui figure constamment sur la quasi-totalité des étiquettes de Moët jusqu’à nos jours….

2. La comète de Halley

La plus connue est la comète de Halley, qui passe à proximité du soleil et est donc visible de la terre tous les 76 ans : 1986, 1910, 1835, 1758, etc…

Trois passages peuvent avoir été commémorés sur des étiquettes de vin : 1986, 1910 et 1835 puisqu’en 1758 et avant, les étiquettes telles que nous les connaissons, imprimées sur papier et collées sur les bouteilles, n’existaient pas. On considère en effet que les premières étiquettes imprimées datent de 1800 ou de la toute fin du XVIIIème siècle [3]. L’essor de l’étiquetage nait avec la lithographie, inventée dès 1798. Mais les premières étiquettes de vins lithographiées ne sont apparues qu’à partir de 1820 et étaient réservées aux vins de haut de gamme, vins allemands, puis vins de Champagne, de Bordeaux et de Bourgogne.

Cette étiquette « COMET » de Sillery mousseux commémore-t-elle le passage de 1910 ou de 1835 ?  Difficile à affirmer en l’absence de millésime. Mais le style de l’étiquette lithographiée et les inscriptions peuvent tout à fait correspondre au début du XIXème siècle. Une étiquette de Sillery millésimée 1834, conservée par la médiathèque d’Epernay et reproduite dans le livre L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles [4] est très proche graphiquement. Donc on pencherait plutôt pour une commémoration du passage de la comète de Halley en 1835…

Pas d’ambiguïté de comète ni de datation (1835) avec la magnifique étiquette de Sillery première qualité de la maison Renaudin Bollinger « Haley’s comet brand », destinée au marché américain, reproduite dans le livre de référence « L’étiquette du Champagne » de Georges Renoy [5].

Le passage de la comète de Halley en 1986 a également été l’occasion d’étiquetage commémoratif, et pas uniquement en Champagne !

3. Traces de comètes sur étiquettes célèbres

De nombreuses étiquettes et bouchons de Champagne, anciens ou actuels, gardent une trace de la grande comète de 1811.  Les deux plus beaux exemples sont les champagnes Veuve Cliquot Ponsardin et Moët et Chandon.

La comète du Champagne Veuve Cliquot Ponsardin

Les étiquettes de Veuve Clicquot Ponsardin ont affiché, depuis l’époque de la première comète jusque dans les années 1980, une étoile et une queue de comète au centre d’un cercle portant en périphérie les noms V CLIQUOT P et WERLE. [6]

Hélas, la comète des origines a disparu des étiquettes de la maison à partir des années 1980, remplacée par l’autre symbole de la maison : l’ancre de marine. Exit aussi le nom et la référence à Edouard Werlé, jeune employé (1821) puis associé (1830), puis successeur de Madame Clicquot à son décès en 1866. Il a également été maire de Reims 1852 à 1868, député de Reims de 1862 à 1870, commandeur de la légion d’honneur, président du tribunal de commerce, conseiller général de la Marne et président honoraire du syndicat des vins de Champagne….. Un personnage important, donc.

Trois étapes de la célèbre étiquette jaune du Champagne Veuve Clicquot Ponsardin, la dernière version avec la comète (fin des années 1970), la première sans (années 1980) et la version actuelle (années 2010-2020). (collection de l’auteur)

Les bouchons de la maison Veuve Cliquot Ponsardin ont également arboré la comète complète ou l’étoile seule pyrogravées (illustration), rejoints par de très nombreux producteurs.

C’est d’ailleurs ce qui a permis l’identification de bouteilles de Champagne lorsque des plongeurs ont remonté en juillet 2010 du fond de la mer Baltique 168 bouteilles de champagne, dont 47 de Veuve Clicquot facilement identifiées grâce à la marque apposée sur les bouchons représentant la comète [2]. Auparavant, les bouchons de la Veuve étaient marqués de l’ancre, symbole d’avenir et de prospérité, qui a détrôné la comète sur les étiquettes.

La comète du Champagne Moët et Chandon

Chez Moët, comme on l’a vu, pas de comète complète, mais une simple étoile, présente depuis les origines sur quasiment toutes les étiquettes de la maison (sauf quelques étiquetages pour l’export). Mais si l’étoile est toujours présente, elle diminue nettement en taille (illustration), témoin volontaire ou non de l’éloignement progressif de la comète des origines mais aussi de l’amnésie progressive de la symbolique de la comète après plus de 150 ans….

Trois étapes de l’étiquette de cuvée brut impérial de Moët et Chandon, l’étoile se rétrécit, comme la comète qui s’éloigne….

(Collection de l’auteur)

Les comètes s’éloignent de la terre et disparaissent des étiquettes…

Les étiquettes de la  maison de champagne Delamotte Père et Fils (Le Mesnil sur Oger) arboraient une des plus belles comètes, d’abord sur la collerette, puis sur les étiquettes, déclinées en plusieurs couleurs. Mais là encore, les dernières versions des étiquettes de cette maison ont abandonné la comète et ont évolué vers une assez triste austérité.

Même constatation pour la discrète comète des Champagne Bollinger, présente sur certaines séries d’étiquettes de la fin du XIXème siècle, encore présente sur quelques étiquettes des années 1970, dont celle la célèbre cuvée Vieilles Vignes Françaises, avant de totalement disparaitre au cours des années 1980.

Etiquettes Bollinger du XIXème et plus récentes de la cuvée Vieilles vignes françaises, avec puis sans symbole de la comète (collection de l’auteur)

On remarque que la plupart des grandes maisons de Champagne qui affichaient ou affichent encore des comètes sur leur étiquettes ont été créées à la fin du XVIIIè siècle (Moët et Chandon 1742, Delamotte P et F 1760, Veuve Cliquot Ponsardin 1772, Heidsieck 1785) et étaient donc en pleine activité au moment du passage de la comète de 1811.   Simple coïncidence ?

Pour la maison fondée en 1838 à Aÿ par William Deutz et Pierre Geldermann, devenue Deutz tout court dans les années 1980, l’apparition de la comète fut éphémère…

4. Vin de la comète, vin d’exception…

Mais si on se base sur l’évolution des étiquettes de ces maisons de Champagne, force est de constater que la référence à la comète comme symbole d’un vin exceptionnel s’estompe voire disparait totalement des cerveaux des femmes et hommes de marketing champenois actuel. Il faut dire que plus de 200 ans ont passé et que le symbole a quand même tenu le coup pendant plus de 150 ans….

Quelques cuvées modernes continuent pourtant à se revendiquer d’une comète, non pas d’un moment précis ou d’une comète identifiée, mais d’une comète en général. C’est le cas (liste non exhaustive) d’un Sancerre (domaine Paul Prieur et Fils), d’un Crémant de Loire (Vincent Esnou, domaine de la Belle Etoile), d’un Jurançon sec (Maxime Salharang, Clos Larrouyat, Maison Dubecq), d’un autre Jurançon vendanges tardives cette fois (Pascal Labasse, domaine de Bellegarde), d’un vin blanc du domaine des Grillons (Côtes du Rhône), ainsi que d’une cuvée « queue de comète » (Cotes du Rhône blanc, domaine Gramillier).

Reprenant l’association entre millésime exceptionnel et comète, un vigneron a nommé « cuvée de la comète » une vendange tardive particulièrement réussie en 2017, alors que 2018, 2019 et 2020 n’avaient rien donné. Sa réponse à la question  « Pourquoi une cuvée Comète ? »  a été étonnante : « Parce qu’une comète ça passe, et on ne sait pas quand elle reviendra » Affirmation sympathique, mais totalement infondée car, comme on l’a vu, si les années exceptionnelles sont imprévisibles pour le vin, les calculs des astronomes sont d’une grande fiabilité pour établir la périodicité de passage de toutes les comètes connues !

5. Pluie de comètes sur étiquettes et collerettes…

Toute référence à la comète n’a donc pas disparu de nos étiquettes de vins. Amis collectionneurs, regardez vos étiquettes, de Champagne surtout. Vous serez surpris de découvrir ici ou là une comète stylisée, une étoile, soit sur l’étiquette elle-même, soit plus discrètement sur la collerette seule comme dans les quelques exemples montrés ici.

Liens et références :

1. Le vin de la comète. Blog Au bon clos. Publié le 12 septembre 2011.

2. Roger Pourteau. La comète de 1811 veille encore sur Veuve Clicquot. © Le Figaro, publié  le 19/03/2011 ;

3. Georges Renoy. Le livre de l’étiquette de vin. © Bruxelles, Racine/ Paris, Vilo, 1995

4. Marie-Thérèse Nolleau Pierre Guy. L’image du Champagne De la Belle Epoque aux Années folles, © 2015, Gueniot Dominique Editions

5. Georges Renoy. L’étiquette du Champagne. Editions Racine, 1996.

6. Les femmes et les maisons de Champagne. Veuve Cliquot Ponsardin. Reims Champagne actu, publié le 21 juin 2006.

© Texte posté le 31/10/2021, mis à jour le 25/10/2024 et le 06/01/2025

LA SUITE ….

  1. Un dimanche de fin novembre, on débouche une bouteille de Vouvray, et devinez ce que je découvre, gravé sous le bouchon ?

2. Pour illustrer notre propos, voici un petit jeu : quelle est la différence entre ces deux étiquettes de Champagne brut rosé de Damery ? Un indice : la première est probablement antérieure à 1992, la seconde postérieure …

Autre indice, c’est sur la collerette que ça se passe ! Eh oui, le vigneron a voulu apposer sur son étiquette le logo « point vert », attribué depuis 1992 aux entreprises qui contribuent financièrement au dispositif de recyclage de l’emballage. Et hop, bonjour le point vert et adieu la comète, une nouvelle fois !

L’arrière grand-père parti vendre son vin au Tsar de Russie

(Dimensions de l’étiquette originale :  140 x 100 mm)

Parmi les étiquettes de ma collection, celle-ci est l’une des plus chargées d’émotions. Il était bien connu dans ma belle-famille qu’un ancêtre, Bernard François (1852-1930) était parti à la fin du XIXe siècle en Russie pour vendre du vin, et avait réussi au point de devenir « fournisseur officiel de Sa Majesté l’Empereur de Russie ».

Retrouver dans les années 1980, au fond d’un tiroir de commode de la maison de famille, une série d’étiquettes lithographiées de cette époque en excellent état a déjà été pour le jeune collectionneur que j’étais un moment d’émotion intense.

Le second événement marquant s’est produit lorsque mon épouse a retourné un petit cadre conservé par son père Jacques François (petit-fils du négociant, 98 ans à l’heure ou sont écrites ces lignes) célébrant le brevet de fournisseur officiel de la cour impériale. 

Au dos de ce carton, quelques mots manuscrits destiné à son fils de 8 ans (Bernard François, 1885-1943, futur médecin à Fayl-Billot), dont voici la transcription:

A mon cher enfant

Son père

B. François

Retour d’un 1er voyage en Russie (St Petersbourg Moscou et Varsovie)

Fays Billot 12 mars 1893

Pourquoi Bernard François avait-il rejoint, depuis sa Haute-Marne natale, un certain Paul Mazet pour reprendre une maison de négoce en vins de Valence et Bordeaux, fondée en 1824 par Duglas et Sylvestre ? Pourquoi avait-il fait le pari avec son associé de se lancer dans l’exportation de vins fins vers la Russie ?Aucune archive familiale ne le commente.

L’année de ce premier voyage en Russie n’est pas neutre : 1893 voit la conclusion de l’alliance commerciale et militaire entre la France et la Russie. De nombreux investissement français sont entrepris en Russie, issus du monde industriel mais aussi du luxe. Les années précédentes, les contacts se sont multipliés entre le Tsar Alexandre III et le président Loubet. Les marines et les armées des deux pays amenés à se soutenir en cas de conflit avec  la triple alliance Allemagne-Autriche Hongrie-Italie, organisent des manifestations communes d’une pompe et d’un luxe qui nous paraissent inouïs aujourd’hui.

Le brevet de fournisseur officiel autorisait l’utilisation des armes du Tsar sur les documents commerciaux, dont les étiquettes de vin. C’est la raison pour laquelle à partir de 1893 trône fièrement l’aigle bicéphale, emblème de la cour impériale russe, sur les étiquettes de la Maison P. Mazet et François.

C’est sous le règne d’Alexandre III (1845-1894), que le brevet a été obtenu. La version de l’étiquette n’est pas marquée du chiffre d’un Tsar particulier, contrairement à ce qu’on peut trouver sur des étiquettes contemporaines. Par exemple sur la production des célèbres vignobles Abrau-Durso [1], créés en 1870 sur les rives du lac Abrau dans la région de Krasnodar à l’initiative du Tsar Alexandre II (1818-1881), les étiquettes semblent afficher le monogramme de son petit-fils Nicolas II (H II) dans l’écu de poitrine de l’aigle. Dans l’étiquette de l’aïeul, c’est un Saint Georges terrassant le dragon, fidèle à l’original des armoiries.

On trouve d’autres étiquetages actuels affichant les armes du Tsar de Russie, en particulier sur la cuvée Cristal de la maison de Champagne Louis Roederer. Cette grande maison a été brevetée fournisseur officiel de la cour de Russie en 1908, sous Nicolas II alors que c’était son grand-père Alexandre II qui avait commandé dès 1876 la fameuse cuvée d’exception en bouteille transparente à fond plat, réalisée en cristal [2].

A la mort du Tsar Alexandre III en 1894, Nicolas II (1868 – 1918), dernier empereur de Russie, lui succède. Francophile, parfaitement francophone (écouter son discours étonnant à Paris en 1902, sans aucun accent ! [3]), Nicolas II était connu pour apprécier les vins, français ou non, à côté d’autres alcools. L’historien Igor Imine rapporte que, « rien qu’en mai et juin 2016, le tsar et sa famille ont vidé quelque 1 107 bouteilles de différents vins, ainsi que 391 bouteilles de madère (un autre favori du souverain), 174 bouteilles de cherry, 19 de porto (presque exclusivement pour l’empereur), 14 de champagne (qu’ils ne consommaient que les jours de fête), 3 de cognac et 158 de diverses vodka. » [4].

Je me plais à imaginer que cette bouteille posée sur la table intime de Nicolas II et son épouse Alexandra Fiodorovna vient de l’aieul…..

© Getty Images

Liens et références :

1. Site du domaine Abrau-Durso. https://fr.rbth.com/histoire/82507-champagne-russe-abrau-durso-histoire

2. Site de la maison de Champagne Louis Roederer. https://www.louis-roederer.com/fr/wine/cristal

3. Discours du Tsar Nicolas II à Paris en 1902. https://www.youtube.com/watch?v=9OR2KnRPgKQ

4. Gueorgui MANAÏEV. Vivre comme un tsar: le somptueux train de vie de Nicolas II. Russia Beyond, 18/05/2018. https://fr.rbth.com/histoire/80760-russie-empereur-nicolas-richesse-vie-loisirs

Différents modèles d’étiquettes de la maison P. Mazet, François et Cie antérieurs et postérieurs à 1893

© Texte posté le 10/01/2021

Abou Nawas, Omar Khayyâm, Samuel Paty, héros de la liberté

(Dimensions de l’étiquette originale 120 x 90 mm)

Aujourd’hui, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d’histoire géographie dans un collège des Yvelines, a été assassiné.

Il est mort de la main d’un homme parce qu’il a fait son métier et enseigné la liberté d’expression. Assassiné parce qu’il a illustré son cours et fait réagir ses élèves de 4ème avec un dessin représentant un être humain nommé Mohamed. Pour les humains, Mohamed (570-632) est un être humain. Pour les musulmans, et pour eux seuls, il est aussi un prophète de leur religion, l’Islam. Et pour les musulmans, on ne doit pas représenter l’image de leur Dieu ni de leur prophète, ne cherchez pas, c’est comme ça.

Et c’est pour ça que Samuel Paty est mort assassiné.

Quel rapport avec cette étiquette hommage à Abou Nawas?

L’Islam, comme toutes les religions, a ses interdits. L’interdit de la représentation graphique de son Dieu unique ou de son prophète, peut-être lié à une idée de perfection inégalable par l’homme, ou plus complexe et énigmatique, est admissible en soi. L’avènement des monothéismes a nécessité l’éradication du culte des « idoles » polythéistes en cours au moyen Orient, et de leur représentation imagée. Les prophètes du Judaïsme étaient « iconoclastes » et il n’y a pas de représentation du Dieu unique des Juifs (le même que celui des Musulmans parait-il) dans les synagogues. Le Christianisme a eu aussi sa période iconoclaste (726-843, tiens, tiens,…), durant laquelle toute représentation de son Dieu unique (toujours le même parait-il), de Jésus, des apôtres, des saints, des prophètes communs au Judaïsme, était proscrite [1]. En témoignent les églises troglodytes de Cappadoce.

Cet interdit est relativement récent dans l’Islam, puisqu’il existe de nombreuses représentations de Mohamed dans des enluminures arabes ou perse d’avant le XVIème siècle. Il cristallise maintenant la fureur et la haine d’islamistes radicaux et liberticides. Mais l’interdit ne concerne en rien les non musulmans, qui ont bien le droit de dessiner ce qu’ils veulent. Et caricaturer qui ils veulent (de toute façon, représenter l’irreprésentable est nécessairement caricature). 

En France, la liberté de pratiquer une religion est garantie par la loi, mais la pratique religieuse est une affaire privée qui ne doit en rien concerner les humains qui adhèrent à d’autres croyances ou qui ne croient pas en un Dieu (probablement majoritaires, en plus).

Cela s’appelle la Laïcité. C’est la loi française.

Quel rapport avec cette étiquette hommage à Abou Nawas?

Un des autres interdits de l’Islam est la consommation d’alcool. Sur terre, car au Paradis, il coulera à flot.

L’interdit de représentation divine, humaine, ou animale a progressivement conduit les artistes musulmans à magnifier d’autres formes d’expression telles que l’architecture, l’art géométrique ou abstrait, la céramique, la calligraphie, la littérature, la poésie…

L’interdiction de l’alcool terrestre s’est heurtée à des oppositions plus marquées, les mêmes artistes ayant souvent besoin, pour créer ou s’élever, de stimulants artificiels voire d’ivresse. L’alcool ou le vin en terre d’Islam, c’est compliqué.

L’écrivain Kamel Daoud l’exprime parfaitement par ces quelques mots [2] :

« Pour toi, un verre de vin est goût, parfums, robe et palais. Pour moi, il est dissidence, désobéissance, infraction et exclusion et honte. Regarde : la poésie bacchanale dans mes parages a toujours été, chez nous les « Arabes », immense et plus fournie que les vins. Il y a plus de poèmes délicats sur le vin que de sortes de vins. Donc, il y a plus de poètes qui chantaient le vin que de vin à boire dans ma géographie. Je veux dire autrefois, à l’époque où le soleil tournait autour de nous et nos empires selon la légende. Quelle belle poésie ! Tu devrais la lire ! La vie de ces gens (Omar Khayyam, Abou Nouwas… ) était si mêlée à la coupe que le vin avait une bouche et une langue et se proposait d’expliquer le ciel et la terre en restant allongé. »

Le vin et les poètes arabes, nous y voilà…

Abou Nawas ou Abû-Nuwâs (757-813/815), de son vrai nom al-Ḥasan Ibn Hāni’ al-Ḥakamī, était de ceux-là. Né en Iran d’une mère iranienne et d’un père d’ascendance yéménite, formé à la linguistique auprès de plus grands savants, initié à tous les plaisirs dans un cercle de poètes de Bassorah, il a vécu à Bagdad, Damas, au Caire, puis est revenu à Bagdad auprès du Calife Abbasside Mohamed al-Amin, son ami et protecteur.

Abou Nawas aimait les hommes et le vin et le clamait haut et fort [3, 4] :

  • « J’ai quitté les filles pour les garçons
  • et pour le vin vieux, j’ai laissé l’eau claire.
  • Loin du droit chemin, j’ai pris sans façon
  • celui du péché, car je le préfère. »

Ce qui ne l’empêchait pas de se considérer comme bon Musulman (sunnite !)

  • « Cinq fois par jour je fais pieusement mes prières.
  • Docile, je confesse l’Unité de Dieu.
  • Je fais mes ablutions lorsqu’il me faut les faire.
  • Je ne repousse pas l’humble nécessiteux.
  • Une fois l’an, j’observe tout un mois de jeûne.
  • Je me tiens à distance de tous les faux dieux.
  • Il est vrai, cependant, que point ne suis bégueule
  • et que j’accepte un verre quand il est en jeu.
  • J’arrose de vin pur la bonne viande
  • de chevreaux et cabris gras et pleins de saveur,
  • avec œufs et vinaigre et des légumes tendres,
  • souverains contre la migraine du buveur.
  • Et quand un gibier passe à ma portée,
  • Je me jette dessus comme un loup affamé.
  • Mais je laisse à l’Enfer l’hérétique portée
  • des Shiites, pour qu’ils y brûlent à jamais. »

Abou Nawas, dont l’œuvre ne se limite pas aux poèmes érotiques ou bacchiques, était considéré comme le plus grand poète de langue arabe au VIIIème siècle. Sa notoriété reste grande dans le monde arabe.

Surtout, il détonne par la liberté de sa parole, difficilement imaginable aujourd’hui pour un Musulman sur de tels sujets tabous. Alors que l’homosexualité est criminalisée, mais existe dans la plupart des pays arabo-musulmans, que l’alcool est prohibé bien qu’assez largement consommé, y compris par les dignitaires de certains régimes, Abou Nawas, comme Omar Khayyâm 300 ans plus tard, exhorte à la transparence de la transgression :

  • « Dis-moi : « voilà du vin ! », en me versant à boire.
  • Mais surtout, que ce soit en public et notoire.
  • Ce n’est qu’à jeun que je sens que j’ai tort.
  • Je n’ai gagné qu’en étant ivre-mort.
  • Proclame haut le nom de celui que tu aimes,
  • car il n’est rien de bon dans les plaisirs cachés. »

Résumons,

VIIIème siècle après Jésus Christ, en Orient :

– Des fondamentalistes chrétiens décident que « toute image résultant de l’art maléfique des peintres, quels que soient les couleurs et les matériaux utilisés, doit être rejetée, éliminée, condamnée… » [1]. Des moines chrétiens sont assassinés parce qu’ils veulent conserver des images de Jésus, en opposition au nouveau dogme.

– Abou Nawas, grand poète d’origine iranienne et de langue arabe, ami et protégé du Calife de Bagdad, commandeur des croyants, vante le vin, l’ivresse et la luxure. C’est toléré.

XXIème siècle, en Occident :

– Des fondamentalistes islamiques décident que ceux qui montrent des images de leur prophète méritent la mort. Après des dessinateurs, des journalistes, un enseignant est assassiné pour avoir défendu et expliqué la liberté d’expression à ses élèves, dans un pays laïque et républicain, la France.

– Une cuvée de vin de Guerrouane produit au Maroc, autre grand pays d’Islam, y honore la mémoire du poète Abou Nawas. C’est toléré, mais pour combien de temps ?

Honneur à toi et respect, Samuel Paty. Condoléances fraternelles à ta famille et tes proches, tes collègues, … tes élèves aussi, certains ne savent probablement pas ce qu’ils perdent.

Honte éternelle à ton assassin et aux haineux qui l’ont construit. Courage à ceux qui continuent à fabriquer du vin (et en boire) là où il y en a toujours eu, et où l’Islam est religion dominante.

En ce jour d’immense tristesse, cette petite étiquette nous rappelle que l’Islam a été tolérant lorsque le christianisme ne l’était pas. Continuons l’éternel combat contre l’obscurantisme et pour la liberté d’expression absolue, y compris la liberté de commenter ou critiquer toute religion.

Liens et références :

1) L’iconoclasme byzantin. https://compilhistoire.pagesperso-orange.fr/iconoclasme.htm

Lors d’un concile qui se déroule au palais d’Hieria du 10 février au 8 août 754, l’empereur Constantin V fait condamner le culte des images comme idolâtrie.

2) Daoud – La métaphore abîmée du vin « arabe ». https://www.lepoint.fr/culture/question-a-kamel-daoud-peut-on-etre-musulman-et-boire-du-vin-08-10-2015-1971627_3.php

3) Abû-Nuwâs (préf. et trad. Vincent-Mansour Monteil), Le vin, le vent, la vie, Sindbad, coll. « La petite bibliothèque de Sindbad », Arles, 1998 (éd. précédentes 1979, 1990), 190 p. (ISBN 978-2-7427-1820-7).

4) Abu Nuwas. Citations. Site Babelio https://www.babelio.com/auteur/-Abu-Nuwas/83457

5) Omar Khayyâm. Sa vie et ses quatrains Rubâ ‘iyât. Par Pierre Seghers. Collection miroir du monde. © Editions Seghers, Paris, 1982

Pour terminer, quelques quatrains d’Omar Khayyâm, honoré d’une cuvée de vin égyptien!

Je bois du vin ! Aux yeux du Seigneur, c’est normal

Les sages le reconnaîtront, Il m’a fait, Il a fait la vigne

Il sait de toute éternité que je boirai le vin vermeil

Si devant Lui je m’abstenais, ce serait tromper sa prescience

O toi qui ne bois pas de vin, ne blâme pas ceux qui s’enivrent

Entre l’orgueil et l’imposture, pourquoi vouloir tricher sans fin ?

Tu ne bois pas, et puis après ? Ne sois pas fier de l’abstinence

Et regarde en toi tes péchés. Ils sont bien pire que le vin.

Quand je serai parti, ô mes amis, retrouvez-vous à la taverne

Réjouissez-vous d’être ensemble, soyez heureux. Quand le saqi

prendra le col du beau flacon, admirez sa main et son geste

et pensez au pauvre Khayyâm. Puis, à ma mémoire, buvez !

Omar Khayyâm, Quatrains [5]

© Texte posté le 18/10/2020

L’énigme de Fischart

(Dimensions de l’étiquette originale :  130 x 93 mm)

Cette étiquette ancienne de vin d’Alsace rend hommage à Johann Fischart (1545-1590), natif de Strasbourg, et considéré comme un des premiers grands écrivains de langue allemande. Contemporain de Rabelais dont il a traduit une partie de l’œuvre, il s’en rapprochait par sa truculence et son inventivité littéraire. Fischart a célébré le vin, en particulier les crus de son Alsace natale.

L’étiquette de B. Ziegler, viticulteur à Orschwihr (68500), porte dans la banderole du bas une citation de l’écrivain rendant hommage à un cru de la ville, le Lippelsberg. Il y est écrit :

« Ô Bollenberger Ô Lüppelsberger von Orschweier

   Wie seid ihr meiner lippen so teuer »

Ô Bollengerg Ô Lippelsberg d’Orschwhir

Que vous êtes chers à mes lèvres !

Contigu avec le grand cru Pfingstberg sur la commune d’Orschwhir, le Lippelsberg est selon l’ancien site du domaine Materne Haegelin [1] qui l’exploite aujourd’hui « le premier vin d’Alsace à avoir été désigné selon son lieu de production. Ce vin est déjà cité en 1287 sous le nom de “Luphersberg”. Il est exploité par les évêques de Strasbourg, qui dès 1526 en font leur vin de fête ». 

Comme ancrage historique, on fait difficilement mieux.

Là où l’étiquette devient originale et amusante, c’est que la citation de l’étiquette semble avoir été subtilement modifiée par rapport à celle d’origine de Fischart.

Selon le Traité de la vigne et de ses produits de Ludovic Portes paru en 1886 [2], Fischart aurait en fait écrit :

« O Katzenthaler und Lüppelsberger von Reichenweier

Wie halten euch meine Lippen so teuer ! »

Ô Katzenthal et Lippelsberg de Riquewihr,

Comme vous êtes restés chers à mes lèvres !

Ah ! Pourquoi avoir supprimé sur l’étiquette la référence originale aux crus de Katzenthal et de Riquewihr ? 

D’abord, parce que le grand écrivain semble s’être trompé, en situant le Lippelsberg à Riquewihr et pas à Orschwir, située 30 km au sud. Le vigneron n’aurait alors fait que rétablir la vérité géographique. Ensuite, parce que Katzenthal n’est pas du tout un grand cru de Riquewihr, mais une commune distante de 10 km qui a ses propres grands crus (Florimont, Sommerberg et Wineck-Schlossberg).

Vous suivez ?… Une aspirine ? … Une lampée de Gewurz vendanges tardives ? [3] (sinon, il y un glossaire des noms de communes et de crus  un peu plus bas …)

On peut donc imaginer que par souci de cohérence, le vigneron a supprimé la référence aux crus de la commune de Katzenthal, pour lui préférer Bollenberg, nom d’une colline et d’un vignoble renommés proches d’Orschwihr.

C’est ainsi que la citation figurant sur l’étiquette serait devenue : « Ô Bollenberger Ô Lüppelsberger von Orschweier Wie seid ihr meiner lippen so teuer ». 

Si l’hypothèse est exacte, voici un joli tour de passe-passe, qui a le mérite de la cohérence géographique actuelle, à défaut du respect historique de la citation d’origine.

A moins que la dénomination des crus et communes viticoles soit totalement différente au XVIème et au XXème siècle, ce qui parait très improbable ; ou encore que Fischart n’ait produit plusieurs versions de son éloge aux crus d’Alsace. Si vous avez la solution de cette énigme….

Glossaire. Pas facile (pour les non-Alsaciens) de s’y retrouver entre tous ces noms de villages, de lieux-dits, de montagnes et de vignobles, parmi lesquels les 51 terroirs remarquables qui ont droit à l’appellation officielle «Alsace Grand Cru» créée en 1975. Voici un petit tableau explicatif des noms cités dans cet article. Vous pouvez aussi le site du comité interprofessionnel des vins d’Alsace, très complet [4] ainsi que le magnifique site d’Etienne Jadoul, oenographile spécialiste des vins d’Alsace [5].

Liens et références :

1. Riesling Lippelsberg de Materne Haegelin : http://www.materne-haegelin.fr/

2. Ludovic Portes, Traité de la vigne et de ses produits. Editions Doin, Paris, 1886 ; réédition Nabu Press 2010

3. Comme Gewurztraminer vendanges tardives, je recommande chaleureusement celui du domaine Bernhard et Reibel, de Chatenois. Très bon et bio, en plus !

4. Site du comité interprofessionnel des vins d’Alsace, détaillant les grands crus d’Alsace et leur commune d’implantation.

5. Etiquettes de vins d’Alsace. Collection en oenographilie alsacienne. Site wordpress de Etienne Jadoul.

© Texte posté le 20/09/2020